Notre intervention au Mali : Maliens et Français, unis contre les oligarchies !

lundi 15 février 2021, par Sébastien Périmony

Par Sébastien Périmony, militant S&P et représentant sur les questions africaines. Blog : https://www.afriquedufutur.com/

Invités fin janvier au Mali par le mouvement Yerewolo (Debout sur les remparts), l’un des courants présents au Conseil National de Transition (CNT), nous avons pu, Yannick Caroff et moi, représentant respectivement les Gilets jaunes constituants et Jacques Cheminade, apporter un soutien au Mali en plein réveil politique.

Pour situer le contexte, le 20 août dernier, la population s’est levée pour faire tomber le dictateur en place, Ibrahim Boubacar Keïta. Le peuple s’est levé et l’armée l’a rejoint. Depuis, une transition est en cours, assurée par le CNT qui doit organiser de nouvelles élections au plus tard dans 18 mois.

C’est dans ce cadre qu’une volonté populaire s’affirme pour mettre fin à la Françafrique et sortir du franc CFA, mais aussi pour reconstruire l’armée nationale, face à une opération Barkhane de plus en plus contestée de part et d’autre. Au Mali, la France est soupçonnée d’avoir pactisé avec les Touaregs pour s’emparer des matières premières du pays. En France, le nombre de morts devient insupportable et un sondage IFOP/Le Point du 12 janvier montre que plus de 50 % des Français sont contre la présence militaire française au Sahel.

Alors qu’une certaine propagande cherche à faire passer les membres du CNT pour des anti-Français, pratiquant le « French bashing », ils ont fait appel à nous pour montrer, au contraire, qu’ils ne sont pas contre la France ni contre le peuple français, qu’ils considèrent comme victime, lui aussi, d’une politique économique néfaste. Ils sont contre la politique du gouvernement français. En nous invitant, ils voulaient montrer qu’il existe un autre visage de la France et ils savent que si nous nous battons pour libérer l’Afrique de cette oligarchie financière, c’est certes pour son avenir, mais aussi pour l’honneur de la France. Car cela ne lui fait pas honneur de poursuivre ces pratiques d’esclavage monétaire, de pillage des matières premières et de contrôle militaire. C’était d’ailleurs la première fois qu’un représentant des Gilets jaunes était invité en Afrique, par des personnalités qui sont membres du Conseil national de Transition, un véritable symbole du trait d’union entre des peuples unis contre cette oligarchie financière qui détruit tout et partout.

Considérons l’impact de cette politique néocoloniale en Afrique. L’espérance de vie au Mali, par exemple, n’est que de 58 ans et plus de 60 % de la population n’a pas accès au minimum vital. Les 14 pays qui sont encore sous la tutelle du franc CFA, et donc du Trésor public français, sont parmi les plus pauvres. Selon le dernier classement de l’ONU sur l’indice de développement humain (IDH) (*), les 8 pays de l’UMOA (Union monétaire ouest-africaine) figurent au plus bas de l’échelle des 189 pays de la planète : Bénin, 163e ; Côte d’Ivoire, 165 e ; Sénégal, 166 e ; Togo, 167e ; Guinée-Bissau, 178 e ; Burkina Faso, 182 e ; Mali, 184 e et Niger, 189 e (pourtant si riche en uranium !).

Concluons avec cet extrait d’un discours de Modibo Keïta, père de l’indépendance malienne, de 1961 :

« Je ne voudrais pas terminer sans lancer avec vous à tous les peuples frères d’Afrique et du monde un message de fraternité et de paix. Quels que puissent être les différends qui nous ont opposés, qui nous opposent, nous ne confondrons jamais les peuples, quels qu’ils soient, avec les gouvernements qui les dirigent, parfois contre leur gré. »

Hommage à Modibo Keïta.

Dès son élection, le 22 septembre 1960, il active sans attendre les mesures de souveraineté nécessaires pour faire de l’indépendance acquise par son pays une réalité à long terme.

Le 1er octobre 1960, il crée une armée nationale « solidement soutenue par le peuple lui-même. (…) C’est le patriote, le soldat, attaché à la terre natale, c’est le paysan, gardien vigilant du patrimoine de ses ancêtres, c’est la fervente jeunesse, impatiente de hisser la patrie au rang des grandes nations libres, ce sont les femmes mobilisées, désireuses d’assurer à leurs héritiers une vie radieuse sur une terre de liberté, qui permettent au Mali de mener dans la confiance, la lutte pour sa sécurité et son indépendance totale. »

Dès le 11 juin de la même année, Modibo Keïta crée la Banque populaire malienne pour adapter la politique du crédit aux objectifs du gouvernement. L’article 2 de ses statuts stipule qu’elle a pour objet de « consentir des crédits à court terme, moyen terme et long terme aux entreprises et aux organismes (...) dont l’activité s’exerce dans le domaine de l’agriculture, du commerce, de l’élevage et de la pêche ». Pour cela, il fera voter par l’Assemblée le Plan quinquennal du Mali, « destiné à nous libérer de toute domination économique, à nous dégager de toute emprise des forces d’argent ».

Ce plan a pour but le contrôle efficace de l’Etat sur la production et les échanges, mais il entend également assurer « la suppression (...) de l’importation des biens que le pays produit pourtant déjà sur son sol ; l’étatisation des secteurs vitaux ; la création de coopératives dans les secteurs de la production et de la consommation ; la maîtrise du choix et des crédits d’investissement. »

A cela s’ajoute la création de la Société malienne d’importation et d’exportation (SOMIEX). Ses objectifs ? « Sur le plan économique, régulariser et orienter le marché, aussi bien à l’approvisionnement qu’à la production, obtenir des prix plus justes ; sur le plan social, harmoniser et stabiliser les conditions de vie sur tout le territoire du Mali, et faire disparaître les iniquités et les disparités de traitement dont souffraient nos frères agriculteurs sous l’ère coloniale. »

Dès son entrée en fonction, il lance un véritable « New Deal » pour la renaissance industrielle du pays, en créant la Régie des transports du Mali, la Régie nationale des chemins de fer, la Société d’aviation civile Air-Mali, la Société nationale des entreprises de travaux publics, la Pharmacie populaire, l’entreprise Energie du Mali, la Compagnie malienne de navigation ainsi que la Banque populaire et la Banque de crédit et de développement.

Quelques exemples : « Les écoles construites pour les populations rurales, avec 167 nouvelles classes, dont 36 de 6e ; 13 centres d’alphabétisation ; l’ouverture de l’hôpital régional de Ségou, des centres dentaires de Mopti et de Gao, et de 18 dispensaires de villages ou d’arrondissements ; l’agrandissement des hôpitaux du point G et de Mopti ; la création de l’Ecole d’infirmiers, infirmières et assistantes sociales  ; la création des Ecoles saisonnières d’agriculture dans les zones d’encadrement rural, assurant la formation professionnelle des jeunes paysans ; l’éducation sanitaire des villageois par le Service civique (hygiène, désherbage et nettoyage des ruelles et pourtours des villages, désinfection ou vidage des eaux stagnantes, etc.) ; la constitution de fédérations sportives à l’échelle du pays. »

Comprenant le rôle fondamental de la culture, Modibo Keïta est déterminé à mettre l’art et la science au service du peuple. Au sein de chaque section de la jeunesse, une troupe théâtrale et folklorique, ainsi qu’un orchestre, sont constitués. Un orchestre national est mis sur pied pour interpréter les rythmes maliens et africains et initier les jeunes amateurs à la musique. Afin de détecter les talents, un concours est ouvert dans le domaine des lettres, ainsi qu’une section de recherche scientifique appelée « Jeune science ».

Nous pourrions énumérer encore longtemps tous les projets initiés par ce grand dirigeant. Notamment la prime versée aux enseignants, plus élevée dans les villages de brousse que dans les grandes villes, 43 centres de protection maternelle et infantile, 8 grands centres d’hygiène, 41 centres antituberculeux. Et pour accroître la productivité agricole : 19 000 charrues, 3000 pulvérisateurs, 6000 tonnes d’engrais et 25 000 tonnes d’insecticides.

Seulement voilà : du paradis qu’avait commencé à créer Modibo Keïta, il ne reste plus aujourd’hui qu’un enfer. Tout a disparu... La ligne de chemin de fer en est le symbole le plus tragique : désaffectée, elle est devenue une décharge publique où l’on voit se consumer, dans les flammes de l’enfer, des centaines de kilos de détritus. Et ce, sous le regard désespérant et désespéré des enfants du Mali, abandonnés, mal nourris, mal soignés… et privés de tout espoir dans l’avenir.

Depuis le premier coup d’Etat contre Modibo Keïta en 1968, qui le conduisit en prison jusqu’à son assassinat en 1977, les dictateurs successifs ont tous été soutenus par les réseaux de la Françafrique et ont systématiquement détruit son héritage. A l’esclavage politique mis en place par ces marionnettes de l’impérialisme français s’ajouta l’esclavage monétaire, avec le retour du franc CFA en juillet 1984, 22 ans après la création de la monnaie nationale malienne par Modibo Keïta.

La bonne nouvelle est que la révolution du 20 janvier prouve que l’esprit de Modibo Keïta est bien vivant, et notre parti Solidarité & Progrès est tout à fait prêt à apporter son soutien à ceux qui s’en inspirent.