Vite des mesures barrière pour nous protéger du virus financier !

mardi 21 avril 2020

Chronique stratégique du 21 avril 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Avec la moitié de l’humanité en confinement, l’économie mondiale se trouve littéralement gelée. Et, tandis que tout le monde y va de son « rien ne sera jamais plus comme avant », ou « plus jamais ça », les banquiers centraux poursuivent leur politique folle de morphine monétaire, afin de maintenir debout le système mort-vivant de Wall Street et de la City de Londres.

Entre le 20 et le 27 mars, la Réserve fédérale américaine (Fed) a ainsi injecté un million de dollars par seconde ! Période pendant laquelle, sans surprise, les indices boursiers ont remonté d’environ 25 %, alors qu’ils avaient plongé de 40 % du 19 février au 16 mars.

Partout, les chaînes de production sont perturbées, voire à l’arrêt ; la consommation et la demande s’effondrent. La baisse de 30 % de la consommation mondiale de pétrole entraîne la chute de son prix sur les marchés. Et, malgré l’accord passé entre les États-Unis, le Mexique, l’Arabie Saoudite et la Russie pour diminuer de 10 % la production mondiale, jugé insuffisant par les marchés, la chute se poursuit. Le baril de pétrole texan (WTI) est même descendu en territoire négatif ce lundi 20 avril, à -37,63 dollars !

Une aberration qui s’explique :
1) Par le dénouement des contrats sur le marché à terme, conduisant les opérateurs à préférer vendre à perte plutôt que payer un prix plus élevé pour réduire la production américaine.
2) Par l’endettement abyssal du secteur du pétrole et du gaz de schiste — destiné uniquement à payer sa dette —, qui s’avère donc incapable de réduire sa production ; et par la saturation des capacités de stockage, y compris des réserves stratégiques américaines et les tankers devant les côtes.

Les conséquences sont potentiellement désastreuses, d’une part pour les travailleurs de milliers d’entreprises américaines au bord de la faillite, et d’autre part pour les pays producteurs comme le Nigeria, l’Algérie, l’Indonésie, l’Iran, l’Égypte ou le Venezuela, qui dépendent des revenus des exportations de pétrole pour importer des biens alimentaires ou médicaux.

D’après l’ONG OXFAM, qui cite des estimations de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la crise alimentaire en Afrique de l’Ouest pourrait toucher 50 millions de personnes d’ici le mois d’août. Malgré les efforts des États, les populations font face à un début de hausse des prix et une baisse de la disponibilité de certaines denrées de base, conséquences des confinements ou couvre-feu mis en place depuis le début de la crise du coronavirus, de la fermeture des frontières et de l’insécurité dans certaines zones, ajoute l’ONG. Au Burkina Faso, en quelques jours, le sac de 100 kg de mil est passé de 16 000 à 19 000 Francs CFA, et le litre d’huile pour la cuisine a presque doublé.

Tout ceci crée les conditions d’une dangereuse dérive géopolitique où, sous l’impulsion des néo-conservateurs anglo-américains, l’on va chercher des boucs émissaires (la Chine) et la guerre...

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Attirer les gogos

Comme dans toute grande crise financière, le système cherche plus que jamais à attirer de nouveaux gogos à lui, parfois avec la participation zélée de certains responsables politiques. C’est ainsi que le 10 mars, au milieu de la chute des bourses, Agnès Pannier-Rumacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, déclarait sans rougir : « Nous avons aujourd’hui un système financier qui est beaucoup plus solide que pendant la crise de 2008. (…) C’est plutôt le moment de faire de bonnes affaires en Bourse aujourd’hui ».

Et il faut croire qu’elle a été entendue. Comme le rapporte Le Monde dans un article du 14 avril, de nombreux épargnants confinés, d’une moyenne d’âge de 38 ans, se tournent vers les placements boursiers. Le groupe ING rapporte ainsi que les transactions en Bourse ont été multipliées par quatre, et que les ouvertures de comptes – plan d’épargne action, Compte Titres, etc – ont été multipliés par six. Sur les six derniers mois, le nombre de clients investissant en Bourse a augmenté de 15 %. De même, les Français, convaincus que la réforme des retraites les privera d’une bonne retraite, orientent une part grandissante de leur épargne préférée – l’assurance-vie – vers des supports investis en Bourse.

Qui va payer ?

Cependant, d’énormes plans de « sauvetage » ont été engagés des deux côtés de l’Atlantique, pour éviter une chute libre de l’économie réelle. Outre-Atlantique, tandis que la Fed a mobilisé une capacité de 4000 milliards d’injection monétaire pour soutenir les bulles spéculatives, Trump a mis en œuvre un « plan de relance » de 1800 milliards (près d’un PIB de la France), en s’inspirant très fortement de l’helicopter money, une politique monétaire visant à distribuer de l’argent directement à la population pour relancer la consommation. Ce qui n’a pas empêché de jeter 22 millions d’Américains au chômage, les faisant perdre toute couverture maladie au passage, et faisant réapparaître le spectre des expulsions de logement.

En Europe, la Banque centrale européenne a mis en place un programme de 750 milliards d’euros de rachat d’actifs, et l’Eurogroupe a prévu 540 milliards d’aides supplémentaires. Tout cumulé, c’est-à-dire en comptant les différents plans nationaux, cela représente un total de 3200 milliards, comme l’a souligné l’ancien président de la BCE Jean-Claude Trichet. En France, certains estiment que l’on pourrait atteindre 150 milliards d’endettement, voire plus.

La question triviale se pose désormais : faudra-t-il payer, et qui ? A la suite de la présidente de la Banque centrale européenne Christine Lagarde, qui a estimé « totalement impensable » toute annulation de la dette, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau a affirmé dans les colonnes du JDD : « Il faudra rembourser cet argent. Le retour de la croissance par notre travail y contribuera. (…) Nous devrons également, sans freiner la reprise à court terme, traiter ce qui était déjà notre problème avant la crise : pour le même modèle social de nos voisins, nous dépensons beaucoup plus. Donc il faudra viser une gestion plus efficace, d’autant que les Français ne souhaitent pas payer plus d’impôts ». Une « gestion plus efficace », comme celle pratiquée dans l’hôpital public depuis dix ans ?

S’il y a bien une chose que les gardiens du temple de la finance folle sont incapables de remettre en cause, c’est leur « bonne morale budgétaire », même si celle-ci doit faire des millions de victimes... Car, dans leur logique, ceux qui paieront seront avant tout les 130 000 petites entreprises françaises qui ont bénéficié de la garantie publique, et les 9 millions de salariés placés en chômage partiel ; prenant le risque de provoquer de nouveaux soulèvements sociaux à travers le pays...

Ou alors, comme certains esprits dérangés l’ont proposé, on demandera à la Chine – désignée responsable de l’expansion de la pandémie de Covid-19 dans le monde – de payer la facture. C’est ainsi que le tabloïd allemand Bild Zeitung, reprenant à son compte la proposition de la Henry Jackson Society (HJS), un think tank néoconservateur anglo-américain, a demandé à la Chine de rembourser 140 milliards d’euros à l’Allemagne pour la dédommager des pertes économiques engendrées par la pandémie...

Isoler le virus financier

De la même manière que le déconfinement devra se faire en équipant toute la population en masques et en pratiquant un dépistage en masse, afin de se protéger du coronavirus et de finir par le tuer, une stricte séparation bancaire (un Glass-Steagall Act) est absolument nécessaire, afin de mettre les banques de dépôts hors d’atteinte de la gangrène spéculative qui ronge les banques d’affaires. Ce qui devra être accompagné d’un « jubilé sur les dettes », en faisant la part des choses entre les dettes légitimes qu’il faudra honorer et les dettes illégitimes qu’on passera par pertes et profits.

S’exprimant sur le site Global Research, l’ancien sous-secrétaire du Trésor Paul Craig Roberts estime que l’économie américaine n’aura aucun avenir sans Glass-Steagall associé à un programme d’infrastructures. Pour lui, la situation actuelle n’est que le « coup de grâce » d’un long processus :

La destruction de l’économie américaine a commencé lorsque les entreprises mondialisées ont délocalisé les emplois de la classe moyenne ; que le secteur financier a détourné une part plus importante des revenus des consommateurs vers le service de la dette. (…) Elle a commencé lorsque l’assouplissement quantitatif a gonflé le prix des actions et des obligations au-delà des valeurs réalistes ; lorsque les règles contre la concentration ont été mises de côté et que la loi Glass-Steagall a été abrogée ; losque des guerres sans fin ont évincé les investissements dans les infrastructures et dans l’expansion des filets de sécurité sociale.

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