Haut Karabakh : « La Méthode Poutine »

mardi 24 novembre 2020, par Christine Bierre

Cet article est paru le 15 novembre sur le site de l’Alliance Franco-russe. Il nous présente, comme aucun autre journal ne l’a fait en France, les véritables causes du réveil brutal du conflit au Haut Karabakh, gelé depuis 1995. Il nous montre aussi, la rapidité et la puissance d’action de M. Poutine pour stopper net des évolutions militaires qui peuvent conduire au pire.

La Méthode Poutine

par Denys PLUVINAGE

Le 9 novembre 2020, le président russe Vladimir Poutine annonçait un cessez-le-feu entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie qui devait entrer en vigueur à minuit le jour même. Un accord avait été signé entre ces deux pays et la Russie qui prévoyait le déploiement d’une force de maintien de la paix russe.

Au moment où les chaines de télévisions russes annonçaient la nouvelle le 10 novembre au matin, elles nous montraient déjà des images du départ de contingents de l’armée russe embarquant dans des avions de transport à destination du Karabakh.

L’accord signé prévoit, le déploiement de 1.960 militaires russes avec armes et bagages, camions, transports de troupe et, plus tard, des hélicoptères qui appuieront les troupes au sol dans leur mission.

Tout ceci mettait fin à une guerre qui a fait un grand nombre de victimes, civiles et militaires et provoqué des mouvements de population.

Du côté de Bakou, la nouvelle a provoqué des manifestations de joie, le président Aliev ayant présenté la fin de la guerre comme une victoire azérie. En effet, l’accord signé prévoit que l’Arménie devra rétrocéder une part importante des territoires qu’elle avait saisis à la suite du premier conflit de 1988 à 1994. Ces territoires se trouvant entre l’Arménie et le Haut Karabakh, un corridor sera ouvert reliant l’Arménie au Haut Karabakh. Ce corridor sera contrôlé par les forces de maintien de la paix russes.

Sans surprise, le côté arménien ne voit pas la situation de la même manière et les manifestations à Erevan ont rapidement pris un tour violent, avec occupation de bâtiments publics dont l’Assemblée nationale dont le président a été malmené, destruction des locaux de l’ « Open Society » de George Soros, et chasse au premier ministre Nikol Pashinian dont les manifestants réclamaient la destitution.

Dix-sept partis d’opposition ont réclamé la création d’un comité de salut public et la démission de Pashinian. Ce dernier a en effet largement contribué à la défaite par la politique qu’il a mise en œuvre depuis son élection, sous les directives de ses protecteurs de la CIA et du MI6. Son axe principal était la séparation avec la Russie. Il a quasiment supprimé toute participation de son pays à l’OTSC, coupé toute coopération avec la Russie dans les domaines de la sécurité et du renseignement, mais surtout, il a purgé l’armée et les services de renseignements de tous les éléments jugés « pro-russes ». Mais il y avait là les officiers vétérans de la première guerre du Karabakh, qui avait été gagnée par l’Arménie.

La Turquie n’est donc pas partie prenante à cet accord bien qu’elle ait été tenue au courant de la situation à différents niveaux, des présidents aux ministres des Affaires Etrangères, en passant par les ministres des Armées russe et turque. Première réaction du président turc : envoyer une force de maintien de la paix. Vladimir Poutine lui a alors fait remarquer que ceci n’était pas prévu par l’accord signé et qu’il n’était pas question d’accepter un contingent turc dans ce rôle.

Il est évident que l’Azerbaïdjan conserve le droit d’inviter des militaires turcs sur son territoire, mais ceux-ci ne seront pas considérés comme « force de maintien de la paix » et n’auront donc pas les droits qui y sont associés. Afin de ne pas risquer de se couper de la Turquie qui est tout de même un acteur important, quoique parfois « encombrant », de la région, il a été décidé de créer un centre de coordination entre les militaires russes et turcs. Mais ce centre se trouve sur le territoire de l’Azerbaïdjan et ses moyens matériels sont, pour le moment, extrêmement limités.

La Turquie a donc trouvé de nouveau la Russie face à elle et ses espoirs de recréer un « Empire ottoman ». Elle ne peut pas entrer en conflit direct avec Moscou, mais cherche continuellement à entrainer la Russie dans des affrontements armés avec des pays tiers. Ainsi, un certain nombre d’observateurs pensent que c’est en réalité les forces turques qui ont abattu l’hélicoptère russe dans l’espace aérien arménien. On se souvient du chasseur russe abattu au-dessus de la Syrie. Mais la réaction immédiate du président azéri a ruiné cet effort d’attirer la Russie dans le conflit. Ce dernier qui, mentionnons-le au passage entretient des liens amicaux avec Vladimir Poutine, l’a appelé pour prendre la responsabilité de l’attaque, présenter ses excuses, et promettre des compensations et une enquête pour trouver les responsables de cette action. Ankara est donc le deuxième perdant dans cette affaire. Les autorités turques insistent sur le fait que des forces ont été invitées sur le territoire Azéri, mais il s’agit surtout d’une façon de sauver la face. L’Azerbaïdjan et la Turquie ont toujours été proches et il s’agit donc de quelque chose de normal. Mais que vont pouvoir faire ces forces turques qui ne seront pas officiellement des unités de maintien de la paix sinon observer la situation ?

Le vrai vainqueur dans cette opération est la Russie
qui a montré qu’elle est le seul pouvoir qui peut apporter la paix dans le Caucase. L’ambassade américaine à Erevan et ses deux mille employés n’a rien pu faire d’autre qu’entrainer l’Arménie dans une politique suicidaire anti russe. Avec 1960 soldats, la Russie a ramené la paix en moins de 24 heures. Ces soldats ne sont pas n’importe quels soldats comme l’explique notre ami Jean-Robert Raviot dans son article. Cette unité est spécialisée dans le maintien de la paix ou, pourrait-on dire, dans l’imposition de la paix. Elle est composée de professionnels qui sont intervenus en Géorgie en 2008 et, plus récemment, en Syrie. L’armement de ces hommes a été jugé un peu léger par certains, mais ils peuvent compter sur le support de toute l’armée russe. Selon l’accord de cessez-le-feu, ces unités resteront au moins cinq ans sur place, durée qui sera étendue par périodes de cinq ans, par accord tacite des parties.

L’autre point concerne les deux « corridors » ouverts, l’un entre le Haut-Karabakh et l’Arménie et l’autre, plus au sud, entre l’Azerbaïdjan et la province azéri de Nakhichevan. Ces deux corridors seront gardés par des unités de gardes-frontières russe qui sont des unités militaires qui suivent un entrainement comparable à celui des unités aéroportées. Personne n’insiste officiellement sur ce point mais cela donne un très grand pouvoir à la Russie dans cette région. La Russie qui n’était présente que dans le Nord Caucase occupe maintenant une position de force dans le Sud Caucase.

Pour le moment, le conflit s’inscrit dans la liste des « conflits gelés ». La situation actuelle ne peut être considérée comme définitive, il y aura encore des accrochages, des provocations mais la situation générale a considérablement changé. Le président turc va chercher une forme de revanche et tout va dépendre de la façon dont les autorités russes vont gérer ce problème. Elles ont toutefois acquis, en Syrie, une expérience qui pourrait leur être utile ici.