Armes nucléaires : les Etats-Unis décrètent la fin de tous les contrôles

Wednesday 27 May 2020, by Christine Bierre


En annonçant le 22 mai leur sortie du traité « Ciel Ouvert », les Etats-Unis ont donné un nouveau coup à ce qu’il reste des garde-fous existant au niveau international contre la prolifération des armes nucléaires. Que peut-on espérer concernant le renouvellement du traité New Start, dernière pierre angulaire des accords russo-américains de contrôle des arsenaux atomiques ?

Par Christine Bierre

Nouveau coup de tonnerre dans le paysage du contrôle des armements nucléaires, les Etats-Unis ont annoncé le 22 mai leur sortie du traité « Ciel Ouvert ».

Signé en 1992 peu après la chute du mur, ce traité se félicitait de cet événement historique et, pour accroître encore la confiance, donnait le droit au 34 membres d’envoyer un avion non armé survoler le territoire des autres afin de s’assurer du respect des accords de limitations des armements existants par les uns et les autres, et éviter ainsi les conflits futurs.

Dans ce domaine, il s’agit du troisième traité dont les Etats-Unis sont sortis unilatéralement : en 2002, ils avaient quitté le traité ABM, qui interdisait le déploiements de missiles capables d’intercepter d’autres missiles ; en 2019, ils ont quitté le traité des Forces nucléaires intermédiaires (FNI), qui interdisait la construction et le déploiement d’armes dont la portée était comprise entre 500 km et 5 500 km.

De toute cette architecture des traités de sécurité qui avait pu éviter le pire durant toute la période de la guerre froide, il ne reste plus désormais que le traité New Start, qui vise à limiter l’augmentation des missiles stratégiques russes et américains. Signé en 2010 par les Présidents Obama et Medvedev, son renouvellement arrive à échéance en février 2021.

Pour faire monter encore la pression, Donald Trump a annoncé le 15 mai la mise en chantier d’un nouveau missile hypersonique  pouvant aller, selon lui, « 17 fois plus vite que les derniers nés de la Russie ». Selon le Washington Post, l’administration discute même de la possibilité d’effectuer un essai nucléaire, le premier depuis 1992. Escalade également en Europe où l’ambassadrice américaine en Pologne proposait que les armes nucléaires B-61, que les responsables du SPD hésitent à rapatrier sur le sol allemand après leur « modernisation » aux Etats-Unis, soient installées en Pologne !

Préserver la suprématie mondiale américaine

Bien que les Etats-Unis aient, à chaque fois, prétexté que la Russie « violait » ces traités pour en justifier leur propre sortie, il apparaît clairement que c’est plutôt leur volonté de se constituer, en tant que « vainqueurs de la guerre froide », en unique pouvoir du monde, qui explique systématiquement leurs décisions militaires. La sortie du traité ABM en 2002 a été suivie dès 2004 de l’installation de bases de missiles anti-missiles en Alaska et en Californie pour protéger le territoire américain contre des missiles entrants.

Des systèmes de défense Aegis, armés de puissants radars et de missiles pouvant intercepter des missiles ennemis, ont ensuite équipé les navires américains. A partir des années 2010, des systèmes identiques, mais conçus pour être basés à terre, les Aegis Ashore, ont été déployés en position avancée en Europe de l’Est et en Asie, aux frontières de la Russie et la Chine. En 2015 et en 2018, c’est la Roumanie et la Pologne qui en ont été équipés. En 2017, ces systèmes ont été déployés au Japon et en Corée du Sud, provoquant l’ire de la Chine. A ces déploiements, il faut ajouter ceux des « navires furtifs », des navires dont les émissions d’énergie sont réduites pour éviter qu’ils soient reconnaissables, et des destroyers américains.

S’agit-il d’armes purement défensives ? Non : non seulement ces systèmes peuvent être transformés rapidement en lanceurs de missiles à courte ou moyenne portées, mais surtout, ils peuvent être utilisés pour cibler la capacité de riposte nucléaire russe, par exemple, contre une éventuelle première frappe nucléaire lancée contre la Russie par les Etats-Unis. Ce que dénonce inlassablement Moscou.

Quant à la sortie américaine du traité INF, elle a été suivie – moins d’un mois plus tard – par le test du premier missile à portée intermédiaire conçu depuis la fin de la guerre froide ! Lancé depuis l’île de San Nicolas, au large de la Californie, il s’agit d’une variante du missile de croisière sol-sol Tomahawk. Sergueï Riabkov, ministre adjoint russe des Affaires étrangères n’a pas manqué de souligner qu’un si court délai était une preuve que les Etats-Unis violaient déjà le Traité INF avant de l’avoir quitté. Plus révélateur encore, ce test illustre l’inter-opérabilité entre les missiles d’attaque et les missiles anti-missiles. Riabkov a justement noté que « les Etats-Unis déploient depuis longtemps des missiles de croisière de moyenne portée embarqués, qui sont généralement tirés depuis des systèmes Mark 41, comme cela a été le cas dimanche », les mêmes qui sont utilisés pour lancer les missiles anti-missiles.

Quid du New Start ?

Dans ce contexte, quel est le sort réservé au traité New Start qui deviendra caduc en février prochain si rien n’est fait pour le renouveler ?

Le 7 mai, les Etats-Unis ont lancé une énième provocation.

Dans un entretien à Bill Gertz du Washington Times, Marshall Billingslea, le candidat de Donald Trump au poste de secrétaire d’Etat pour le contrôle des armements et la sécurité internationale, a sous-entendu que le renouvellement du New Start par les Etats-Unis dépendait de la volonté de la Russie à obliger la Chine à entrer dans les négociations ! C’est la Russie qui « doit amener la Chine à la table des négociations », a-t-il dit ; le New Start tel qu’il est « ne change rien » aux préoccupations américaines sur les nouvelles armes nucléaires chinoises.

Or, la position de la Chine sur cette question est très claire : elle rejette toute participation à cette négociation. Son arsenal nucléaire qui, comme celui de la France, se limite à la stricte suffisance pour la défense de son territoire, ne peut en rien être comparé à ceux des Etats-Unis et de la Russie, que le New Start limite à un plafond de 700 lanceurs et 1550 têtes nucléaires pour chacun.

Surtout, dans cet entretien au Washington Times, Billingslea a donné une lamentable impression d’amateurisme. Il a prétendu a contrario de tous les autres experts en contrôle des armements, que « le mécanisme de vérification du New Start est faible », alignant également plusieurs autres fausses affirmations. Il a par exemple déclaré à tort que le missile hypersonique russe, Kinzhal, était un missile intercontinental, et que la Russie violait New Start, alors que le 15 avril, son Département d’Etat donnait quitus à la Russie.

Billinsglea a donné l’impression de ne « pas avoir été mis à jour pour son nouvel emploi », a déclaré le 14 mai Maria Zakharova, porte-parole du Ministère russe des affaires étrangères. « Il n’a même pas eu le temps de lire le rapport de son propre Département sur la mise en conformité des pays étrangers avec les traités et les accords internationaux ». Quant à l’idée que ce serait à la Russie d’amener la Chine à se joindre au New Start, Zhaharova a rétorqué que « la Russie est prête à soutenir des efforts multilatéraux pour améliorer la sécurité internationale mais qu’aucun pays ne peut être contraint à les rejoindre ».

Serguei Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, a répondu sur le fond de cette question : « l’Administration américaine au pouvoir est en train de déphaser le terme ‘stabilité stratégique’ et d’introduire une nouvelle notion, celle de rivalité stratégique entre grandes puissances ». En d’autres termes, elle est en train de remplacer la « stabilisation d’une situation » par la recherche d’une « confrontation ».

Vers un non-renouvellement du New Start

Les nouvelles ambitions affichées par l’administration américaine pour le New Start ont conduit de nombreux commentateurs à conclure qu’en réalité, les Américains se cherchent une excuse pour ne pas reconduire ce traité. En temps normal, pour la simple reconduction d’un traité, il faut déjà des centaines d’heures de négociations et de rencontres entre partenaires. Or, à quelques mois des élections américaines, alors que la campagne bat déjà son plein, il ne reste pas assez de temps, ne serait-ce que pour une simple reconduction du traité, et donc encore moins pour un traité foncièrement nouveau qui amènerait un troisième partenaire à la table des négociations.

Les déclarations du responsable américain ne viseraient donc qu’à mettre de l’huile sur le feu dans la campagne de diabolisation menée par Washington contre la Chine, mettant au passage la Russie également sous pression. Ceux qui croyaient que la Russie pourrait se rapprocher des Etats-Unis sur cette question car l’augmentation d’armes nucléaires chinoises sur sa frontière sud représenterait un danger aussi pour elle, en prennent ainsi pour leur grade, comme l’illustre la déclaration de Sergueï Lavrov citée ci-dessus. Que peut offrir à la Russie un Occident qui se débat dans la pire crise de son histoire ?

La réalité de la sortie « unilatérale » des Etats-Unis de ces traités est parfaitement conforme à la volonté annoncée dans les principaux documents publiés chaque année par le Bureau du secrétaire américain à la Défense Mark Espers, la National Defense Strategy : rebâtir sa puissance qui s’est « érodée » ces dernières années, pour faire face au danger supposé que représenteraient la Russie et la Chine. Ces deux puissances sont explicitement accusées de vouloir mettre en cause « l’ordre basé sur les règles » occidentales, raison pour laquelle Washington a décrété dès 2017 le passage à une nouvelle ère de rivalité entre grandes puissances.

Quelle que soit la décision prise par Donald Trump concernant le New Start, la réalité est que ce processus correspond à ce que les Etats-Unis d’aujourd’hui voient comme leur intérêt.

A moins d’un changement drastique de sa politique, pour lequel nous devons nous battre, il faut donc s’attendre à une remise en cause de ce traité par les Etats-Unis, et ceci quelle que soit l’administration qui sera élue aux prochaines élections. Sans un tel changement, la perspective devant nous sera celle d’une nouvelle guerre mondiale.