Abolir notre servitude à l’oligarchie des créanciers

mardi 19 mai 2020

Chronique stratégique du 19 mai 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Les stigmates de l’ancien monde – chômage, pauvreté, famines, etc – sont exacerbés par la crise sanitaire. Pour ouvrir la porte du « monde d’après », il va falloir faire sauter le verrou de la dette. Le débat est ouvert en France, à nous d’apporter des solutions.

Jamais une crise n’aura été aussi interconnectée – sanitaire, économique, sociale, financière, alimentaire, etc – et globalisée. A la différence de la crise financière irrésolue de 2007-2008, il s’agit d’une crise d’effondrement, et sans doute la plus grave crise de l’histoire de l’humanité. « The Big One », comme la qualifie Helga Zepp-LaRouche, la présidente internationale de l’Institut Schiller.

Ne considérer que tel ou tel aspect particulier de cette crise, comme une chose en soi, ne pas la comprendre dans sa totalité, c’est se condamner à l’impuissance. Car c’est bien l’ensemble du système néolibéral qui vacille sur ces fondements ; une dictature des oligarchies qui dominent le monde – où les 500 grandes sociétés transatlantiques contrôlent 52,8 % de toutes les richesses produites sur la planète (chiffres de la Banque mondiale), et dictent leurs lois aux États et aux peuples via la servitude par la dette.

La pandémie de Covid-19 expose cet ordre criminel dans sa fragilité, tout en en démultipliant les effets destructeurs – l’exemple le plus évident étant l’hôpital public, saigné jusqu’à l’os par plus d’une décennie d’austérité et de gestion managériale.

Chômage, plans sociaux et nouveaux pauvres

Tandis que les uns et les autres rivalisent de beaux discours sur le « monde d’après » dans lequel « rien ne sera jamais plus comme avant », les stigmates de l’ancien monde du féodalisme financier – chômage, pauvreté, famines, etc – sont plus vivaces que jamais.

La situation de l’emploi laisse présager un sombre avenir, si rien n’est fait. En France, le taux de chômage a augmenté de 7,1 % en mars (246 000 personnes), et on s’attend à 600 000 chômeurs supplémentaires d’ici à fin juin, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui prévoit 10 % à 12 % de chômage à la fin de l’année.

Aux États-Unis, 36,5 millions de personnes ont fait une demande d’allocation chômage en deux mois. 1,4 millions de soignants ont perdu leur emploi, un paradoxe qui s’explique par le fait que la priorité a été mise sur le coronavirus (peu rentable) en délaissant les autres pathologies plus rémunératrices pour des hôpitaux toujours sur la crête. D’après la Réserve fédérale, le taux de chômage, qui était déjà de 14,7 % fin avril, devrait toucher 25 % de la population américaine d’ici à un mois, soit des niveaux dignes de la Grande Dépression des années 1930.

Des deux côtés de l’Atlantique, bien que la généralisation du chômage partiel évite le pire, les annonces de plans de licenciements massifs et des fermetures d’usine définitives commencent à se préciser. Les secteurs de l’aéronautique, de l’automobile et du tourisme sont les plus durement frappés, avec une chute d’activité de 30 % à 50 %, ce qui provoque un effet domino depuis les grands groupes tels que Airbus, Renault et PSA qu’on aide à faire face, jusqu’aux sous-traitants qu’on a tendance à négliger. Le JDD cite l’exemple de Daher, le fournisseur d’Airbus, qui a évoqué le 14 mai « un plan de survie » impliquant la disparition de 3000 postes.

Partout dans les pays « développés » occidentaux apparaissent, après les « working poor », des « nouveaux pauvres » par millions. Dans les pays les plus touchés par la pandémie, les demandes d’aide alimentaire ont augmenté de 25 à 30 %. Pour la première fois depuis sa création en 1971, Médecins sans frontières intervient au Royaume-Uni et en Allemagne.

A Barcelone et à Madrid, les demandes ont triplé, dont 40 % (selon Caritas) proviennent de personnes n’ayant jamais eu recours à ce type d’aide jusqu’ici. En Italie, on estime que le nombre d’Italiens ayant recours à l’aide alimentaire a augmenté de plus d’un tiers, pour atteindre 3,7 millions de personnes. En France, où le chômage partiel assuré a fait basculer 800 000 personnes en situation de « sous-emploi », les associations comme les Restos du Cœur ou le Secours Populaire ont enregistré depuis le début du confinement entre 20 et 60 % de bénéficiaires en plus. Une situation qui sera certainement aggravée par la décision du gouvernement de raboter la part de sa prise en charge du chômage partiel à partir du 1er juin. Au niveau mondial, la crise sanitaire risque de précipiter 500 millions de personnes dans la pauvreté, selon Oxfam.

La boîte de Pandore est ouverte

Face à cette aggravation fulgurante de la situation économique et sociale, aucun plan à la hauteur n’est mis de l’avant. Les promesses d’Emmanuel Macron et d’Olivier Veran pour un « grand plan pour l’hôpital » sont bien jolies mais un peu douteuses, car rien n’est dit sur la bureaucratie qui a été installée à la direction de l’hôpital public, et qui a soumis les personnels soignants à une « rationalisation » et une infantilisation insupportables. Aux États-Unis, comme le fait remarquer le New York Post, le plan de 3000 milliards de dollars pour faire face aux conséquences économiques de la pandémie, voté vendredi dernier au Congrès, contient plus de fois le mot « cannabis » (68 fois) que le mot « job » (52 fois).

Et pourtant, devant la forte probabilité que la pandémie reparte, sans doute à l’automne, l’OMS demande aux États de se préparer en investissant massivement dans les capacités hospitalières, aussi bien en termes d’équipements que de personnels. C’est donc en pleine tempête qu’il faut reconstruire le navire, bien avant d’arriver à bon port.

En l’absence de volonté politique de s’attaquer aux causes systémiques de la crise, le fossé ne peut que se creuser entre les « élites » et le peuple. Et, dans la jungle des théories conspirationnistes qui ne manquent pas de happer des milliers d’internautes, la question de la dette est essentielle pour identifier l’ennemi et les moyens de nous en libérer.

A lire aussi

Covid-19, Bill Gates et les vaccins : de quelle conspiration parle-t-on ?

D’autant que le sujet est sur la table en France, depuis que Macron ait évoqué « l’annulation de la dette » de l’Afrique dans son discours du 13 avril. Des « paroles gelées », dans sa bouche, aurait dit Rabelais. Mais avec « l’argent magique » mis sur la table pour faire face à la pandémie, la boîte de Pandore est désormais ouverte, et les « chiens de garde » du néolibéralisme se précipitent pour la refermer, ou du moins pour tenter d’occuper le terrain. La peur est palpable : « Beaucoup (…) tirent du fameux ’quoi qu’il en coûte’ présidentiel la conclusion que la contrainte budgétaire est imaginaire », écrit Jean Pisani-Ferry dans Le Monde, l’ancien conseiller économique de Macron, qui ajoute, du haut de son monétarisme sophiste et qui veut nous faire croire qu’il s’agissait de vrai argent, que ne pas payer la dette, c’est « transférer le fardeau à d’autres ».

En finir avec la « dette meurtrière »

La dette devient un problème lorsqu’elle est détachée de toute direction, de toute intention, de développement économique et de progrès humain, comme l’a expliqué Jacques Cheminade dans son dialogue du 8 mai avec les Gilets jaunes constituants. « Elle devient alors un pouvoir pour l’oligarchie des créanciers. Et, à travers toute l’histoire, cette oligarchie des créanciers a réduit les débiteurs à un état d’esclavage, de servitude ».

Aujourd’hui, les 122 pays les plus pauvres de la planète ont une dette extérieure cumulée de 2100 milliards de dollars. Dans les cas du Mali et du Sénégal, par exemple, l’intégralité de ce qu’ils gagnent grâce aux exploitations minières ou pétrolières va directement au remboursement des intérêts de la dette, explique Jean Ziegler, l’ancien rapporteur spécial auprès des Nations unies sur la question du droit à l’alimentation dans le monde, dans un entretien sur Clique.tv. « La dette est meurtrière, dans le sens qu’elle empêche ces États d’investir dans leurs économies ».

Ainsi, les gens qui applaudissent les personnels soignant chaque soir à 20h devraient exiger l’annulation de la dette de 33 milliards des hôpitaux publics !

Mais l’enjeu se situe au-delà de l’annulation des dettes illégitimes : il s’agit de se battre pour permettre à chaque nation, en coordination avec les autres, d’être souverain sur sa monnaie, en établissant un système de crédit national, ou « hamiltonien », dans l’esprit du premier secrétaire au Trésor américain, ou du Conseil national de la Résistance, qui avait créé en 1945 un Conseil national du crédit. Afin d’émettre des milliers de milliards, non plus comme le font actuellement les banques centrales pour renflouer le casino financier, mais pour créer 1,5 milliards d’emplois qualifiés à l’échelle mondiale.

Vous venez de lire notre chronique stratégique « Le monde en devenir ». ABONNEZ-VOUS ICI pour la recevoir sans limitation. Vous aurez également accès à TOUS les dossiers de ce site (plus de 400 !)...