La Chine, elle, s’attaque à la mainmise impériale des « Big Tech »

lundi 18 janvier 2021

Chronique stratégique du 18 janvier 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

En effaçant Trump d’Internet, les GAFAM ont fait tomber le masque, dévoilant au grand jour le visage d’un « totalitarisme cybernétique » qui a suscité les indignations de Bruno Le Maire et même d’Angela Merkel, laquelle avait beaucoup hésité dans un passé récent à s’en prendre fiscalement à ces monstres, comme le proposait la France. Le gouvernement chinois a quant à lui déclaré la guerre aux Big Tech chinois – et en premier lieu à l’empire Alibaba de Jack Ma – montrant que, si l’État le décide, il est parfaitement possible de stopper la main mise impériale du privé sur le public.

Avec la censure des comptes officiels de Donald Trump et la chasse aux sorcières maccarthyste contre les trumpistes, conduites par les géants de la Silicon Valley, les médias et une classe politique américaine rongée par la corruption, le monde est entré dans une dérive extrêmement dangereuse. D’autant plus dangereuse dans le contexte de la crise sanitaire et économique actuelle, où les médias nourrissent le sentiment de confusion parmi les populations, empêchant ces dernières de prendre la mesure réelle du danger. Au point que certains approuvent la censure d’un président des États-Unis par des entreprises privées, sans voir que cela fixe un précédent qui pourra désormais frapper n’importe qui.

Le bannissement de Trump de Twitter, Facebook, Instagram, etc, est équivalent à « une explosion nucléaire dans le cyberespace » , a déclaré Maria Zakharova, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères. Pour l’ancien président Dmitri Medvedev, actuel vice-président du Conseil de sécurité de Russie, il s’agit d’un « cyber-totalitarisme » qui « envahit progressivement la société », les géants du numérique californiens tentant de se substituer aux institutions de l’État et d’imposer leurs vues sur les masses.

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Dans une interview accordée le 15 janvier à la China Radio International (CRI), la présidente internationale de l’Institut Schiller, Helga Zepp-LaRouche, a déclaré :

Bien que l’on puisse être en désaccord avec Trump, cette censure est un coup d’État par les Big Tech et par le complexe militaro-industriel dont elles font partie, et qui considèrent la Chine et la Russie comme leur ennemi. (…) Ils ont accumulé un pouvoir qui dépasse tout ce que nous avons connu dans l’histoire ; les laisser censurer tous ceux avec qui ils sont en désaccord reviendrait à accepter la dictature.

Xi Jinping contre l’empire Jack Ma

A l’autre bout du monde, le gouvernement chinois s’est engagé dans une voie diamétralement opposée. Le 3 novembre, alors que l’entrée en bourse du groupe Ant, le bras financier d’Alibaba, devait consacrer l’intégration des géants numériques chinois dans la mondialisation financière, Beijing a soudainement mis un coup d’arrêt à l’opération.

Quelques jours plus tôt à Shanghai, Jack Ma – le « Steve Jobs chinois » – avait ouvertement critiqué le « système financier et bancaire chinois archaïque et entravant l’innovation ». Un crime de lèse-majesté de la part du fondateur d’Alibaba, qui se trouvait déjà dans le collimateur de la Commission pour la stabilité financière et le développement dirigée par le vice Premier ministre Liu He.

Et tandis que Jack Ma a ensuite disparu de la circulation, les autorités chinoises ont accru la pression : le 10 novembre, la nouvelle réglementation anti-monopole s’appliquant aux géants du numérique a été présentée, et le 14 décembre Alibaba et Tencent ont été condamnées à verser une amende symbolique de 70 000 euros ; tout en mettant sur la table la carte de la nationalisation (imaginez le gouvernement américain nationalisant Amazon !) Le message est clair pour les BHAXT (Baidu, Huawei, Alibaba, Xiaomi et Tencent – l’équivalent chinois des GAFAM) : en Chine, c’est le politique qui tient les leviers de l’avenir économique du pays.

Au-delà des propos outranciers de Jack Ma, la décision du Président Xi Jinping, qui est intervenu personnellement, a été motivée par la trop grande puissance acquise par ces géants chinois du numérique ; ces sociétés détiennent en effet un « trésor numérique » avec les données bancaires et numériques de la population, qu’elles ne souhaitent pas partager avec le régulateur ou les banques publiques ; et surtout, les plateformes de paiement comme Alipay, qui monopolisent le secteur du paiement en ligne et du e-commerce, posent des risques systémiques pour le système financier chinois.

En agissant ainsi, la Chine nous montre la route à suivre. Une route que nous connaissons bien, puisque que c’est celle que nous avons, nous mêmes, suivie à plusieurs reprises au cours de notre histoire, en particulier pendant les Trente Glorieuses et la planification gaulliste, à l’époque où la politique de la France ne se faisait pas « à la corbeille », comme le disait le général De Gaulle. Depuis quatre décennies, les « élites » françaises ont trahi cet héritage, et fait carrière en se soumettant à la mondialisation financière et aux trois groupes qui la dominent, c’est-à-dire Wall Street, la City de Londres et la Silicon Valley – une oligarchie qui a littéralement « piraté » le capitalisme et l’a transformé en un système de pillage financier et de contrôle social...

Ainsi, s’il est utile de dénoncer « l’oligarchie digitale », comme l’a fait Bruno Le Maire en réaction à la censure de Donald Trump par les GAFAM, il en faudra davantage pour retrouver la confiance des Français.

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