Grâce à la Chine, le Maglev allemand prépare son retour

lundi 17 mai 2021, par Karel Vereycken

Voie d’essai du nouveau maglev allemand en Chine.

Comme nous l’avons documenté ailleurs sur ce site, c’est au début des années 1970 qu’une véritable secte de technocrates européens, au nom de l’impératif d’uniformité des transports européens, impose aussi bien l’abandon de l’aérotrain de Jean Bertin en France, que la fin du projet allemand de train à lévitation magnétique (maglev).

Cette pensée normative et uniformisante, doublée d’une vision comptable et monétariste gérant des ressources que l’on prétend systématiquement en voie d’épuisement, s’interdit tout simplement de penser la complémentarité des différents moyens de transport en fonction de besoins qui peuvent varier selon les paysages, les distances et les besoins.

Heureusement, en Europe, il reste quelques entrepreneurs de caractère qui refusent de se soumettre à une telle vision stérile. En France, mentionnons la courageuse entreprise Spacetrain (merci de signer cet appel de soutien) qui tente de ressusciter chez nous, avec les technologies les plus avancées de notre époque, le projet de l’aérotrain de Jean Bertin.

Contrairement à Hyperloop, il ne s’agit pas d’un caprice pour riches, mais bel et bien d’un transport public à grande vitesse, capable de relier Paris avec Le Havre ou Orléans en moins de 20 minutes.

Alors qu’en France, Spacetrain n’est qu’une start-up disposant de moyens très modestes, en Allemagne, l’entreprise allemande Max Bögl, avec plus de 6500 employés hautement qualifiés répartis sur 35 sites dans le monde entier et un chiffre d’affaires annuel d’environ 1,7 milliard d’euros, travaille d’arrache-pied sur une nouvelle édition du maglev.

Ne cherchant plus la grande vitesse, le Transport System Bögl (TSB), qui n’avancera qu’à 150 km/h, cible le marché du transport local.

Félicitons les ingénieurs allemands, car ils n’ont pas chômé. La mise au point du TSB les a conduit à complètement repenser la technologie ancienne.

Par exemple, dans le cas du TSB, il s’agit d’« un stator court dans le véhicule, au lieu d’un stator long sur la voie comme pour le Transrapid ». Rien à voir avec les trois systèmes d’aimants qu’il fallait mettre en œuvre et coordonner pour faire flotter le Transrapid au-dessus du rail.

Alors que la voie de ce dernier n’était rien d’autre qu’un moteur électrique déroulé tout le long de la voie et donc d’un prix exorbitant à cause de la quantité de matériaux requis (en particulier le cuivre), le TSB, tout comme le Spacetrain, évoluera, grâce à un moteur électrique linéaire à bord, sur une « voie passive ». D’emblée, le coût du km d’infrastructure fixe du TSB, ainsi que la maintenance, se retrouveront diminués de plusieurs ordres de grandeurs.

2019 : construction de la voie d’essai pour le nouveau maglev allemand en Chine.

Vu l’absence d’enthousiasme de la part de la Commission européenne, c’est vers la Chine que Max Bögl s’est tourné. Dès 2018, la société a pu conclure un accord de coopération avec une société chinoise pour construire près de Chengdu, la capitale du Sichuan, une piste d’essai.

En juin 2020, deux prototypes du TSB, de douze mètres de longs et pesant 36 tonnes chacun, ont été embarqué dans un avion Antonov géant pour faire le voyage de 7500 km entre Munich et Chengdu. Impressionnant !

Pour vous raconter cette histoire, voici l’article bien documenté de Frédéric de Kemmeter, publié sur le blog Mediarail.be.

Le Maglev ressuscité sous forme de transport urbain

Par Fréderic de Kemmeter
Source : Mediarail.be, le 30 novembre 2020.

On pensait que cette technologie n’intéressait plus l’Europe, mais un entrepreneur y croit encore. L’entreprise allemande Max Bögl a conçu pour l’Asie un Maglev à usage urbain.

Le Transport System Bögl (TSB) est un train à lévitation magnétique composé de rails, de véhicules et d’une technologie de contrôle des opérations sans conducteur, qui a été développé par le groupe Max Bögl depuis 2010. Il est conçu pour les transports publics locaux avec des trajets d’une longueur maximale d’environ 50 kilomètres et une vitesse de 150 km/h.

Depuis le grave accident survenu en 2006 sur la piste d’essai en Allemagne dans la région de l’Emsland, qui a fait 23 morts, aucun homme politique européen n’a mis un centime sur la technologie de lévitation magnétique. L’Allemagne a cependant continué à effectuer des tests avec le Transrapid 09 jusqu’en avril 2010, date à laquelle le programme de recherche a expiré. Parmi les entreprises participant à la construction du Transrapid, seule l’entreprise Max Bögl, qui a concentré ses recherches sur la construction de la piste, a exprimé sa volonté de conserver l’installation d’essai pendant un certain temps encore. L’installation d’essai de l’Emsland a été définitivement démantelée en 2019. Cela a-t-il signifié la fin de la technologie Maglev et son transfert vers l’Asie ? Pas du tout…

Alors que l’Europe renonce, l’entreprise de construction allemande Max Bögl a imaginé un successeur prêt pour la production en série. Sans que le public ne le remarque, l’entreprise de construction bavaroise Bögl a perfectionné la technologie du train à sustentation magnétique Transrapid avec le système de transport Bögl, en abrégé TSB.

Ce TSB ne doit plus relier des métropoles lointaines à des vitesses super élevées, mais doit être utilisé dans les transports locaux, ce qui donne d’autres perspectives. Une fois de plus, on remarque que ce sont des entrepreneurs – et non la politique -, qui prennent l’initiative et mènent des recherches, même si certaines d’entre elles peuvent être éligibles à des subsides, notamment au travers des universités et d’autres programmes gouvernementaux.

Qui est le groupe Max Bögl ?

Avec plus de 6.500 employés hautement qualifiés répartis sur 35 sites dans le monde entier et un chiffre d’affaires annuel d’environ 1,7 milliard d’euros, Max Bögl est l’une des plus grandes entreprises de construction, de technologie et de services du secteur allemand de la construction. S’appuyant sur de nombreuses années d’expérience et de compétence dans la construction de béton préfabriqué de haute précision, le groupe Max Bögl se positionne dans le développement de produits, de technologies et de méthodes de construction innovants, avec des développements internes tournés vers l’avenir sur des sujets tels que les énergies renouvelables, l’urbanisation, la mobilité et les infrastructures.

C’est pourquoi l’entreprise s’est lancée dans l’étude et la conception de sa propre vision de la technologie Maglev. Après y avoir investi environ 35 millions d’euros, l’entreprise de construction s’aventure maintenant à présenter ses projets au public. Une stratégie d’entreprise qui force le respect, car il fallait oser remettre la technologie au-devant de la scène quand l’Europe préférait ne plus y investir.

Voie d’essai sur le site de l’entreprise en Bavière.

La société a donc construit une piste d’essai de 820 mètres de long, propriété de l’entreprise, près de son siège à Sengenthal (au sud-est de Nuremberg).

En 2018, plus de 130000 trajets et 85000 kilomètres avaient été effectués sur cette piste. En 2020, l’Autorité ferroviaire fédérale (EBA) a certifié au TSB que les pièces essentielles du véhicule répondaient aux exigences techniques et étaient prêtes à être homologuées. La reconnaissance internationale par l’Autorité ferroviaire fédérale (EBA) de la conformité à ses normes élevées est très importante car elle ouvre la possibilité de procédures d’approbation simplifiées dans d’autres pays européens. Mais pour l’instant, il n’existe pas de marché en Europe et en ce qui concerne le Maglev, il est vrai que l’Union européenne est plutôt frileuse, voire même quasi absente.

Au printemps 2018, la société Max Bögl a pu conclure un accord de coopération avec la société chinoise Chengdu Xinzhu Road & Bridge Machinery Co. Ltd. Cet accord prévoit la construction d’une piste d’essai de plus de 3,5 kilomètres à Chengdu, la capitale de la province du Sichuan, afin de pouvoir homologuer le système de train à sustentation magnétique en Chine. La société Xinzhu a assuré exclusivement la commercialisation et la production du système en Chine.

La technologie Bögl

Le concept développé n’a rien à voir avec les super-vitesses du Maglev de Shangaï, bien que Max Bögl ait été impliqué dans le projet Transrapid pour laquelle elle a fabriqué des pièces pour le circuit d’Emsland, et ensuite pour celui de Shanghai. L’entreprise connaît donc bien le sujet. « Nous avons acquis une immense quantité de connaissances sur la technologie des systèmes Maglev. On a commencé à réfléchir à ce qu’on pouvait améliorer, y compris dans les domaines gérés par les partenaires du Maglev à l’époque Transrapid, » explique Bert Zamzow, chef de projet, au magazine Golem.de.

En réalité, Zamzow déteste la comparaison avec le Transrapid, synonyme de milliards engloutis en pures pertes pour une Allemagne qui y croyait. « J’ai été déçu qu’une telle technologie ne soit pas mise en œuvre », expliquait le CEO Stefan Bögl au Süddeutsche Zeitung. L’entreprise Bögl a décéléré les performances du Transrapid pour lui donner un nouvel avenir. Le marché cible ne serait plus le transport longue distance, mais le transport urbain. Les ingénieurs de Bögl ont donc tout remis à plat, car ce type de projet ne peut réussir que s’il est moins encombrant dans le paysage et moins cher.

Selon Max Bögl, il existe plusieurs différences majeures entre le TSB et le Transrapid.

Premièrement, le TSB est un ensemble totalement intégré provenant d’une seule source. Max Bögl vise à fournir aux clients une solution de service complet, comprenant tout, de la planification à la fabrication du véhicule, au montage sur site et à l’exploitation du système. Alors que le Transrapid se concentre sur la vitesse, le TSB est conçu pour un objectif plus complexe : fournir un transport public à l’épreuve du temps pour les villes à forte densité de population, explique le site Redshift.

Le TSB est destiné au transport local sur des distances de 5 à 30 kilomètres et peut atteindre, en trafic régional, une vitesse maximale de 150 km/h. C’est un système avec lequel Max Bögl veut concurrencer les systèmes roue-rail établis de type métro, tram et RER. Par rapport aux systèmes de transport de personnes automatisés classiques sur rail-roue, le train de roulement du système de transport Bögl s’insère dans le rail de guidage. Cet aspect se traduit par de grands avantages en termes d’émission sonore et de fiabilité, mais c’est un défi pour l’optimisation du fonctionnement et de la maintenance. L’optimum doit être accordé au système de roulement, qui est la pièce maîtresse du véhicule du TSB.

Le groupe Max Bögl a développé un nouveau type d’exploitation et de maintenance permettant au véhicule de se déplacer de manière autonome. En outre, le nouveau concept garantit une accessibilité indépendante à tous les niveaux du véhicule. Le système est également flexible et peut fonctionner dans une multitude de paysages urbains. Il peut être installé comme une voie ferrée surélevée, au niveau du sol, ou même comme un système de transport souterrain.

Chaque véhicule mesure douze mètres de long et 2,85 mètres de large et 127 passagers peuvent y prendre place. Une rame complète devrait comprendre jusqu’à six de ces sections et transporter environ 750 personnes. Le véhicule plane sur un rail en acier avec un écart de sept millimètres. Les électroaimants laissent flotter le train qui est entraîné par dix moteurs linéaires, ce qui suffit pour que l’un d’eux puisse tomber en panne sans que le train ne tombe en panne. L’absence de contact avec le rail et la vitesse – la vitesse maximale est de 150 kilomètres à l’heure – le rendent très silencieux. Il n’y a pas de friction et donc moins d’usure, tandis que le système de roulement est très efficace. La dynamique de conduite et les bruits de roulement sont clairement perceptibles dans le train. Mais à l’extérieur, juste à côté de la voie, le train est à peine audible. Aucune comparaison avec un tramway ou un RER.

L’alimentation en énergie est de 600 kilowatts, soit à peu près la même quantité qu’un tramway. Dans le cas du train STB, 6 à 8 kilowatts supplémentaires sont ajoutés pour la lévitation et le système utilise un stator court dans le véhicule, au lieu d’un stator long sur la voie comme pour le Transrapid. Comme Bögl se passe de composants actifs dans la voie, celle-ci est moins complexe – et donc moins chère.

Le dernier point concernant ce train est qu’il serait entièrement autonome, sans conducteur. Ce n’est évidemment pas très difficile, étant donné que le TSB ne peut rouler que sur sa propre voie.

L’automatisation, qui devrait être de niveau 4 (GoA4 ou Grade of Automation 4), permettrait selon Bögl d’obtenir des intervalles de 80 secondes, bien que cela doive dépendre de la vitesse des trains. Le TSB pourrait à plein régime transporter 30000 personnes à l’heure par sens. « La combinaison d’un fonctionnement automatisé, sans conducteur et sans erreur humaine, et des avantages de la technologie de lévitation magnétique réduit les coûts d’exploitation de 20 % par rapport aux systèmes rail-roue classiques. Le TSB peut être programmé en fonction de la demande, ce qui évite les trajets à vide aux heures creuses et dans les zones rurales », explique Andreas Rau, chef de produit, sur le site web Redshift.

Premiers développements en Chine ?

Le groupe d’entreprises Max Bögl a signé un accord de coopération avec l’entreprise chinoise Chengdu Xinzhu Road & Bridge Machinery Co Ltd. Cet accord prévoit la construction d’une piste d’essai de plus de 3,5 kilomètres de long à Chengdu, la capitale de la province du Sichuan, dans le but d’obtenir l’approbation du nouveau système de train à sustentation magnétique en Chine.

Il est intéressant de noter que chaque partie du système est produite par des partenaires en Allemagne, en Suisse, en Autriche et en Angleterre et que finalement, l’engineering reste encore en Europe. Reste à voir ce que contient ce partenariat avec la Chine et quelles seront les implications futures.

« Dans son plan quinquennal, le gouvernement de Pékin s’est engagé à commander des projets de transport local d’une longueur totale de 3.000 km. Outre sa croissance rapide, la Chine est un marché compétitif mais très ouvert aux nouvelles technologies et a un grand appétit pour les investissements. C’est pourquoi nous travaillons avec notre partenaire local, la société Xinzhu, qui connaît bien ces conditions uniques et peut représenter le TSB de manière optimale », explique Andreas Rau au magazine Future Rail.

Construction de la voie d’essai en Chine.

La construction et l’exportation des composants du système, entièrement réalisés par Max Bögl, ont commencé à être exportés vers la Chine, avec un transbordement spectaculaire des navettes automatiques par des avions Antonov depuis Munich en juin dernier. Les lourds segments de voie, d’une longueur de près de 12m, sont constitués d’éléments préfabriqués en béton qui sont fabriqués en série au siège allemand de Max Bögl, qui fabrique également les véhicules. Les segments de voie ont été placés dans des conteneurs et transportés en Chine par rail via la nouvelle route de la Soie.

Et en Allemagne ? Stefan Bögl enfonce le clou :

Le pays n’est plus aussi favorable à l’innovation que jadis. Cette mentalité est plus susceptible de se retrouver en Chine.

Des discussions sont toutefois en cours pour des projets à Berlin, dans le Land le plus septentrional du Schleswig-Holstein et dans la région de Munich. L’avenir des trains à sustentation magnétique en Allemagne sera révélé lorsque les résultats des études seront livrés en janvier 2021.