Taux négatifs : quand le libéralisme viole ses propres principes

mardi 3 septembre 2019

Chronique stratégique du 3 septembre 2019 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Alors que le « tsunami financier », annoncé par Jacques Cheminade lors de la présidentielle de 2017, se profile à l’horizon, le système « libéral » de la mondialisation financière semble prêt à tout pour se sauver – quitte à agir à l’encontre de ses propres principes, notamment en spoliant les épargnants.

Les turbulences se rapprochent. Le mois d’août a vu s’accélérer le processus d’inversion des taux (c’est-à-dire lorsque les rendements des dettes d’État à long terme deviennent inférieurs à ceux à court terme). Comme le rapporte Reuters, les bons du Trésor américain à 30 ans ont atteint leur plus bas historique, et les taux d’intérêt à dix ans, qui sont très proches de ceux à 30 ans, sont passés en-dessous des taux à deux ans. « Il s’agit de l’inversion la plus importante (…) depuis 2007 », souligne l’agence de presse. Face à de tels signes annonciateurs d’une récession de la première économie mondiale, la panique a gagné les marchés, et les bourses ont dévissé.

Une telle inversion des taux est une véritable aberration qui montre le degré de folie s’emparant de la sphère financière. « Lorsque le taux d’intérêt sur les prêts à long terme est inférieur au taux d’intérêt à court terme, cela implique qu’il y a moins de choses pouvant mal tourner sur les prochaines années que les 30 prochains jours », explique Bill Bonner sur le site Contrepoints.org. Compte tenu de l’inflation, qui est en moyenne de 2 %, tout acheteur d’obligations est assuré de perdre de l’argent. À l’échelle mondiale, 17 000 milliards de dollars d’obligations sont aujourd’hui à des taux négatifs.

La mécanique infernale se met en branle : à la recherche de rendement, les acteurs institutionnels – fonds de pension, trusts, compagnies d’assurance, etc – se réfugient sur les obligations du Trésor américain (puisque leurs taux sont encore positifs), et provoquent donc la baisse de leurs rendements et l’inversion des taux, poussant les investisseurs boursiers – qui anticipent une récession – à vendre…

Spoliation et cannibalisme

La phase suivante – si aucune mesure n’est prise pour enrayer ce processus et poser les bases d’un nouveau système financier – verra fatalement les taux négatifs frapper directement les épargnants. C’est la phase cannibale de l’effondrement du système, où l’on s’en prend ouvertement à ce qui constitue pourtant l’un des parangons du capitalisme libéral : la propriété privée.

La Tribune de Genève (LTG), dans un article paru le 1er septembre, s’inquiète du fait que la Banque nationale suisse s’apprête à réduire de nouveau ses taux, qui se trouvent déjà en territoire négatifs. « Si les taux baissent davantage, ce qui est aujourd’hui attendu, les banques devront prélever un intérêt négatif sur tous les déposants », explique Nikolay Markov, économiste senior chez Picket Asset Management, cité par LTG.

« Vous avez 25 000 francs sur votre compte d’épargne. Un petit pécule économisé ou hérité. Aujourd’hui, votre banque vous verse un micro-intérêt en fin d’année. (…) Il est probable que votre petit capital de 25 000 francs ne sera plus que 24 750 francs douze mois plus tard, intérêt négatif oblige », explique le quotidien suisse.

En Allemagne également, à l’heure où la récession pointe son nez, les épargnants craignent le pire. Le ministre des Finances Olaf Scholz veut même interdire aux banques d’imposer des taux négatifs sur les dépôts de moins de 100 000 euros.

Pendant ce temps, en France, les brillants économistes du Conseil d’analyse économique (CAE), branche de France Stratégie (remplaçant du Commissariat au Plan), ont publié une note « disruptive », préconisant non pas de mettre un pare-feu entre la bulle spéculative et l’épargne populaire, mais de légaliser le cannabis, de façon à générer – dans une société en peau de chagrin – de nouveaux revenus fiscaux, quitte à cannibaliser les ressources créatrices de notre jeunesse (source : Le Figaro).

Après tout, à la demande d’Eurostat (l’agence statistique européenne), l’Insee n’a-t-il pas intégré en janvier 2018 le trafic de drogues dans le calcul du Produit intérieur brut (PIB) ? La vente de cannabis, de cocaïne et autres drogues génère en France environ 2,7 milliards d’euros, une hausse potentielle de 0,1 % du PIB. Les économistes du CAE se frottent donc les mains à la perspective des gains fiscaux pouvant être générés par une filière cannabis, qui représenterait entre 27 500 et 57 000 nouveaux emplois. « Avec un gramme à 9 euros, et des ventes estimées à 500 tonnes, 2 milliards de recettes fiscales pourraient être encaissées, lorgnent-ils. (…) Si ces emplois sont rémunérés à hauteur d’1,2 Smic, le montant total des cotisations sociales perçues irait de 250 à 530 millions d’euros ».

La folie suit souvent une logique implacable.

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