Pour l’administration Biden, l’emploi de l’arme nucléaire est une « réelle possibilité »

mardi 9 février 2021

Chronique stratégique du 8 février 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Après l’« America First » de Donald Trump, l’« America is Back » de Joe Biden a de sérieux accents de guerre froide. Plusieurs récents documents, y compris émanant du Département d’Etat, désignent la Chine comme une menace, participent à créer un climat très dangereux ; et l’amiral Charles Richard, qui dirige le U.S Strategic Command, vient de déclarer qu’une guerre nucléaire contre la Russie et la Chine était une « réelle possibilité ».

Vingt jours après son arrivée au pouvoir, la politique étrangère de Joe Biden se précise. Certains développements peuvent sembler positifs – tels que l’accord avec la Russie sur l’extension du traité New Start, l’arrêt du soutien à la guerre génocidaire de la coalition saoudienne au Yémen ou encore la reprise du dialogue avec l’Iran. Mais, comme l’ont noté plusieurs spécialistes, après la diplomatie de la terre brûlée pratiquée par Trump à l’égard des alliés européens des Etats-Unis, Biden devra, dans un premier temps, tenter de regagner la confiance des Européens, avant de reprendre une politique qui ne sera pas très différente de celle de Trump. D’ores et déjà l’orientation générale, que le président démocrate a déclinée au Département d’Etat le 4 février, confirme la mise en garde sur le danger de « nouvelle guerre froide », exprimée au Forum de Davos par le président chinois Xi Jinping.

Guerre froide

Le très influent Atlantic Council, auquel Emmanuel Macron a accordé une longue interview le 5 février (dans un anglais « globish » parfait), vient de publier un rapport de 85 pages, intitulé « Long télégramme : vers une nouvelle stratégie américaine pour la Chine ». La référence ne pourrait être plus explicite, puisque le titre fait écho au télégramme Kennan de février 1946 appelant les Etats-Unis à adopter une politique d’endiguement de l’Union soviétique – que l’Empire britannique souhaitait déjà ardemment à l’époque.

L’auteur, qui écrit sous anonymat, comme l’avait fait George Kennan au départ, argumente en faveur ni plus ni moins d’un « changement de régime » à Beijing, non pas en cherchant à écarter du pouvoir le Parti communiste chinois (PCC) et ses 91 millions de membres, mais en remplaçant Xi Jinping et sa garde rapprochée par des opposants au sein du PCC qui soient plus enclins à soumettre la Chine aux règles du jeu dictées depuis Londres et Washington. Comme si une éminence grise du Kremlin proposait publiquement de renverser Emmanuel Macron et son gouvernement afin de placer au pouvoir une faction de LREM plus favorable aux intérêts de la Russie…

Il est clair que le succès fulgurant du modèle économique chinois est considéré comme une menace pour la domination anglo-américaine du monde. C’est ce qui transparaît également dans un rapport de 72 pages – cette fois-ci officiel – du Bureau de la planification des politiques du Département d’État américain, intitulé « Les éléments du défi chinois ». Le document constate que non seulement l’intégration de la Chine dans le marché mondial par son adhésion à l’OMC ne l’a pas induite à adopter le modèle occidental de « démocratie néo-libérale », mais que de plus la Chine a développé son propre « modèle marxiste-léniniste » autoritaire, dominé par « l’interprétation extrême du nationalisme chinois par le parti ».

Docteurs Folamour

Ce climat de nouvelle guerre froide, créé au plus haut niveau des institutions américaines, est d’autant plus dangereux que certaines cervelles sont en pleine surchauffe. Dans le numéro de février du magazine Proceedings du US Naval Institute, l’amiral Charles Richard, qui dirige le U.S Strategic Command, écrit : « Il y a une possibilité réelle qu’une crise régionale avec la Russie et la Chine escalade rapidement vers un conflit incluant des armes nucléaires, si elles perçoivent que des pertes conventionnelles pourraient menacer le régime ou l’Etat. Par conséquent, l’armée doit passer du postulat ‘l’emploi de l’arme nucléaire est impossible’ à ‘l’emploi de l’arme nucléaire’ est une possibilité très réelle ».

Il ne s’agit pas là du délire d’un « docteur Folamour » isolé ; les déclarations de l’amiral Richard reflètent une idée très répandue parmi les néocons et autres utopistes de l’Otan, qui pensent que les Etats-Unis pourraient parfaitement mener et remporter une guerre nucléaire « limitée » contre la Russie ou la Chine. Cet idée a été reprise d’ailleurs par le Pentagone, tout à fait officiellement, dans son document « Nuclear Operations », publié sur son site le 11 juin 2019. Comme l’a noté Julian Borger dans The Guardian du 19 juin 2019, le document en question a été retiré du site une semaine après, au prétexte qu’il s’agissait plus d’une question « opérationnelle » que d’une affaire de doctrine...

Dans un article pour Neue Solidarität, notre amie et présidente internationale de l’Institut Schiller Helga Zepp-LaRouche, notait à juste titre :

Il faut être clair sur le fait que lorsque l’amiral Charles Richard parle de la 3e Guerre mondiale, ce qui signifierait très probablement l’annihilation de l’espèce humaine.

En Chine, les propos de l’amiral ont suscité de nombreuses réactions. Entre autres, Jiang Tianjiao, professeur à l’université de Fudan, estime dans le People’s Daily que de telles déclarations ne font qu’accroître le risque de guerre nucléaire. Selon lui, tout cela n’est qu’un prétexte « pour moderniser l’arsenal nucléaire américain » et maintenir les Etats-Unis dans la doctrine nucléaire de « frappe préventive », autrement dit de première frappe. « La Chine a adopté une politique de non-utilisation en premier des armes nucléaires à tout moment et en toutes circonstances, et elle s’engage à ne pas utiliser ou menacer d’utiliser des armes nucléaires contre des Etats non dotés d’armes nucléaires ou des zones exemptes d’armes nucléaires », écrit Jiang. « Par conséquent, tant que les États-Unis ne lanceront pas de frappe nucléaire contre la Chine en premier, ils n’ont pas à craindre que la Chine ne déclenche une guerre nucléaire ».

L’Europe a son rôle à jouer pour éviter l’escalade. La Chancelière Angela Merkel, lors de son discours à Davos, a rejeté l’idée de devoir choisir un camp entre les Etats-Unis et la Chine, affirmant que seule l’approche multilatérale permettra d’aller de l’avant. « A la lumière des dangereuses déclarations de l’amiral Richard, les pays européens doivent non seulement prendre leur distances par rapport à une telle politique, mais ils doivent également sortir de l’Otan et œuvrer pour une architecture de sécurité qui reflète les intérêts de leurs populations, écrit Helga Zepp-LaRouche, concluant : Ce qui est en jeu, c’est la survie de l’Europe ».

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