Lettre ouverte, adressée à Monsieur Thomas Pesquet par Sébastien Drochon, responsable scientifique de Solidarité & Progrès.
« La Terre est le berceau de l’Humanité, mais on ne passe pas sa vie dans un berceau. »
Monsieur Pesquet, des chercheurs de l’Atelier d’écologie politique de Toulouse vous ont adressé une lettre le 25 juin dernier. A quelques semaines du 50ème anniversaire de la mission Apollo 11, nous aurions pu nous attendre à un chaleureux message d’encouragement pour vos futures missions vers la Lune ou bien vers Mars, mais non, bien au contraire. S’appuyant sur vos propres propos, comme quoi il n’existait aucun « plan B » pour protéger notre planète des catastrophes écologiques, les chercheurs en question vous ont tout bonnement demandé d’ « œuvrer à l’interdiction du tourisme spatial, de renoncer à retourner dans la Station spatiale internationale (ISS) », et vous ont exhorté à « réclamer un moratoire sur la conquête martienne. » Rien que cela ! Ceci « pour des raisons éthiques et écologiques », et sous prétexte que « l’humanité n’a pas une nécessité urgente à quitter la Terre, mais [qu’]elle a une nécessité urgente à trouver comment y rester avec des conditions de vie décentes pour tous. » Amoureux que nous sommes du progrès humain, nous ne pouvons que contester de telles demandes.
Certes, nous sommes d’accord sur un point : le « tourisme spatial » pour quelques millionnaires ou milliardaires (souvent prêts à payer plusieurs dizaines de millions de dollars pour passer quelques jours en orbite) est bien le résultat de l’enrichissement excessif d’une minorité de spéculateurs, et ne peut en aucun cas devenir un modèle viable pour le financement de l’ISS et de l’exploration spatiale en général. Encore moins si ce financement par le privé nous fait courir le risque d’abandonner les objectifs scientifiques sérieux au profit de missions plus « pragmatiques » et plus « rentables » à court terme.
Cependant, en faire un prétexte pour vous demander de renoncer à l’ISS et à l’exploration martienne nous semble excessivement dangereux, voire même totalement idéologique et anti-scientifique.
Car la vraie écologie, c’est l’espace. Ne serait-ce que par les observations satellite de la Terre qui nous permettent aujourd’hui de minimiser la consommation d’eau, d’engrais et de pesticide tout en améliorant les rendements agricoles ; de mesurer l’évolution de la végétation sur Terre et celle du phytoplancton dans les océans pour lutter plus facilement contre l’avancée des déserts ou permettre à terme une pêche plus respectueuse ; de mieux comprendre les phénomènes météorologiques, sismiques et géologiques, et d’anticiper ainsi leurs conséquences économiques et humaines. Ou encore, de mieux localiser les « continents de plastique » qu’il faudrait enfin arrêter de nourrir et éliminer au plus vite.
Explorer notre système solaire nous impose aussi de bâtir des systèmes de vie quasi autonomes dans les environnements les plus extrêmes et donc d’optimiser au maximum la consommation énergétique, de recycler tout ce qui peut l’être, et de produire le plus efficacement possible notre énergie et notre nourriture. Chaque innovation tirée de nos efforts à rendre l’espace habitable par l’homme participe nécessairement au réel défi écologique et à l’amélioration des conditions de vie de l’homme sur Terre. Un bon exemple, que vous connaissez certainement très bien, est le projet MELiSSA (Micro-Ecological Life Support Alternative) développé depuis 1989 par l’Agence spatiale européenne, qui « étudie comment transformer un vaisseau spatial en un écosystème fermé reposant sur des bactéries, des algues, des plantes, des éléments chimiques et des procédés naturels. » En cherchant un moyen de recycler le dioxyde de carbone émis par les astronautes et à transformer leurs déchets organiques en nourriture, en oxygène et en eau, les chercheurs de MELiSSA ont découvert les propriétés remarquables de la cyanobactérie Arthrospira, plus connue sous le nom de « spiruline », capable d’utiliser l’eau et la photosynthèse pour produire de l’oxygène, et servir de source de nourriture riche en vitamines et en minéraux. La spiruline, qui constitue un très bon complément à l’alimentation quotidienne des astronautes grâce à sa haute concentration en protéine, est aujourd’hui utilisée dans certaines régions d’Afrique pour pallier la malnutrition des enfants.
Nous ne présentons là qu’un exemple parmi tant d’autres, mais il est clair que vouloir ainsi intenter un procès contre l’exploration spatiale en la réduisant à la simple notion de « conquête » et sous prétexte qu’elle détériore notre « Mère Nature », revient tout simplement à se tirer une balle « verte » dans le pied, et à refuser à l’humanité les moyens de résoudre les défis économiques et écologiques de demain.
Nous devons bien évidemment nous préoccuper de la pollution terrestre et même spatiale, mais c’est en élevant l’humanité à des niveaux de création toujours supérieurs que nous pourrons relever ces défis. L’espace pousse l’homme à être créateur, à maîtriser de nouveaux principes physiques et à mettre à profit ses découvertes pour l’ensemble de l’humanité. Si l’on pense à la Lune et à l’établissement d’un « village lunaire » sur notre satellite naturel, on se doit par exemple de maîtriser les technologies futures les plus élaborées, dont celle qui révolutionnera la civilisation humaine, à savoir la fusion thermonucléaire contrôlée. En maîtrisant cette forme d’énergie (l’hélium 3 présent dans le régolite lunaire pourrait devenir à terme un des principaux combustibles sur Terre), on offrira à l’humanité une source d’énergie propre et abondante, capable de recycler la quasi-totalité de ses déchets grâce aux propriétés des plasmas à très haute température. Sans oublier que par sa forte densité, cette forme d’énergie sera sans doute la clé pour développer de nouveaux modes de propulsion spatiale bien plus puissants, rendant ainsi la planète Mars atteignable en moins d’un mois (quand il faut aujourd’hui près de 6 mois pour s’y rendre et tenir compte d’un délai bien plus long pour le retour, avec la contrainte d’attendre l’alignement favorable des planètes, due au mode de propulsion actuel).
Bref, parler d’exploration spatiale sans évoquer les percées fondamentales qu’elle permettra, c’est faire preuve d’une ignorance qui peut devenir dangereuse et c’est aussi conforter le pessimisme de ceux qui préfèrent s’adapter au modèle économique court-termiste actuel plutôt que d’encourager l’investissement dans les projets les plus ambitieux et profitables à long terme à tous les êtres humains.
En brandissant fièrement leur décision« d’arrêter ou de ralentir [leurs] recherches en neurosciences, nanomédecine, archéologie, nanoélectronique ou astronomie », et de s’abstenir « de prendre l’avion en raison de son impact carbone trop élevé », nos pseudo-scientifiques de l’Atelier d’écologie politique de Toulouse ont tout bonnement oublié que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », et qu’à force de rétrécir leur horizon au plancher des vaches vertes, ils finissent par contribuer à cette ruine par leur propre inconscience.
Monsieur Pesquet, ne succombez pas au chant des sirènes « effondristes » qui prônent ainsi le recul du progrès sur des bases idéologiques et anti-scientifiques ! Il y a bien un « plan B » pour protéger notre planète. Mais comme « la lettre volée » d’Edgar Allan Poe, ce « plan » se trouve juste devant vous sans que vous ne l’ayez peut-être encore identifié : dans les missions futures qui vous sont destinées, autour de la Terre, sur la Lune ou peut-être Mars ; dans ce voyage vers l’inconnu, cet au-delà des frontières des savoirs, cette source des plus grandes découvertes qu’est l’exploration spatiale.
Car l’espace, c’est le domaine d’une écologie scientifique à explorer pour le bien commun et non à conquérir ou abandonner ; le moyen le plus sûr de rassembler les objectifs communs de l’humanité autour d’un même projet et d’assurer ainsi la paix par le développement mutuel. Tâchons de ne jamais l’oublier.
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