Covid-19 : Feuille de route de S&P, un chercheur franco-chinois réagit

lundi 30 mars 2020

Le confinement total de la ville de Wuhan.
Business Insider

Dans le cadre de la discussion que suscite la feuille de route présentée par Solidarité & Progrès esquissant les Pistes essentielles pour vaincre la pandémie de COVID-19, notre ami, le Pr Henri Tsiang, historien, auteur et chercheur émérite de l’Institut Pasteur, nous a fait le plaisir de nous faire parvenir ses remarques et commentaires. Il revient notamment sur la politique de confinement total adoptées en Chine et ce qui reste à faire en France.

Pour connaître le détail des mesures adoptées en Chine, nous vous renvoyons vers l’article de Hubert Testard publié sur Asyalist.

Réflexions au sujet du Covid19.

Pr Henri Tsiang

Pour avoir édité un texte sur le SRAS dans la revue Passages en 2004 [1], je suis particulièrement attentif au déroulement de la situation mondiale. J’ai deux réflexions à ce sujet.

Le premier point concerne l’interrogation sur le concept de démocratie. A mon avis, ce n’est pas la démocratie qui est en cause mais une dérive comportementale qui est la conséquence d’un mauvais usage de la démocratie. Il n’y a pas à l’opposer à des régimes autoritaires qui sont la majorité en Asie. C’est plutôt le sens de l’individu opposé à celui de la collectivité dont le juste équilibre est difficile à atteindre.

Ensuite, le régime autoritaire en Chine n’aurait pas été suffisant pour que la population chinoise se mobilise avec autant d’efficacité. Son adhésion totale et même ses initiatives avaient été nécessaires.

Loin d’avoir été subie par la population, le confinement a souvent été anticipée par celle-ci, souvent en devançant les directives gouvernementales, par des actions régionales et locales. Les autorités centrales se sont appuyées sur une véritable auto-gestion. Ces deux points sont la base d’un malentendu fondamental dans l’interprétation des évènements en cours.

Analyse faussée

Enfin il existe une analyse faussée sur l’évolution de la situation en Chine. L’observation de la courbe de croissance de l’épidémie en Chine est erronée. Elle indique une pente croissante du nombre de nouveaux cas suivie d’une décroissance spectaculaire de ceux-ci. L’épicentre de l‘épidémie, la province du Hubei n’enregistre plus qu’un seul nouveau cas depuis 6 jours. Se basant sur cette courbe, les épidémiologistes européens ont anticipé la perspective d’une courbe identique dans le temps d’après l’expérience des pandémies passées, genre influenza, et surtout d’après l’évolution en Chine.

Or la décroissance et la disparition du virus dans la population de la province du Hubei ne peuvent en aucun cas être amalgamé à ce qui s’est passé sur l’ensemble du territoire chinois. En effet, le confinement drastique et presque inhumain de la population de la province de Hubei, soit environ 5,5 millions d’habitants, a permis l’éradication totale du Covid19. Mais surtout, il a empêché la dissémination du virus dans le reste de la population chinoise, soit 1,4 milliard de personnes.

En Europe, la stratégie n’a pas été d’interrompre la diffusion du virus, mais de gérer la crise des urgences.

Si la Chine avait suivi le même chemin, les 12 plus grandes mégapoles chinoises auraient été infectées de la même façon que Wuhan, contaminant la majorité de la population chinoise et provoquant une véritable hécatombe.

Or des villes comme Pékin ou Shanghai ont cumulé chacune moins de 500 contaminés au total, enregistrant 8 décès pour Pékin et 5 pour Shanghai. Ces chiffres montrent que le confinement a préservé la Chine d’un désastre sanitaire. Il faut s’attendre hélas à ce que la courbe de mortalité en Europe ne diminuera pas de la même façon qu’en Chine. Les efforts en Chine auront été vains et le Covid-19 reviendra en Chine demain ou après demain.

Je pense qu’il serait utile de comparer le cumul des cas de personnes contaminés en Chine et sur le total des pays européens. Le résultat en serait frappant et devrait effacer les critiques sur les retards de la réaction chinoise. J’ai lu que le confinement en France aurait commencé au moment où elle a enregistré 8000 cas et 91 morts alors que la Chine aurait commencé le confinement avec 830 cas et 25 morts.

On commence maintenant à stigmatiser l’aide chinoise qui ne serait pas le fait d’un geste humanitaire mais celui d’intentions cachées pour diviser les pays européens.

L’ampleur des changements qui vont bouleverser le monde est à peine imaginable et on peut difficilement prévoir un quelconque scénario. Il est probable que ce sont les Etats-Unis qui subiront le plus gros choc en raison de la grande précarité d’une grande partie de sa population et de son système de santé défaillant.

Merci de me tenir au courant de vos analyses, c’est très précieux.

Cordialement,
Henri Tsiang


[1Henri Tsiang, « Le SRAS, un nouveau défi pour la Chine », n° 126-127, Passages, 2004