Banques centrales : dealers de morphine monétaire en dernier ressort

jeudi 30 avril 2020

Chronique stratégique du 30 avril 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Les banques centrales jouent désormais le rôle de prêteur de dernier ressort ; elle ingèrent tout et n’importe quoi, et recrachent ensuite de l’argent à tout-va, dans le but de maintenir debout le pachyderme cadavérique qu’on appelle le système financier libéral.

Mise sous les projecteurs par la crise sanitaire, la dichotomie entre la finance et l’économie réelle est plus criante que jamais. La hausse actuelle des bourses en est la caricature, et l’on peut s’inquiéter de la santé mentale de ceux qui croient pouvoir faire de bonnes affaires dans un marché des actions perché dans la stratosphère, pendant qu’en bas l’économie mondiale bascule dans une récession dont l’ampleur dépasse déjà celle de 2008-2009.

Les banques centrales, la Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE) en tête, poursuivent leur politique de « sauvetage » de l’économie, en injectant des milliers de milliards dans les marchés, tandis qu’on ne trouve pas quelques millions pour aider l’Afrique à combattre l’épidémie de Covid-19, et que même des pays « développés » comme la France se croient incapables – aidés certes par des dirigeants irresponsables – de fournir des masques et des tests de dépistage à leur population.

Personne ne peut plus croire le conte de fée de la toute-puissance des banques centrales. Le choc pétrolier en cours, point névralgique où se rencontrent directement la spéculation financière et l’économie réelle, comme nous allons le voir, est la démonstration de la logique folle et criminelle entretenue par leur politique de morphine monétaire.

Une monnaie zombie pour un casino financier zombie

La Fed se comporte désormais comme la banque centrale mondiale, épaulée par les principales autres banques centrales, dans le rôle de prêteur en dernier ressort visant à sauver le dollar international et la vaste pyramide de Ponzi qui y est associée. Elle rachète tout – dettes, bons du Trésor, obligations hypothécaires –, quelle que soit la qualité. Par cette politique de rachats d’actifs sans limite, elle a fait exploser son bilan, passé de 4160 milliards de dollars fin février à plus de 6500 milliards aujourd’hui, soit 30 % du Produit intérieur brut des États-Unis. On dit qu’il atteindra 9000-10000 à l’automne, triplant sur l’ensemble de l’année 2020.

Sur la même période, la BCE a vu son bilan passer de 4690 à 5280 milliards d’euros ; l’augmentation est moindre, par rapport à la Fed, mais le total représente 45 % de l’économie européenne. Entre 2007 et février 2020 (soit avant la pandémie), le bilan des trois principales banques centrales du monde – la Fed, la BCE et la Banque du Japon – est passé de 3400 à 14 600 milliards de dollars, comme le souligne Le Monde.

C’est une fuite en avant folle. La Banque du Japon achète tout et n’importe quoi, même les actions, et relève constamment ses plafonds. La BCE contourne ses propres règles en rachetant des obligations pourries. Il s’agit de sauvegarder l’empilement fantastique de prêts du casino financier mondial, quitte à anéantir les sacro-saints principes du « libéralisme » et de la prise de risque ; désormais, les banquiers centraux assument l’intégralité des pertes de n’importe quel acteur des marchés, quelle que soit la nature de l’opération financière.

Quelle peut donc en être la limite ? Le monde réel, pardi ! Car la façon dont cette folie financière détruit l’économie physique risque de provoquer partout des soulèvements – insurrections sociales, émeutes de la faim, etc – qui menacent de faire basculer l’ensemble du système dans le chaos.

Le pétrole, point de rencontre entre la finance folle et l’économie réelle

La chute du prix du pétrole représente le point où le système financier fou rencontre directement l’économie réelle. Les variations échappent à toute rationalité au point que le cours du pétrole texan (WTI) est passé en territoire négatif le lundi 20 avril, pour la première fois depuis 1859. Ce processus révèle combien le marché de cette ressource, si essentielle à l’économie mondiale et donc à la vie de milliards d’êtres humains, est aujourd’hui parasité par une spéculation effrénée. Comme nombre de matières premières et denrées alimentaires de base...

En raison du confinement, la consommation de l’or noir a chuté d’un tiers, passant en huit semaines de 100 à 67 millions de barils par jour ; le cours s’est donc effondré, mais souvent dans des proportions bien plus importantes, comme le WTI et le Brent de New-York, qui ont chuté respectivement de 72 % et 85 %. Les capacités de stockage sont au bord de la saturation – des supertankers circulent en mer avec des chargements complets de pétrole. De nombreux fonds d’investissement, qui achètent des lots de 1000 barils de pétrole américain pour spéculer sur des ventes à terme, ne parviennent pas à trouver des acheteurs.

La situation est particulièrement sensible aux États-Unis, où des centaines de milliards de dollars ont été investis dans le pétrole de schiste et autres bitumes liquides. Des milliers d’entreprises américaines risquent de faire faillite du jour au lendemain, faisant exploser une bulle de plusieurs milliers de milliards de produits financiers dérivés.

L’Afrique, première victime

Les conséquences sont également immédiates dans de nombreux pays sous-développés, qui dépendent directement des revenus de l’exportation de pétrole pour importer les biens vitaux pour leurs populations. En Afrique, la Chambre africaine de l’énergie (CAE) tire la sonnette d’alarme sur les potentielles conséquences gravissimes de la chute du cours du pétrole. Dans les trois prochains mois, le continent devrait perdre 110 milliards de dollars en taxes, exportations de pétrole, emplois et contrats avec les entreprises locales, d’après la CAE. « Nous devons faire face à la réalité, car nous vivons une époque sans précédent, a déclaré Nj Ayuk, son président. L’incertitude est encore plus frustrante pour les compagnies pétrolières et les travailleurs. Pardonnez-moi, mais il y a du sang dans les rues, et dans l’eau et l’air il y a le coronavirus ».

De son côté, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) tire la sonnette d’alarme sur le danger de crise humanitaire dans le Sahel central, région qui inclut le Burkina Faso, le Mali, le Niger, etc, et où 4 millions de personnes luttent déjà contre la faim. Elles pourraient être 5,5 millions en août, selon l’Organisation. Coumba Sow, la coordonnatrice de l’équipe de résilience de la FAO, a souligné que la pandémie se répand à une période cruciale pour la région, car c’est le moment du semi et de la transhumance des troupeaux. Et pour l’instant, aucune aide alimentaire ou nutritionnelle n’est prévue pour les agriculteurs.

Si la pandémie continue à se répandre, « elle représentera une menace de plus en plus grande, avec une augmentation du nombre de personnes déplacées, une réduction progressive de l’accès aux services sociaux de base, une hausse des prix des denrées alimentaires, une diminution des denrées alimentaires, a déclaré Mme Sow. Les gouvernements ont pris des mesures comme la distanciation sociale et la fermeture des marchés. Cela créera des perturbations sur les marchés, tant pour les commerçants que pour les consommateurs ».

La clé est le développement économique. Pour cela, les banques centrales doivent être arrêtées dans leur folie, le casino financier doit être placé en règlement judiciaire, et le crédit, redevenu instrument des États et des peuples, doit retourner au travail humain, à la science, à la technologie, aux infrastructures, à l’hôpital...

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