Forum de Beijing : La Nouvelle Route de la soie, tremplin pour le XXIe siècle

jeudi 2 mai 2019

Suite au second Forum international de la Ceinture et la Route, qui s’est tenu du 25 au 27 avril à Beijing, il est désormais évident que la dynamique mondiale est dominée par la Nouvelle Route de la soie. Quoi que l’on pense de la Chine, de plus en plus de pays comprennent qu’ils ne peuvent pas rester en marge.

Le président suisse Ueli Maurer, qui participait au Forum, a déclaré que l’Initiative de la Ceinture et la Route (ICR) constitue « l’un des rares projets stratégiques à long terme », qu’elle offre « une nouvelle dimension pour le développement de l’économie mondiale ». Répondant aux critiques de la Commission européenne à propos de la volonté de la Suisse de signer un protocole d’entente avec la Chine pour rejoindre l’ICR — comme viennent de le faire l’Italie et le Luxembourg —, le porte-parole de Maurer a affirmé que « la Suisse est une nation souveraine et prend ses propres décisions de façon indépendante ».

Lors de leur rencontre en marge du Forum de Beijing, le président chinois Xi Jinping et le Premier ministre italien Giuseppe Conte ont tous deux souligné le fait que la coopération sino-italienne dans le cadre de l’ICR offrira un modèle de coopération pour l’Europe. « La ‘Route de la soie’ offre l’opportunité historique d’ouvrir de nouveaux marchés pour nos entreprises, a déclaré Conte. (…) Non seulement les biens et les services voyageront sur cette route ; ce sera également une ‘Route de la soie de la connaissance’, avec l’objectif de promouvoir le développement et la prospérité pour toutes les populations grâce à la connectivité infrastructurelle, physique et surtout humaine ».

Même le ministre outre-Rhin de l’Économie, Peter Altmaier, qui conduisait la délégation allemande, a admis être arrivé à Beijing avec nombre de préjugés négatifs, avant de se rendre compte que ses leçons de morale sur la « transparence » et le respect des « règles » vis-à-vis de la Chine étaient inappropriés.

Notons enfin la participation au Forum de Mohammed Mahathir, le Premier ministre de Malaisie, dont la simple présence à Beijing réfute en elle-même les accusations de « piège de la dette » contre la Chine…

Le « Pont terrestre mondial » sur les rails

Les 37 chefs d’État et de gouvernement ayant participé au Forum (voir notre chronique du 23 avril) ont publié une déclaration commune, intitulée « Coopération de la Ceinture et la Route : préparer un avenir meilleur et partagé ». L’ICR, est-il précisé, devra jouer un rôle similaire à celui de l’ancienne route de la soie, c’est-à-dire « renforcer la connectivité et l’expansion de l’économie mondiale afin de promouvoir la paix et la coopération, l’ouverture, l’inclusivité, l’égalité, la connaissance et les bénéfices réciproques ».

La déclaration dresse ensuite la liste des 35 « corridors économiques » qui seront développés dans le cadre de l’ICR, et qui s’étendront de l’Asie de l’extrême-orient, avec par exemple le train Chine-Laos-Thaïlande ; à l’Asie centrale, avec notamment le corridor Chine-Pakistan ou l’autoroute Chine-Kirghizistan-Ouzbékistan ; à l’Afrique, avec par exemple le corridor économique Addis Abeba-Djibouti ; et enfin à l’Europe, avec entre autres la ligne express maritime Chine-Europe. Ces projets de « corridors économiques » incluent non seulement des connexions par voie routière, ferroviaire ou maritime, mais aussi des connexions numériques, comme le projet de « câble de fibre optique transocéanique », ainsi que des intégrations régionales au moyen de parcs industriels…

C’est le « Pont terrestre mondial », tel que l’Institut Schiller l’a souhaité et conçu depuis plus de 30 ans, qui prend forme.

La Chine tend la main au grand absent américain

Les États-Unis, plus occupés à tenter de déclencher un conflit au Venezuela, étaient bien entendu le grand absent du Forum. Cependant, les Chinois ne désarment pas, et gardent l’espoir de voir la première puissance économique mondiale se faire une raison. « Il est temps pour Washington d’envisager de se joindre à la Ceinture et la Route », écrit le Global Times, journal proche du pouvoir. « Depuis son lancement il y a six ans, l’ICR a constamment invité les États-Unis à la rejoindre. Ce sont eux qui ont refusé d’accepter l’invitation et ont tenté de susciter une opposition idéologique contre l’ICR ».

« Ne manquez pas le coche ! » lance amicalement aux Américains Cui Tiankai, l’ambassadeur chinois à Washington, dans une tribune parue le 23 avril dans le magazine Fortune. « Imaginez le potentiel d’une collaboration entre la Chine et les États-Unis, les deux économies les plus importantes et les plus dynamiques du monde, dans le cadre du projet de développement le plus ambitieux de l’histoire. Ce scénario n’est pas fantasmagorique : l’initiative chinoise de la Ceinture et la Route (...) finira par relier une vaste partie du monde, créant d’énormes rendements dans l’activité économique et unifiant le monde comme jamais auparavant. Toutefois, les États-Unis restent à l’écart, ce qui a des conséquences non seulement en terme d’un manque à gagner pour eux-mêmes, mais aussi sur le développement mondial qui a besoin de l’ingéniosité et de l’industrie des États-Unis », écrit Cui.

L’ambassadeur apporte ensuite plusieurs arguments en faveur de l’ICR, citant notamment les bénéfices globaux pour les 126 pays qui y participent : 6 milliards de dollars de commerce, 80 milliards de dollars d’investissements chinois directs, 300 000 nouveaux « emplois locaux » dans ces pays, le tout premier accès du Kazakhstan à l’océan Pacifique, 6 000 emplois créés dans le plus grand port intérieur européen, Duisburg, l’amorce du développement économique et industriel du Kenya, etc.

L’ironie de l’histoire, comme le fait remarquer Cui, est que de fait, plusieurs grandes entreprises américaines participent à l’ICR. C’est le cas de Honeywell, qui contribue au développement des réseaux de pétrole et de gaz le long de la Nouvelle Route de la soie ; de General Electric, qui a signé un certain nombre d’accords avec des partenaires de l’ICR afin de fournir en électricité et en énergie les régions centrales au projet ; Caterpillar coopère avec la Chine pour résoudre les problèmes de manque d’énergie au Pakistan ; enfin, Citibank finance activement plusieurs projets de l’ICR. « Faites ce que je vous dis, mais pas ce que je fais », semble nous dire Washington.

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