Après le G7, Macron sortira-t-il vraiment de l’ornière des néoconservateurs ?

vendredi 30 août 2019

Chronique stratégique du 30 août 2019 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

En recevant Poutine au Fort Brégançon, puis en invitant le ministre iranien des Affaires étrangères à Biarritz, lors du G7, Macron a, une fois n’est pas coutume, agit en cohérence avec son credo « gaullo-mitterrandien », à rebours des néoconservateurs qui parasitent la politique étrangère française depuis plus de dix ans.

Après deux ans d’une politique au service des 1 % les plus riches, le président Macron a perdu à peu près tous les leviers à l’intérieur pour reconstruire sa popularité. Il n’en a plus aucun avec l’Allemagne avec qui il avait tenté de faire tandem. L’un des derniers qu’il lui reste est la politique internationale. Et il a bien compris que sa posture « gaullo-mitterrandienne » pouvait rencontrer une certaine adhésion au sein de la population française – ce qui démontre, soit dit en passant, que cette dernière, bien qu’elle soit souvent encline à la petitesse et au misérabilisme, réagit toujours positivement dès lors que la France renoue plus ou moins avec ce qui fait sa grandeur, c’est-à-dire sa mission d’ambassadrice de la paix et de médiatrice pour un ordre mondial « de détente, d’entente et de coopération », comme le disait de Gaulle.

Rétablir des relations avec la Russie

Ainsi, sans donner un blanc-seing à Emmanuel Macron, il faut souligner les pas positifs qu’il a accomplis lors du G7 qui vient de se dérouler à Biarritz, notamment pour calmer les tensions entre les États-Unis et l’Iran, et aussi pour rompre avec l’hystérie anti-russe qui domine les élites occidentales depuis près d’une décennie. Il a sans doute été conseillé en cela par les « vieux sages » du Quai d’Orsay, comme Hubert Védrine, Jean-Pierre Chevènement, Jean Pierre Raffarin et Dominique de Villepin, partisans d’une approche plus « réaliste ».

Lors de la conférence annuelle des diplomates et des ambassadeurs, qui faisait suite au G7, le président français a justement souligné la nécessité d’inclure la Russie dans le jeu :

Si nous ne savons pas à un moment donné faire quelque chose d’utile avec la Russie, nous resterons avec une tension profondément stérile. Nous continuerons d’avoir des conflits gelés partout en Europe. Nous continuerons à avoir une Europe qui est le théâtre d’une lutte stratégique entre les États-Unis d’Amérique et la Russie. Et au fond à voir les conséquences toujours de la guerre froide sur notre sol. (…) Je crois qu’il nous faut construire une nouvelle architecture de confiance et de sécurité en Europe, parce que le continent européen ne sera jamais stable, ne sera jamais en sécurité, si nous ne pacifions pas et ne clarifions pas nos relations avec la Russie., a-t-il déclaré.

Macron, qui s’est dit favorable au retour de la Russie dans le G8, à certaines conditions, a expliqué aux ambassadeurs que les ministres français des Affaires étrangères et des Armées se rendront à Moscou dans quelques jours – une première depuis 2014, quand ce type de visite avait été suspendu.

La « secte » des néoconservateurs en émoi

Au-delà des questions de posture et de calculs politiques, il est certain que de tels propos doivent résonner désagréablement aux oreilles des néoconservateurs français, qui sont intrinsèquement hostiles à tout rapprochement avec la Russie. Pascal Boniface, le fondateur et directeur de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), qui a cité sur son compte Twitter les mots de Macron à propos de ceux dans « l’État profond » qui « peuvent être tentés de laisser parler le président et de ne pas en tenir compte, notamment sur la Russie », ne s’y est pas trompé, y voyant un « avertissement clair et net aux néoconservateurs ».

En parlant d’« État profond », terme habituellement attribué à l’extrême-droite et aux « complotistes », Macron touche un point sensible. « Sur la Russie, la politique de l’Élysée se heurte à de fortes résistances au sein de l’appareil d’État, écrit Jean-Dominique Merchet dans l’Opinion. Peu après son élection, Emmanuel Macron assurait vouloir rompre avec le ’néoconservatisme importé en France depuis dix ans’ au profit d’une politique d’inspiration plus ’gaullo-mitterrandienne’ ».

La « secte » des néoconservateurs français s’est en effet incrustée dans l’establishment des Affaires étrangères suite à l’élection de Nicolas Sarkozy. Alors que le « non » du couple Chirac-Villepin contre la guerre en Irak en 2003 avait constitué un rempart, la digue a sauté en 2007 ; la France a réintégré le commandement de l’Otan, et une fièvre ultra-atlantiste s’est emparée d’elle, au point de devenir plus guerrière même que les États-Unis, notamment dans les guerres en Libye et en Syrie.

Aujourd’hui, malgré les déclarations d’intention d’Emmanuel Macron en début de mandat, force est de constater que la pensée néoconservatrice est restée dominante, puisque les sanctions contre la Russie n’ont pas été levées, l’ambassade de Damas est toujours fermée. De plus, comme le faisait remarquer Marianne dans son dossier du 11 juillet dernier, Macron a récemment fait nommer Philippe Errera, un ex-représentant de la France à l’Otan qui passe pour l’un des principaux néoconservateurs à la française, comme Directeur général des Affaires politiques et de sécurité, l’un des postes les plus prestigieux des Affaires étrangères.

Ce qui s’est passé au G7 reflète donc la bataille qui se livre actuellement entre les néocons atlantistes et les partisans d’une approche indépendante gaulliste de la politique de la France dans le monde. Bien que la classe politique française manque aujourd’hui cruellement d’hommes et de femmes de caractère, un certain réalisme peut parfois prévaloir, surtout face au danger actuel d’escalade vers une guerre contre l’Iran, qui évoluerait très vite vers un conflit régional voire mondial.

Cependant, il nous revient de tracer la voie vers une nouvelle architecture monétaire et financière internationale, condition préalable pour permettre une véritable coopération Est-Ouest et Nord-Sud, définie autour de projets de développement mutuels tels que les Nouvelles Routes de la soie, que porte la Chine aujourd’hui. Sans quoi Macron continuera de parler d’audace face à la crise d’un « capitalisme accumulatif » produisant des « inégalités insupportables », tout en se faisant le sherpa d’un néolibéralisme destructeur du tissu social et économique...

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