Le « monde d’après » Covid-19 : Weimar ou Roosevelt ?

jeudi 9 avril 2020

Chronique stratégique du 9 avril 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Les premiers effets du choc économique provoqué par le confinement se font ressentir, laissant présager une terrible dépression mondiale. Face à l’impuissance de L’UE, qui s’empêtre dans ses divisions, entre les partisans du « on ne fait rien » et ceux de la « fuite en avant », des voix s’élèvent pour pointer le danger d’un effondrement similaire à l’Allemagne de Weimar dans les années 1920.

La question du « monde d’après » hante désormais toutes les consciences. Et ceux qui ont servi le système établi sont sans doute les plus mobilisés pour tenter de repeindre les murs fissurés du vieux monde, en y inscrivant le nouveau label du « monde d’après » dans l’espoir de duper une fois de plus la population, comme après la crise de 2008.

Récession

C’est désormais officiel, selon les critères statistiques de l’Insee : la France est entrée en récession, son produit intérieur brut ayant chuté de 6 % au premier trimestre 2020, confirmant une baisse amorcée au dernier trimestre de 2019 (et donc avant l’épidémie de Covid-19). La pire chute depuis 1945. L’activité économique a baissé de 17 % en mars, la restauration et le tourisme se trouvant littéralement à l’arrêt et la production industrielle ayant chuté de 25 %. « La situation est comparable à 1929 », a très justement souligné le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, sans que pour autant son gouvernement n’ait pour l’instant esquissé la moindre stratégie pour en sortir.

L’ensemble de la région transatlantique est au bord du gouffre. En Allemagne, on s’attend à une chute de 10 % du PIB au second trimestre. Outre-Atlantique, 6,6 millions d’Américains se sont inscrits au chômage en une semaine, et les économistes redoutent un taux de chômage dépassant bientôt les 30%, c’est-à-dire de l’ordre de celui de la Grande Dépression des années 1930.

« Une situation comparable à l’Allemagne post-Versailles »

Face à cette situation, L’UE se révèle (sans surprise) n’être qu’une caricature de l’impuissance. La réunion de l’Eurogroupe du 7 avril s’est de nouveau soldée sur un fiasco, entre d’un côté les pays du Nord, partisans de l’utilisation du Mécanisme européen de stabilité (MES), et de l’autre les pays du Sud, partisans d’une mutualisation des dettes des États-membres – à travers les « coronabonds » ou « eurobonds ». Les premiers, tel des moules sur le rocher, s’accrochent aux sacro-saints principes de l’orthodoxie budgétaire et à leurs conditions privilégiées d’accès aux marchés, et refusent toute mutualisation. Les seconds invoquent la nécessité de lever toute restriction à l’endettement pour permettre aux pays de faire face à la crise du coronavirus. Solution qui ne serait pas pour déplaire aux marchés financiers, qui y trouveraient une nouvelle source de revenus grâce à des nouveaux titres de dette jouissant de la note triple A...

Dans une tribune parue le 7 mars dans le tabloïd allemand Abendzeitung, l’économiste Hans Werner Sinn, ancien dirigeant du l’Institut de recherche économique IFO et membre du « Conseil des sages » qui conseille le gouvernement, renvoie dos à dos ces deux approches et met en garde sur la gravité de la situation, similaire selon lui à celle qu’a connu l’Allemagne de Weimar suite au Traité de Versailles :

Nous nous écartons de plus en plus d’une politique de banque centrale s’attachant à défendre la valeur de la monnaie. Le poids de la masse monétaire sur l’économie réelle est de plus en plus important, écrit-il. Je me rappelle la période après la 1ère Guerre mondiale où, dans le contexte d’une économie détruite et de l’arrivée de la grippe espagnole, l’Allemagne avait tenté de s’en sortir en imprimant de la nouvelle monnaie.

Un avertissement qui vaut tant pour les plans fous proposés à Bruxelles et à Francfort que les 4000 milliards de dollars d’injection monétaire de la Réserve fédérale américaine.

Roosevelt

Bruno Le Maire évoque la crise de 1929 ? Qu’à cela ne tienne ! Voyons comment Franklin D. Roosevelt, qui est devenu président des États-Unis le 4 mars 1933, a sorti son pays de la Grande Dépression dès les 100 premiers jours de sa présidence :

  • 9 mars : Fermeture temporaire des banques.
  • 29 mars : Loi régulant la vente d’actifs financiers.
  • 31 mars : mobilisation du Civilian Conservation Corps (CCC), remettant 250 000 Américains au travail, dans les domaines des forêts, de l’érosion des sols et de la gestion de l’eau.
  • 12 mai : Mise en place d’une parité des prix alimentaires pour stopper la baisse des revenus des agriculteurs. Gel des fermetures des exploitations agricoles et des évictions des familles. Établissement d’un système de crédit assurant le maintient de l’activité des agriculteurs.
  • 18 mai : Tennessee Vallee Authority Act, loi lançant un projet d’infrastructure géant à long terme, destiné à améliorer l’environnement et la vie de millions d’Américains.
  • 13 juin : Vote du Homeowner’s Loan Act, refinançant les hypothèques immobilières pour tous les propriétaires sur le point de perdre leur logement.
  • 16 juin : Vote du Glass-Steagall Act, la loi séparant les banques de dépôt et les banques d’affaires. Il s’agit du principal pilier législatif ayant permis à Roosevelt de mettre un terme aux aspects les plus insensés de la spéculation financière, et d’assurer que le crédit soit réorienté vers l’économie réelle.

La pandémie du coronavirus et l’effondrement du modèle néolibéral forment une seule et même crise, et seule une toute nouvelle politique, à l’image de celle de Franklin Roosevelt en 1933, nous permettra d’en sortir.

En France, dans une tribune publiée le 4 avril dans Le Monde, Frédéric Peltier, un ancien expert juridique de la Banque de France, estime qu’il faudra annuler « la dette du coronavirus » dans le cadre d’un Nouveau Bretton Woods qu’il appelle de ses vœux. « Espérons que les chefs d’Etat d’aujourd’hui seront à la hauteur de leurs aînés de 1944 », écrit-il.

Enfin, dimanche dernier, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador a évoqué lui aussi l’approche rooseveltienne :

Qu’a fait le président Roosevelt dans une telle situation ? Il a remis en marche l’économie avec des investissements ; redonné de l’emploi pour tous, un salaire minimum pour tous, surtout pour les jeunes ; relancé la construction industrielle. C’est ainsi qu’il a relevé les États-Unis et rendu au peuple bonheur et quiétude... Alors, pourquoi ne pas faire la même chose aujourd’hui ?

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