OTAN : 70 ans de mensonge à la Orwell

vendredi 5 avril 2019

Alors que le « Russiagate » vient d’être exposé comme la plus grande fausse information de notre époque, le ton belliqueux vis-à-vis de la Russie est subitement monté d’un cran à l’occasion du 70e anniversaire de l’OTAN, qui se tenait exceptionnellement à Washington les 3 et 4 avril.

Dans un spectacle combinant évangélisme biblique et mauvais western hollywoodien, le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg a tenu mercredi un discours devant les sénateurs et les députés américains réunis au Congrès. Faisant littéralement corps avec sa cause, les élus l’ont applaudi à tout rompre, lui offrant ovation sur ovation comme s’il s’agissait du bon cow-boy revenant en héros des combats contre les méchants indiens. Notons au passage que les élus issus des milieux militaires représentent le plus gros contingent des nouveaux députés de la Chambre, dans un Parti démocrate qui n’a plus grand-chose à voir avec l’entente du monde du travail, des minorités et des enseignants qui le caractérisait à l’époque de Franklin Roosevelt...

Tout en louant « l’alliance la plus efficace de l’histoire (…), bénéfique pour l’Europe mais aussi pour les États-Unis », Stoltenberg a pointé la menace qu’« une Russie plus affirmée » sur la scène internationale fait peser sur l’Alliance atlantique.

Il a ensuite énuméré la liste des « crimes » de cette dernière – l’annexion de la Crimée, l’affaire Skripal, le soutien au régime d’Assad en Syrie, les multiples cyberattaques contre des alliées et partenaires de l’OTAN, les « campagnes de désinformation sophistiquées », les déploiements militaires massifs de l’Arctique à la Méditerranée et de la mer Noire à la Baltique, et enfin « les tentatives d’interférer dans la démocratie elle-même ».

Dans le genre délire paranoïaque, « Hitler dans le bunker » n’aurait pas fait mieux.

Double mensonge

Dans son discours, Stoltenberg a assuré que « l’OTAN n’a aucune intention de déployer des missiles nucléaires terrestres en Europe ». Cette affirmation constitue un double mensonge :

1. L’OTAN stationne déjà des armes nucléaires sur le sol européen : en Allemagne, en Belgique, en Italie, aux Pays-Bas et en Turquie. Ces armes sont américaines (ogives nucléaires B-61) et sont en voie de « modernisation », c’est-à-dire en voie d’être transformées en bombes à gravité, et donc en armes tactiques. Dès qu’une guerre démarrera, elles seront entre les mains des pays qui les accueillent – bien que le traité TNP, dont ils sont bien souvent les signataires, leur en interdise l’utilisation…

Nouvelle Solidarité de mars 2015 contre la nouvelle doctrine en passe d’être adoptée par l’administration Obama

2. Les éléments du bouclier anti-missile ne sont pas équipés d’armes nucléaires. Cependant, puisqu’il s’agit de missiles conventionnels ultra-rapides dopés au numérique, et positionnés proche des frontières, ils peuvent être reconfigurés et employés pour d’autres buts que la défense anti-missile, notamment pour des frappes « préventives » contre les fusées nucléaires russes avant leur lancement. C’est pour cela que le « bouclier » anti-missile, déployé en Roumanie et en Pologne, est considéré par la Russie comme une violation de l’accord INF (sur les armes nucléaires à portée intermédiaires) et comme une menace.

Le déploiement des bases anti-missiles en Europe de l’Est, puis l’adoption par l’administration Obama de la stratégie de guerre nucléaire limitée, a induit une nouvelle course à l’armement, la Russie se trouvant forcée de développer de nouvelles armes stratégiques.

Trahison occidentale

L’abandon de l’INF n’est pas le fait de la Russie, comme le prétendent les atlantistes, dans une inversion typiquement orwellienne ; en réalité, les Occidentaux ont trahi leurs engagements pris auprès de la Russie suite à l’effondrement de l’URSS, garantissant qu’il n’y aurait pas d’expansion de l’OTAN vers l’Est.

Cette vérité a été confirmé par les chercheurs des prestigieuses archives nationales sur la sécurité aux Etats-Unis, basées à Washington, qui ont pour spécialité d’éplucher les documents déclassifiés par le gouvernement.

Le 12 décembre 2017, ils ont publié le fruit de leurs dernières recherches : 30 documents déclassifiés révèlent qu’en 1990 les dirigeants occidentaux avaient fait une promesse au président de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev, une promesse qui n’a pas été tenue... L’OTAN ne devait pas étendre son emprise vers les pays qui se trouvaient à l’Est du mur de Berlin, tombé un an plus tôt.

Dis-moi qui est ton créateur et je te dirai qui tu es

Rappelons que l’OTAN fut une initiative britannique, comme vient de l’avouer Chatham House – l’Institut Royal des Affaires Etrangères — dans une publication parue le 1er avril. C’est en 1948, sept ans avant le Pacte de Varsovie, qu’Ernest Bevin, le ministre britannique des Affaires étrangères, a appelé lors d’un discours à la création d’une alliance transatlantique de défense. Il a ensuite déployé toute une stratégie destinée à forcer la main de son « allié » américain. Après avoir élaboré une organisation de sécurité britannique pour défendre l’Europe, il a mené des discussions secrètes à Washington pour pousser les États-Unis à lancer le traité de l’Atlantique Nord, en avril 1949.

À l’époque, les élites britanniques cherchaient un moyen, alors que l’empire colonial ne pouvait plus faire le poids face à la puissance américaine, de préserver leur hégémonie en établissant un ordre mondial dominé par un partenariat très spécial anglo-américain : « le muscle américain et le cerveau britannique ». C’est ainsi que, en dévoyant l’esprit républicain américain, elles ont créé artificiellement la division est-ouest qui a façonné la seconde moitié du XXe siècle, empêchant un ordre de paix par le développement de voir le jour. Et, alors que l’effondrement de l’URSS aurait dû entraîner la dissolution d’une OTAN qui n’avait plus aucune raison d’être, ces élites oligarchiques se sont réorganisées derrière la doctrine des néoconservateurs anglo-américains, sous Bush puis Obama.

Aujourd’hui, le principal cailloux dans la chaussure s’appelle Donald Trump, avec ses multiples coups de boutoirs contre une OTAN devenue « obsolète » et « démodée ». À la veille du sommet anniversaire, plusieurs critiques se sont faites entendre contre Trump, notamment de Doug Lute et Nick Burns, deux anciens ambassadeurs américains à l’Organisation atlantique, contre « l’absence de leadership présidentiel des États-Unis ».

Le conflit est de plus en plus ouvert entre Trump et les milieux va-t-en-guerre de Washington et de Londres. Lors de sa rencontre avec le secrétaire général Stoltenberg, à la Maison-Blanche, le président américain a répondu à un journaliste qui lui demandait ce qu’il pensait de la menace russe : « J’espère qu’elle ne deviendra pas une menace à la sécurité. J’espère que nous aurons une bonne relation avec la Russie, ainsi qu’avec la Chine et les autres ».

Menacés de perdre leur très cher « allié », les Britanniques se retrouvent ainsi forcés de prendre de nouveau l’initiative. « La Grande-Bretagne doit penser de manière aussi créative que Bevin pour définir la sécurité européenne, écrit Hans Kundnani sur le site de Chatham House. C’est la seule puissance capable de mener une telle réorganisation de l’OTAN ».

Plus explicite encore quant aux intentions des élites britanniques, l’actuel ministre des Affaires étrangères Jeremy Hunt, s’est payé d’une tribune dans le Washington Post, pour rappeler à la bonne mémoire des Américains que le Royaume-Uni compte bien rester en première ligne, malgré le Brexit. « [Nous sommes] peut-être un petit archipel, représentant moins de 1 % de la population mondiale, a-t-il admis, mais nous avons, aux côtés des États-Unis, contribué plus qu’aucun autre pays au façonnement du monde dans lequel nous vivons. (…) Vous êtes peut-être la principale superpuissance, mais notre réseau d’alliance et de partenariats place la Grande-Bretagne dans la poignée de pays ayant une influence véritablement mondiale ».

La meilleure façon de fêter le 70e anniversaire de l’OTAN serait de la dissoudre immédiatement, de renvoyer les cow-boys au vestiaire, et d’exposer le rôle des Britanniques, y compris dans le montage du Russiagate. Alors nous mettrons fin à l’ensemble du mensonge entretenu pendant 70 ans par des élites anglo-américaines cherchant à empêcher l’avènement d’un monde de coopération est-ouest et nord-sud.