La justice US donne raison à Snowden : la surveillance de masse de la NSA est illégale

mercredi 9 septembre 2020

Chronique stratégique du 9 septembre 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Un tribunal américain vient de déclarer illégale la surveillance de masse appliquée par la NSA (la National Security Agency, avec la CIA, le plus important service secret des États-Unis), donnant raison au lanceur d’alerte Edward Snowden, qui a courageusement dévoilé ce programme en 2013. Plus grave encore, le tribunal a souligné que ce programme d’espionnage s’était avéré impuissant à stopper une quelconque attaque terroriste, donnant cette fois-ci raison aux lanceurs d’alerte Kirk Wiebe et William Binney, deux hauts responsables de l’agence qui avaient démissionné au lendemain du 11 septembre 2001, et qui ont pris la parole ce week-end lors de la conférence internationale de l’Institut Schiller.

La vérité finit toujours par l’emporter. Le 2 septembre, sept ans après le début du parcours épique d’Edward Snowden, depuis les quartiers de la NSA à Hong-Kong puis à Moscou, où il a trouvé l’asile politique, la cour d’appel fédérale du 9e district, à San Francisco, a rendu un avis sans détour : la surveillance téléphonique menée par la NSA pour collecter secrètement des millions d’échanges représente une violation de la loi régissant les opérations des agences de renseignement.

Snowden, qui est inculpé au pénal aux États-Unis pour espionnage et vol de secrets d’État, et qui risque jusqu’à 30 ans de prison, a écrit sur son compte Twitter : « Je n’aurais jamais imaginé que je vivrais assez longtemps pour voir nos tribunaux condamner les activités de la NSA comme étant illégales et dans le même jugement me créditer pour les avoir exposées. Et pourtant, ce jour est arrivé ».

Cette décision de la cour américaine confirme que le vent commence à tourner aux États-Unis, après que le président Trump a lui-même opéré en août dernier un virage à 180° à propos de Snowden, en évoquant la possibilité de lui accorder la grâce présidentielle. Les dirigeants politiques français qui, de François Hollande à Emmanuel Macron, ont fait la sourde oreille aux demandes d’asile de l’ancien informaticien de la NSA, feraient bien d’en tirer les leçons, et accorder immédiatement l’asile à Julian Assange avant qu’il ne décède dans la prison britannique, où son état de santé se détériore de jour en jour.

A lire aussi

Pourquoi Londres veut supprimer Julian Assange

Le 11 septembre aurait pu être empêché

Plus terrible encore pour tous les anciens dignitaires des administrations Bush et Obama — deux présidents qui ont menti comme des arracheurs de dents à ce sujet —, cette surveillance de masse illégale a été parfaitement impuissante dans la lutte contre le terrorisme, selon la cour d’appel. En effet, pressés de justifier ce programme, les dirigeants de la NSA n’avaient réussi à citer qu’un seul cas où il aurait été efficace : celui de Basaalay Moalin, un citoyen américain d’origine somalienne reconnu coupable d’avoir transféré 8500 dollars (!) à une milice extrémiste liée à Al-Qaïda. Or, la cour a statué que la mise sous écoute de Moalin, en plus d’être illégale, n’avait pas été décisive, et que par conséquent aucune preuve ne lui a été présenté permettant de dire que le programme de la NSA a pu empêcher des attaques terroristes.

Les lanceurs d’alerte de la NSA William Binney (en haut à droite) et Kirk Wiebe (en bas à gauche), lors de la visio-conférence de l’Institut Schiller, le 5 septembre.

Si la dénonciation de l’illégalité du programme de surveillance par le tribunal américain donne raison à Edward Snowden, cette affirmation sur son inutilité dans la lutte contre le terrorisme donne raison à Kirk Wiebe et William Binney, deux anciens hauts responsables de la NSA devenus lanceurs d’alerte. Wiebe et Binney avaient démissionné en octobre 2001 de leurs postes (Wiebe en était un analyste et Binney le directeur technique), en protestation contre les choix politiques de l’agence.

Dans les années 1990, leur équipe à la NSA avait développé le programme Thin Thread (file fin) ; celui-ci est venu contrarier les projets de l’agence et du complexe militaro-financier, qui souhaitaient obtenir de la part du Congrès d’énormes budgets pour mettre en œuvre la surveillance de masse – quatre milliards de dollars, tandis que Thin Thread, qui impliquait un ciblage fin des réseaux terroristes sans violer la vie privée des citoyens, ne coûtait pas plus de deux millions.

Bill Binney, Ed Loomis et moi avons démissionné en octobre, juste après le 11 septembre, car nous étions effondrés de voir que notre petite solution, qui était effective et efficiente, n’avait pas été adoptée dans la lutte contre le terrorisme, et nous en avons vu les conséquences, a expliqué Kirk Wiebe lors de son intervention à la visio-conférence internationale de l’Institut Schiller, le 5 septembre. Suis-je certain à 100 % que Thin Thread aurait empêché le 11 septembre ? Oui, je le suis. Nous savions ce qu’il fallait viser. Nous savions où se trouvaient les sources, ce qu’il fallait cibler, et pour être franc, si vous demandez à Tom Drake – un autre lanceur d’alerte de la NSA –, il vous dira qu’après notre départ il a trouvé des informations, dans la base de données de l’agence, qui permettaient d’anticiper les attaques terroristes. Il nous a également dit qu’une équipe au sein de la NSA savait que le 11 septembre allait arriver, et s’apprêtait à publier un rapport, mais en a été empêchée par le directeur de l’agence d’alors, Michael V. Hayden.

Rappelons qu’en janvier 2001, l’économiste et homme politique américain Lyndon LaRouche avait estimé que l’administration Bush-Cheney, qui venait d’accéder au pouvoir, avait besoin d’un événement du type Incendie du Reischtag pour justifier la politique néoconservatrice de guerres au Moyen-Orient qu’elle mijotait.

Comme l’a souligné William Binney, au cours de la même visio-conférence, cette surveillance de masse n’a rien à voir avec la lutte avec le terrorisme ; elle représente plutôt la dérive autoritaire de la mondialisation financière, telle qu’elle est dominée par l’oligarchie de Wall Street et de la City de Londres. A travers l’acquisition massive de données par la NSA et par l’ensemble des « Five Eyes » (la coopération renforcée entre services secrets américains, britanniques, canadiens, néo-zélandais et australiens), cette oligarchie entend contrôler la société et empêcher toute résistance de s’organiser.

Une brèche s’est ouverte dans cette Tour de Babel, dans laquelle il faut s’engager.

A lire aussi

États-Unis : Sauver la République de l’État surveillance

Vous venez de lire notre chronique stratégique « Le monde en devenir ». ABONNEZ-VOUS ICI pour la recevoir sans limitation. Vous aurez également accès à TOUS les dossiers de ce site (plus de 400 !)...