Ce texte est extrait du programme présenté par Jacques Cheminade à l’élection présidentielle de 2017. Notre gouvernement ne se dotant pas des moyens à la mesure des défis de notre époque, il reste plus que jamais d’actualité.
Le concept de voyage spatial comporte d’énormes répercussions, parce qu’il met l’homme au défi sur pratiquement tous les fronts de son existence physique et spirituelle. L’idée de voyager vers d’autres corps célestes incarne au niveau le plus élevé l’indépendance et la vivacité de l’esprit humain. Elle apporte la plus haute dignité aux efforts techniques et scientifiques de l’homme. Par dessus tout, elle touche à la philosophie de son existence même. Il en résulte que le concept de voyage spatial transcende les frontières nationales, fait abstraction des différences d’origine historique ou ethnique et modifie à une vitesse fulgurante les présupposés sociologiques et politiques.
Krafft Ehrike
L’anthropologie de l’astronautique - 1957
L’exploration spatiale est l’alternative au monde fini auquel nous soumet l’occupation financière et culturelle. Fil conducteur d’une coopération internationale pour le développement mutuel et la paix, elle est le stimulant le plus puissant de créativité et d’optimisme dans la recherche scientifique, l’éducation et la culture, et l’un des moteurs indispensables à l’agriculture, l’industrie et la médecine de demain. Ainsi, quoi qu’en disent les journalistes ignorants ou de mauvaise foi qui voudraient y voir un sujet loufoque et hors de propos dans le contexte d’une campagne présidentielle, l’espace est pour moi le fer de lance de mon engagement politique.
L’engouement du public suscité par les missions Curiosity, Rosetta, ExoMars et le programme Proxima, sur lequel travaille actuellement Thomas Pesquet, pour ne citer que ces quelques exemples, ainsi que l’élan porté par le programme d’exploration lunaire chinois, montrent à quel point il s’agit d’un sujet fondamental. Ignorer l’importance de l’espace, c’est se condamner à voir avec les yeux du passé. Je suis déterminé à voir avec les yeux du futur, pour que mon pays devienne un éclaireur des objectifs communs de l’humanité.
Anticiper et explorer
Explorer l’espace implique avant tout de mieux comprendre ce qui le constitue et d’anticiper les dangers que l’homme pourrait encourir en y vivant et travaillant. Aussi, un vaste programme d’exploration robotisée, d’observation radio-astronomique et de veille spatiale depuis la Terre, s’impose avant d’en arriver à la présence permanente de l’homme dans la banlieue lointaine de notre système solaire.
L’impact néfaste des radiations cosmiques et vents solaires sur les spationautes a notamment pu être démontré par les mesures de la sonde Curiosity lors de son voyage vers Mars. Etudier plus en profondeur l’environnement radiatif et électromagnétique en envoyant nos sondes sur les planètes du système solaire et leurs satellites, de même qu’explorer leur constitution chimique pour déterminer la possible présence de vie ou trace du vivant, doit continuer à faire l’objet de financements massifs.
Il nous faut ensuite traiter en priorité le problème de la pollution spatiale. La concentration de débris spatiaux en orbite terrestre, impliquant le risque de collision en chaîne, est une menace qui pèse sur toutes nos futures missions. Plusieurs solutions actuellement étudiées par le Centre national de recherche spatiale (CNES) telles que le recyclage en orbite de certains matériaux par procédés métallurgiques et imprimantes 3D, le réaménagement de débris de grande taille en habitacle temporaire et le recyclage de tôles en blindage pour satellite, ou encore la déviation par faisceau laser des petits objets, doivent être très vite évaluées et testées. Enfin, l’utilisation de lanceurs récupérables doit s’imposer pour ralentir considérablement l’accumulation de nouveaux débris générés par les lancements successifs.
En même temps, une veille spatiale doit être mise en œuvre pour anticiper les risques à moyen et long terme d’impact sur la Terre d’astéroïdes géocroiseurs (dont la trajectoire est proche de l’orbite terrestre). Si l’on pense en termes de générations à naître et non de sa propre vie, cette politique de veille se justifie pleinement. Elle doit cependant garantir la mise en œuvre de solutions technologiques capables de dévier la trajectoire de ces géocroiseurs menaçants (par attraction gravitationnelle ou par impact), tout en tenant compte des risques encourus si une déviation devait être décidée. Il s’agit d’une décision à prendre à l’échelle internationale, mais dans laquelle nous devons avoir notre mot à dire. Dans ce contexte, la décision prise lors du dernier Conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne (ESA) de ne pas financer la mission Asteroid Impact prévue pour 2020 est très déplorable. Cela pourrait en effet faire perdre à l’Europe toute l’expertise acquise avec la sonde Rosetta et serait très dommageable à moyen et long terme.
Notre veille spatiale doit aussi faire l’objet d’une mise en commun des données collectées par la communauté internationale, et ce sans se limiter au seul cas des astéroïdes et comètes, mais en l’élargissant à tous types de mesures relatives à l’activité solaire, à l’observation des phénomènes climatiques et géologiques terrestres, afin de mieux anticiper les catastrophes de grande ampleur susceptibles de survenir sur Terre. Nous devrons pour cela renforcer les programmes Neo et Copernicus au sein du Système mondial des systèmes d’observation de la Terre (Geoss), et constituer, en partant des nombreux travaux déjà réalisés dans cette enceinte, une Agence mondiale de décision et de service placée sous l’égide des Nations unies et dédiée à cette protection de l’environnement terrestre. Nous avons pour la première fois dans l’histoire les moyens de le faire, se dérober à la tâche pour des raisons de rentabilité financière à court terme serait à la fois absurde et criminel.
Enfin, il nous faut continuer à sonder notre univers pour en percer les secrets ; observer les toutes premières galaxies jusqu’à plus de 13 milliards d’années en arrière, continuer à détecter de nouvelles exoplanètes, ou encore détecter les noyaux actifs des galaxies lointaines. Cela sera bientôt possible grâce, entre autres, au télescope spatial James Webb (successeur d’Hubble) et au radiotélescope à interférométrie Square Kilometer Array (champ d’un kilomètre carré) destiné à devenir le plus sensible jamais construit. Cependant, un défi reste à relever pour assurer les futures percées en astronomie et astrophysique : celui d’observer pour la première fois notre univers dans le spectre de basse fréquence compris entre 10 et 20 MHz. Ces signaux, impossibles à détecter depuis la Terre et sa banlieue proche sans subir les perturbations dues aux communications terrestres humaines, pourraient cependant être captés sur la face cachée de la Lune. Y installer un dispositif de détection par radio-interférométrie dans ce spectre de fréquences précis nous ouvrirait donc une fenêtre encore inconnue de notre cosmos. La Chine s’y prépare. Nous devons y participer.
La Lune, tremplin vers le système solaire
Bien évidemment, observer et sonder l’espace avec nos robots et satellites ne suffira pas. Il nous faudra y aller nous-mêmes, « aller y voir » de nos propres yeux, non pas comme une aventure hollywoodienne, mais en organisant une exploration scientifique de l’univers dont le XXe siècle nous a révélé l’existence. C’est pourquoi il nous faut préparer dès aujourd’hui un vaste projet de reconnaissance et de mise en valeur de la Lune et envisager, d’ici deux générations, une quasi autonomie de l’être humain dans l’espace.
Plusieurs raisons simples nous conduisent à revenir vers la Lune. La première est qu’il ne peut y avoir à long terme de programme sûr et cohérent d’exploration de Mars, et au-delà, qu’à partir d’une base lunaire, du fait que la faible attraction lunaire permet en effet un décollage vers Mars dans de bien meilleures conditions, avec moins de dépense d’énergie et la possibilité de transporter beaucoup de choses (notamment le carburant). La deuxième est l’immense réservoir de produits intéressants dont dispose la Lune (fer, titane, silicium, oxygène, de même que de l’eau). Tout particulièrement, l’on y trouve de l’hélium-3, qui pourra devenir, associé au deutérium, une base pour produire de l’énergie par la fusion thermonucléaire contrôlée, à bas coût, sans pollution et en quantités pratiquement illimitées (cf. la section de mon projet « Le nucléaire que je défends »).
Enfin, par les défis immenses qui la caractérisent, cette mission lunaire exigera une coopération internationale la plus large possible et garantira, dans sa mise en œuvre, les percées scientifiques et technologiques essentielles aux étapes ultérieures de la grande aventure spatiale. Aussi, pour la mener à bien, plusieurs conditions sont à réunir :
- Construire tout d’abord de futures usines et stations spatiales scientifiques qui permettront d’irriguer en matériel et personnel qualifié l’espace entre la Terre et la Lune, et qui constitueront, à terme, les têtes de pont vers la Lune et l’interplanétaire. Pour cela, bâtir une infrastructure à plusieurs niveaux, constituée de centres (hubs) en orbite terrestre, lunaire et à la surface de la Lune, centres qui devront être reliés entre eux par des navettes cargos transportant matériel et passagers. Equiper tout d’abord ces centres de mini stations orbitales automatiques et de modules dits visitables, premières plateformes pour les communications, puis des centres d’expérimentation et d’entraînement, auxquelles succéderont de nouvelles stations spatiales bien plus grandes et habitables, véritable centres polytechniques de recherche, formation et production industrielle permanents, envisagés pour le traitement des matériaux et des produits semi-finis lunaires. Enfin, garantir que les recherches effectuées dans ces dernières stations multifonctions nous amène à l’étape ultérieure : la construction de grandes stations têtes de pont plus autonomes, censées préparer, à très long terme, les futurs voyages vers les grands espaces interplanétaires.
- Lancer une exploration robotique lunaire de grande ampleur afin de mieux comprendre la géologie, l’histoire et l’environnement électromagnétique de notre astre satellite, en mettant un accent particulier sur l’étude de sa face cachée qui demeure, aujourd’hui encore, très peu connue.
- Enfin, implanter des centres industriels et scientifiques sur la Lune en tenant compte des contraintes particulières que confèrent l’environnement lunaire et le caractère fortement abrasif du régolithe (couche de fine poussière recouvrant le sol). Dépourvue d’atmosphère et de champ magnétique, la Lune n’offre aucune protection contre le bombardement incessant de particules et rayonnements issus du Soleil et d’autres régions de notre galaxie. Aussi, étudier la possibilité d’enfouir dans un premier temps ces infrastructures habitées sous le régolithe (par solidification et impression 3D par exemple) ou dans les cavités présentes dans son sous-sol, s’avère primordial.
La proposition de « village lunaire » de l’actuel directeur de l’ESA, Johann-Dietrich Wörner, désirant reconduire l’extraordinaire expérience de la Station spatiale internationale dans le cadre d’une coopération internationale plus vaste et plus ambitieuse, va pleinement dans ce sens et je la soutiens totalement.
Le défi du transport spatial futur
Autant le dire, un tel projet restera lettre morte si un effort considérable n’est pas fait pour améliorer les modes de propulsion spatiale. Qu’il s’agisse de nous affranchir de l’attraction terrestre ou de transporter de grandes quantités de matériel et des êtres humains en orbite ou à travers l’espace, plusieurs défis restent à relever :
- D’une part, construire un véritable lanceur lourd européen capable de propulser 60 à 140 T en orbite basse. Le lanceur Ariane 6, prévu pour des charges maximales de 10,5 T, permet certes de maintenir l’Europe dans le marché des lanceurs commerciaux, mais demeure totalement insuffisant pour les missions plus ambitieuses. Nous disposons de la technologie, il reste à susciter la volonté politique, ce à quoi je contribuerai. Aussi, notre actuelle coopération avec la Russie au centre spatial de Kourou en Guyane doit être un levier pour accélérer la mise en œuvre d’un tel lanceur, à l’heure où les États-Unis et la Chine envisagent clairement, chacun de leur côté, d’en posséder pour leurs futurs programmes.
- Étudier ensuite la faisabilité et mise en œuvre de deux transporteurs spatiaux de troisième génération : l’un totalement récupérable, qui alimenterait depuis la Terre nos futures stations « polytechniques » en orbite. Le projet européen de véhicule réutilisable Space Rider va tout à fait dans ce sens mais un projet de navette spatiale habitée devra très vite lui succéder ; l’autre, à propulsion ionique pour les trajets inter-orbitaux, à vitesse relativement réduite mais capable de transporter de très lourdes charges entre les centres orbitaux terrestres et lunaires.
- Enfin, se donner les moyens, à terme, de maîtriser les formes de propulsion thermonucléaire de haute densité (les formes nouvelles de la fusion thermonucléaire contrôlée), qui fourniront, avec peu de carburant et sur de très longues distances, la forte poussée nécessaire pour accélérer nos vaisseaux à de très grandes vitesses, réduisant ainsi fortement le temps des trajets interplanétaires et l’exposition des spationautes aux radiations cosmiques. C’est ce développement qui permettra aux êtres humains d’explorer l’espace sans pratiquement le polluer.
D’ailleurs, le problème de la source primaire d’énergie dans l’espace se pose de manière plus générale. On ne peut envisager des programmes aussi ambitieux sans une source d’énergie plus dense et compacte que les panneaux solaires ou les carburants classiques. Les solutions avec des réacteurs à fission utilisant l’effet thermoélectrique ou thermo-ionique sont tout à fait envisageables à court et moyen terme, avant la maîtrise des procédés par fusion. La fusion étant bien évidemment un défi technologique majeur, mais comme Kennedy l’affirmait lui-même, « c’est parce que ces objectifs sont difficiles qu’ils nous permettront d’organiser et de mesurer le meilleur de nos énergies et de notre savoir-faire ».
Par delà l’austérité
Venons-en au financement. Si le budget de la France consacré aux activités spatiales civiles est le deuxième au monde, avec 35 euros par an et par habitant (derrière celui des Etats-Unis avec 50 euros), il n’en demeure pas moins insuffisant pour relever le défi d’une exploration robotisée et habitée de notre système solaire. A cet égard, il nous faut considérer les futures ressources à allouer au CNES, de même que sa participation au budget de l’ESA, en fonction du projet d’ensemble défini ci-dessus et en concertation avec les autres pays participants. Cette approche part du principe que la grande aventure spatiale, source de progrès scientifiques et technologiques et pourvoyeuse d’emplois qualifiés, est le meilleur moyen pour insuffler une dynamique de croissance réelle, démultipliant les bénéfices humains et matériels dans l’économie et permettant largement, à terme, le remboursement des investissements initiaux. Les retombées extraordinaires dans la médecine, l’agriculture, l’informatique avec ses futurs ordinateurs quantiques, et la science des matériaux et les nouveaux procédés industriels ; les percées dans la miniaturisation des lasers de haute puissance, la nécessaire maîtrise des procédés de fusion thermonucléaire, qui apportera une solution révolutionnaire au problème énergétique sur Terre, de même que les nouvelles connaissances acquises sur le vivant et ses origines au sein du Système solaire, voire au-delà, ne doivent en aucun cas être sacrifiés sur l’autel de l’austérité actuelle.
Mon projet spatial se veut donc cohérent avec un changement complet du système et vise à en inverser la logique. Il ne peut faire l’objet de considérations comptables ni de décisions basées sur la compétitivité à court terme d’un Elon Musk ou d’un Jeff Bezos. Il n’est possible que dans le cadre d’une coopération internationale où les Etats, libérés du carcan de l’austérité budgétaire, tout en faisant appel au privé, seront à même de décider des moyens nécessaires à fournir.
Combat politique
Pour mettre ce projet en œuvre, il nous faut retrouver cet enthousiasme des années 50 et 60 du XXe siècle pour le spatial. Retrouver cet élan philosophique qui animait les grands pionniers du programme Apollo et de notre propre démarche. Car le sentiment d’impuissance, engendré par la réduction des nécessaires ambitions futures en fonction de contraintes financières immédiates, conduit à un véritable suicide collectif et à une démission de la volonté dans ce domaine. Aujourd’hui, il existe même un risque que le savoir-faire accumulé par la France et l’Europe dans certains secteurs liés au spatial se trouve irrémédiablement perdu, soit par la mutation des ingénieurs vers d’autres programmes, soit par les départs à la retraite sans remplacement ni formation des nouvelles générations. Pour inverser cette tendance et redonner un souffle nouveau à notre pays, il nous faudra créer un ministère de l’Exploration et de la Recherche spatiale, participer aussi à la fondation d’un nouvel Institut européen de recherche lunaire et spatiale, qui rassemblera les scientifiques, ingénieurs et techniciens capables d’évaluer les solutions prometteuses et de former les jeunes qui devront leur succéder ; s’inspirer enfin de ce qui se fait déjà avec les projets Perseus et Janus dans certaines de nos universités et lancer un grand projet d’éducation scientifique et culturelle dans nos lycées en y instituant des unités de valeur sur l’espace et l’astronomie. La France et l’Europe doivent redevenir ce qu’elles ont porté de meilleur dans leur histoire, en sortant de la prison de l’euro bâtie par l’oligarchie financière et en redevenant le champ de patriotes et citoyens du monde.
Car l’espace n’est pas, comme le croit malheureusement encore l’immense majorité des responsables du pays, un choix technologique parmi d’autres, politiquement, économiquement et socialement neutre, ou un sujet de gloriole. Il est l’expression la plus achevée de la volonté d’opérer un changement politique : arracher le pouvoir à une perspective financière malthusienne, et remettre à la barre des hommes et des femmes désirant le développement de leurs semblables, vivant de porter plus loin les limites de la vie. C’est pourquoi, pour les générations à naître, nous nous devons de le défendre car notre vie sur Terre en dépend.