Tensions contre l’Iran : le fantôme de la guerre d’Irak hante les États-Unis

mardi 25 juin 2019

Chronique stratégique du 25 juin 2019 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

La provocation fabriquée dans le détroit d’Ormuz a bien failli éclater en une guerre dans la nuit de jeudi à vendredi, la semaine dernière. Le parti des faucons exigeait une attaque militaire contre l’Iran en réponse à l’abattage jeudi matin d’un drone de surveillance américain près du détroit d’Ormuz.

Tandis que Washington assurait que l’attaque a eu lieu dans les eaux internationales, à 34 km de la côte iranienne, Téhéran a affirmé détenir des preuves attestant que le drone se trouvait à 19 km à l’intérieur de l’espace aérien iranien. Les Iraniens ont également annoncé que deux avertissements avaient été adressés au drone pour le sommer à changer de cap, et que l’ordre de l’abattre était survenu dix minutes après le second avertissement.

Mis sous pression par ceux faisant valoir que l’absence de réponse serait catastrophique pour les États-Unis, le président Trump a rencontré toute la journée de jeudi des responsables militaires et du renseignement, ainsi que les dirigeants du Congrès. Plus tard dans la soirée, le New York Times (NYT) a publié un article affirmant que Trump avait ordonné une attaque contre trois sites de radars et de missiles en Iran, mais qu’il s’était ensuite rétracté, annulant l’opération 10 minutes avant que les bombes ne soient larguées, alors que les avions étaient déjà en vol – narratif que l’ensemble des médias, des deux côtés de l’Atlantique, ont ensuite repris en boucle.

En réalité, Trump a réfuté cette histoire, à la fois dans un tweet et dans un entretien sur la NBC vendredi matin. Il a expliqué n’avoir jamais donné son « feu vert » à l’opération, et avoir simplement rejetté le plan de frappes militaires qui lui était proposé, après qu’un général lui a dit que la riposte américaine ferait 150 morts côté iranien. « Ils ont abattu un drone sans pilote, et nous tuerions 150 personnes. (…) Je n’aime pas cela. Je ne pense pas que cela soit proportionné  », a déclaré Trump.

De plus, le président américain a remercié l’Iran pour ne pas avoir abattu un avion P-8 qui volait au même moment dans la même zone que le drone et transportait 38 personnes à son bord.

L’opposition monte contre la guerre

Suite à leur entrevue à la Maison-Blanche jeudi après-midi, plusieurs responsables démocrates ont mis en garde Trump contre le lancement d’une action militaire en Iran sans consulter le Congrès. « J’ai dit au Président qu’un tel conflit risquait de s’aggraver. Il n’a peut-être pas l’intention d’aller en guerre, mais nous craignons que l’administration ne finisse par y aller », a déclaré Chuck Schumer, le dirigeant du groupe démocrate au Sénat. La présidente de la Chambre Nancy Pelosi a décrit comme très dangereuse la situation entre les États-Unis et l’Iran. Tout en qualifiant l’Iran de « acteur nocif dans la région », elle a appelé à la retenue et a ajouté qu’elle ne pensait pas que le Président Donald Trump ou le peuple américain souhaitent la guerre.

Les contradictions entre Donald Trump et les faucons qui l’entourent, dont en particulier John Bolton et Mike Pompeo, apparaissent désormais aux yeux de tous. De nombreuses voix enjoignent le président à ne pas les écouter, comme le sénateur républicain Rand Paul. « L’une des choses que j’ai apprécié chez Trump est qu’il a affirmé que la guerre d’Irak fut une erreur », a-t-il dit sur Fox News, ajoutant qu’« une guerre en Iran serait une plus grande erreur encore ».

Dans un entretien sur The Intercept, le colonel à la retraite Larry Wilkerson, aide de camp de Collin Powell à l’époque de la guerre en Irak, souligne les nombreuses similarités entre les techniques et méthodes employées aujourd’hui par Bolton, Pompeo et la Fondation pour la défense des démocraties (FDD), etc., pour entraîner les États-Unis dans une guerre contre l’Iran, et celles employées par Dick Cheney, Paul Wolfowitz et la même FDD pour avoir leur guerre contre l’Irak en 2003. « Cheney acceptait des renseignements non vérifiés, les communiquait au NYT, qui les publiait ensuite en première page, et Cheney les citait comme vérifiés », explique Wilkerson.

Tucker Carlson, l’animateur vedette de Fox News dont on sait qu’il influence Trump contre la guerre, a dénoncé jeudi soir les faucons de l’administration, en les qualifiant d’ « affamés de la guerre ». « L’establishment permanent de la politique étrangère à Washington veut une guerre, vraiment », a-t-il lancé, pointant du doigt John Bolton, Bill Kristol et le journaliste du NYT Bret Stephens. Lundi 17 juin, quelques jours avant la frappe contre le drone, Carlson avait comparé la certitude de Bolton, à propos de la culpabilité de l’Iran dans les attaques contre les tankers pétroliers, aux mensonges de Colin Powell sur les armes de destruction massives de l’Irak.

Suite à sa décision d’annuler les frappes militaires contre la République islamique, Trump s’est plaint de ses conseillers les plus proches, comme le fait remarquer le Wall Street Journal. « Ces gens veulent nous pousser dans une guerre, et c’est tellement dégoûtant », a déclaré le président américain.

Le G20 s’ouvre ce vendredi à Osaka. Bien qu’aucune annonce officielle n’ait pour l’instant été communiquée, Trump a plusieurs fois affirmé sa volonté d’y rencontrer le président Poutine afin d’apaiser les tensions (sa rencontre avec Xi Jinping a quant à elle été confirmée). Comme nous l’avons écrit auparavant, les provocations de ces dernières semaines ont précisément pour objectif d’empêcher qu’une telle rencontre en tête-à-tête ait lieu.

La mise en lumière du hiatus entre le président américain et ses conseillers va-t-en-guerre rend la position de ces derniers de plus en plus intenable. La bataille fait rage pour les mettre rapidement hors d’état de nuire, et libérer enfin les États-Unis des griffes du complexe militaro-financier.

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