Revue de Livre : « Portrait d’Zep – 5 ans à l’école de la cité »

mardi 3 décembre 2019, par Christine Bierre

A l’approche de la grève du 5 décembre et suite aux résultats de la dernière étude PISA sur les systèmes éducatifs de l’OCDE, voici une revue du livre de Sophie d’Aix, professeur des écoles passionnée de son métier, qui nous offre un précieux témoignage de terrain.

Portrait d’Zep
5 ans à l’école de la cité
par Sophie d’Aix
Éditions : L’Harmattan 13 EUROS - 111 pages

Le quotidien difficile de nos enseignants dans les écoles des cités – niveaux des élèves extrêmement contrastés, abîmes entre cultures et religions, violence importée de la rue, rejet de l’autorité – n’est plus inconnu des Français.

Le livre de Sophie d’Aix nous parle de tout cela, pas sous forme de statistiques froides ou d’abstraits rapports sociologiques, mais au travers de mille et une anecdotes vécues auprès de ses élèves durant les 5 ans où elle a enseigné dans l’une de ces écoles.

Avant tout, elle nous montre comment il est possible d’avancer dans cette incroyable course d’obstacles à condition d’avoir la patience, la détermination et surtout l’amour et l’exigence de toujours faire progresser les enfants quelque soit leur niveau de départ. Ici les « maîtresses » devront savoir jouer le rôle de mères, pères, psychologues, assistants sociaux, enquêteurs, confesseurs...

D’abord, l’omniprésence de la violence, dans les salles de classe, mais aussi pendant la récré que les enseignants sont chargés de surveiller. Violence aussi des caïds, dont chaque classe accueille un certain nombre et qu’il s’agit de repérer et de cadrer. Tel ce « Lynx (...) qui transforme la classe en terrain de chasse ». Sa première proie : la craintive Aline. « Quand il a vu la peur dans ses yeux ... les mains ont fait étau... puis il a vraiment serré... Aline est devenu rouge, cramoisie, on est arrivés juste à temps »  !

En cause aussi, la progression constatée en 5 ans, de l’islam radical. D’un jour à l’autre, une jeune refuse d’écrire le mot « vin », de dessiner un cube car il ressemble à une croix, ou de s’asseoir à côté d’un garçon. « J’appelai sa maman, petite femme ronde et sympathique que j’avais rencontrée au début de l’année. Arriva une dame voilée, le visage sévère, que je ne reconnaissais pas. »

Enfin, le grand plaisir aussi de faire progresser les uns et les autres. Tel Mahdia qui confond les b et les d. « Nous travaillons donc sur le lien forme-son : le b de bébé qui porte son enfant sur le vendre et va vers l’avant, le d de dodo qui est parti se coucher dans l’autre sens et nous tourne le dos. Mahdia me regarde fixement. Un sourire lentement s’épanouit sur son visage et je me réjouis déjà qu’elle ait compris lorsqu’elle murmure : “Maîtresse, tu as des yeux magnifiques”. » 

Le cas de Félicien aussi, « un présent absent » que rien ne fait sortir de son mutisme. Quatre séances « découverte de la voix » seront organisées : respiration, émission de sons, de paroles, jeux vocaux. « Félicien se prend au jeu. Il émet un son, puis des paroles compréhensibles (...). Ses mouvements, de petits, se font amples ; sa voix sort, sa voix enfle, sa voix va tonner à la fin. (...) Je sais que j’ai ouvert un chemin pour le faire éclore ».

« J’ai quitté la cité heureuse et fourbue », dit Sophie d’Aix dans sa conclusion. « Fourbue par cinq années au front qui me laissaient le soir exténuée », mais « heureuse d’avoir vécu avec intensité, d’avoir pu aider certains grâce à ma sensibilité, d’avoir semé quelques graines d’amour, d’attention et de tendresse dont quelques uns avaient soif. »

En ce 3 décembre, avant la grève nationale contre une réforme des retraites qui s’en prend à ceux qui ont travaillé dans les conditions les plus pénibles, ainsi que contre la dégradation des conditions de travail dans des secteurs entiers de la fonction publique (l’éducation, l’hôpital, les impôts, les pompiers et la police) mais aussi du privé (les agriculteurs et les conducteurs routiers), nous tenions à publier cette revue de livre et à saluer Sophie d’Aix et bon nombre d’enseignants qui portent en eux cette notion de travail qui fait de l’homme un contributeur à la grande œuvre de perfectionnement de l’Univers.