Frappes US en Syrie : une violation du droit international de mauvais augure

lundi 1er mars 2021

Chronique stratégique du 1er mars 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Dans la nuit du 25 au 26 février, les Etats-Unis ont bombardé plusieurs sites à Abu Kamal — une ville de l’Est de la Syrie située sur l’Euphrate près de la frontière avec l’Irak —, causant des morts parmi les forces pro-iraniennes qui s’y trouvaient. Si officiellement, il s’agit de riposter au raid de 24 roquettes du 16 février contre les parties les mieux fortifiées de la base US à l’aéroport d’Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, la « légitime défense » invoquée par Joe Biden n’est qu’un prétexte ; elle cache mal le message adressé aux « non alignés » tel que l’Iran, la Russie et la Chine : la nouvelle administration n’aura aucun scrupule à passer par-dessus le droit international.

Il aura fallu à peine un mois à Joe Biden pour signer sa première action militaire, laissant à croire qu’il a la gâchette facile, ou que du moins, face au parti de la guerre – représenté par le chef du Département d’Etat Antony Blinken —, ses velléités de résistance sont à peu près nulles, comme on pouvait le craindre.

A Abu Kamal, les frappes américaines ont détruit de multiples installations situées à un point de contrôle frontalier utilisé par plusieurs groupes militants soutenus par l’Iran, notamment Kait’ib Hezbollah (KH) et Kait’ib Sayyid al-Shuhada (KSS), comme l’a précisé John Kirby, le porte-parole du Pentagone.

Le ministère syrien des Affaires étrangères a immédiatement condamné « une violation flagrante des règles de la loi internationale et de la Charte des Nations unies », tout en notant que les frappes sont survenues au moment même où l’envoyé spécial de la Syrie à l’ONU se trouvait dans la capitale du pays. Les autorités russes ont également dénoncé une violation du droit international, mettant en garde contre une dérive dangereuse. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, après avoir déploré le fait que les autorités américaines n’ont prévenu son pays que cinq minutes avant l’attaque, a rappelé que la présence américaine en Syrie est illégale au regard du droit international, et que les forces américaines exploitent illégalement les ressources en hydrocarbure, et bloquent l’acheminement de l’aide humanitaire y compris dans les régions de la Syrie sous contrôle du gouvernement.

Justifiant sa décision auprès du Congrès américain, Biden a expliqué que « cette action a été conduite en se basant sur le droit de légitime défense des Etats-Unis tel que le reflète l’Article 51 de la Charte des Nations unies ». Fort de café, quand on sait, comme l’ont souligné de nombreux experts, que l’article de la Charte invoqué stipule qu’ « aucune disposition de la Charte ne porte atteinte au droit de légitime défense jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales » — autrement dit, en l’absence de menace imminente contre les intérêts américain, sans autorisation du pays concerné par les frappes, et sans mandat du Conseil de sécurité, cette opération est parfaitement contraire à l’article invoqué par le président des Etats-Unis.

Pour Mary Ellen O’Connell, professeure à l’université américaine de Notre-Dame-du-Lac, soit l’équipe de Biden n’a pas compris le sens de l’article – ce dont on peut douter —, soit elle l’a interprété à sa guise. Le professeur de droit Adil Ahmad Haque, de la Rutgers Law School, estime quant à lui que ces frappes aériennes américaines n’étaient pas défensives, mais « expressives ». Alors que le Pentagone a affirmé que le président Biden entendait par cette action signifier qu’il agira pour protéger le personnel américain et celui de la coalition, « l’opération envoie un autre message : Le président Biden va violer le droit international, tout comme ses prédécesseurs ».

Selon le magazine Politico, des sources anonymes liées à la Défense US affirment que ces frappes ont été planifiées à partir du 15 février, suite à l’attaque à la roquette à l’aéroport d’Erbil, la capitale du Kurdistan irakien. Face aux faucons qui demandaient une action immédiate, Joe Biden aurait temporisé, afin de donner aux enquêteurs le temps d’en identifier les auteurs. Le 20 février, une nouvelle attaque a visé la base aérienne de Balad, tuant le responsable de la maintenance des avions F16 américains. Ce que ne précise pas Politico, c’est que le soir-même, les forces de sécurité irakiennes ont mené une opération contre Daesh au Nord de Bagdad, avec l’appui des F16 de Balad — ce qui laisserait supposer que l’attaque contre Balad serait le fait de Daesh, et non de milices pro-iraniennes. Cependant, le Pentagone a présenté plusieurs options militaires au président américain, et celui-ci a choisi l’option « moyenne », impliquant de limiter le nombre de cibles et de dommages collatéraux.

En agissant ainsi, Joe Biden se lance dans un jeu dangereux de funambule, consistant à vouloir reprendre les négociations avec l’Iran sur le nucléaire, tout en bombardant des milices pro-iraniennes. Sans parler de la contradiction flagrante avec sa déclaration sur le droit des nations à l’auto-détermination, exprimée lors de la conférence de Munich sur la sécurité...

Maria Zakharova, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, met le doigt sur le vrai problème en soulignant que la Russie rejette « toute tentative de faire du territoire syrien une arène de règlement de comptes géopolitiques ».

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