Venezuela : vers un coup d’État gros comme le nez au milieu de la figure

mardi 26 février 2019

La situation au Venezuela s’est accélérée de façon dramatique au cours du week-end dernier, et elle pourrait bien se dénouer – tragiquement ou pas – dans les tous prochains jours. Car la mèche est si grosse qu’il s’agit de l’allumer le plus rapidement possible, avant qu’elle n’apparaisse trop clairement, et tant qu’une bonne partie de l’opinion publique est sous l’emprise de l’émotion.

De toute évidence, les forces impliquées cherchent à provoquer un changement de régime, quitte à le faire brutalement comme en Irak et en Libye, pour des raisons qui n’ont pas grand-chose à voir avec des enjeux humanitaires. Le même type de propagande utilisé contre les régimes de Saddam Hussein et de Mouammar Kadhafi – présentant un régime qui affame son propre peuple, le prive de l’accès aux soins, le réprime militairement et bloque l’aide humanitaire – tourne en boucle dans les grands médias occidentaux.

Le scandale est que les sanctions appliquées par les États-Unis depuis le mois de novembre dernier privent le Venezuela de 30 millions de dollars de revenus par jour ! Ce qui jette une lumière crue sur le convoi d’aide humanitaire de 20 millions stationné à la frontière colombienne, et dont on ne sait même pas ce qu’il contient. La Croix-Rouge elle-même a rejeté toute participation à ce convoi, déclarant ne pas vouloir participer à « ce qui n’est en aucun cas, pour nous, une aide humanitaire ». Enfin, cerise sur le gâteau, la personne désignée comme envoyé spécial des États-Unis dans la crise Vénézuélienne, Elliott Abrams, est connue pour avoir utilisé une aide humanitaire comme couverture afin d’envoyer des armes au Nicaragua dans les années 1980...

Tambours de guerre

De violents affrontements ont eu lieu entre des groupes armés de part et d’autre, faisant selon l’ONU 300 blessés, en marge des deux méga-concerts qui se tenaient des deux côtés de la frontière – et dont celui des partisans de Juan Guaido était organisé et financé par le milliardaire britannique Richard Branson. Des combats ont également eu lieu à la frontière brésilienne, causant entre deux et quatre morts.

Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a déclaré sur CNN être « certain que, grâce aux Vénézuéliens, les jours de Maduro sont comptés », ajoutant que le président était « le pire des tyrans ». Puis il a tweeté que les États-Unis allaient « passer aux actes contre ceux qui s’opposent à la restauration pacifique de la démocratie ». De son côté, Marco Rubio, le sénateur républicain considéré comme « l’architecte » de l’opération anti-maduro, a tweeté la photo de plusieurs dictateurs déchus, dont celle du visage en sang de Kadhafi, histoire d’afficher la couleur.

Plusieurs convois d’armes ont été envoyés vers le Venezuela, montrant s’il le fallait que les néocons sont prêts à plonger le pays dans un bain de sang. L’un d’entre eux, en provenance du Porto Rico sur un bateau, a dû faire demi-tour face aux sommations des gardes-côtes vénézuéliens. Les autorités vénézuéliennes ont annoncé par ailleurs avoir saisi une cargaison d’armes à bord d’un Boeing 767 sur le tarmac de l’aéroport de Valencia. Enfin, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a affirmé le 21 février que la Russie disposait d’informations selon lesquelles les États-Unis et l’OTAN envisageaient de faire parvenir des armes à l’opposition vénézuélienne depuis l’Europe de l’Est, et en particulier l’Ukraine.

Aux Nations unies, à l’initiative de la Russie, 50 pays se sont rassemblées (Chine, Iran, Nicaragua, Palestine, Corée du Nord, etc) dans un « groupe tactique » dont l’objectif est de défendre le droit international, et en particulier le principe de non-ingérence inscrit dans la Charte de l’ONU, et de s’opposer de toutes ses forces à une intervention militaire au Venezuela.

D’un autre côté, le groupe de Lima, qui comprend 14 nations du continent américain, s’est réuni à Bogota le lundi 25 février et, malgré les accents évangéliques du discours du vice-président américain Mike Pence, a écarté l’usage de la force.

« Siège médiéval »

Il est bon ici d’apporter quelques précisions à propos de la « révolution démocratique » en cours au Venezuela. L’auto-proclamation comme président par interim de Juan Guaido, qui préside l’Assemblée nationale, n’a rien de démocratique. Au contraire, il s’agit en réalité d’un viol de l’Article 233 de la Constitution, qui définit les conditions dans lesquelles un président peut être démis de sa fonction, ainsi que l’ordre de succession. Les conditions évoquées sont sa mort, sa démission, sa destitution par la Cour suprême, son incapacité médicale ou physique à gouverner, l’abandon de la présidence ou la révocation de son mandat par un référendum.

La situation actuelle ne répondant à aucun de ces cas, elle est par conséquent inconstitutionnelle, d’autant plus que le seul corps habilité à interpréter légalement la Constitution est la Cour constitutionnelle de la Cour suprême. C’est la raison pour laquelle le Mexique, l’Uruguay et les nations caribéennes ont refusé de reconnaître Juan Guaido comme légitime.

Dans un entretien sur le site The Intercept, Alfred de Zayas, historien et juriste américain et ancien expert indépendant des Nations unies, considérant la liste de pays – États-Unis, Canada, Royaume-Uni, France, Allemagne, etc – ayant reconnu Juan Guaido comme président légitime, se demande : « N’ont-ils pas des juristes ? N’ont-ils pas lu l’Article 233 de la Constitution vénézuélienne ? En cas de décès du président, la Constitution stipule que c’est le vice-président qui assurera sa fonction, et non l’Assemblée nationale. L’Article 233 ne permet en aucune circonstance à l’Assemblée de nommer un président par intérim. Au-delà de la légitimité de l’Assemblée nationale, le fait de répéter partout dans les médias que l’Assemblée est la seule autorité légitime au Venezuela est ridicule et grotesque ».

Zayas qualifie l’opération actuelle au Venezuela de « siège médiéval », et la compare avec le coup parlementaire illégal attenté contre la présidente brésilienne Dilma Rousseff en 2016. En tant qu’expert indépendant de l’ONU, il s’était rendu au Venezuela en 2017 – effectuant alors la première visite d’un expert de l’ONU depuis plus de 20 ans – et avait rendu un rapport en septembre de l’année suivante, dans lequel il présentait la situation sociale et économique désastreuse et dénonçait les sanctions américaines imposées sur le pays.

« Les effets des sanctions imposées par les présidents Obama et Trump et des mesures unilatérales mises en place par le Canada et l’Union européenne ont directement et indirectement aggravé les carences en médicaments tel que l’insuline et les antirétroviraux », écrivait-il dans ce rapport. Selon lui, les sanctions ont causé la mort de nombreuses personnes, et elles contreviennent donc aux obligations en matière de droits de l’homme des pays qui les imposent.

Une opération entièrement montée sur du mensonge

Le célèbre journaliste australien John Pilger, dans une tribune publiée le 22 février sur le site MintPress News, rappelle que les élections vénézuéliennes de 2018 s’étaient très bien déroulées. La tactique de l’opposition, qui avait choisi le boycott, fut un échec : Treize partis politiques y avaient participé et six candidats s’étaient présentés ; 9,3 millions d’électeurs s’étaient rendus aux urnes, 6,2 millions votant pour Maduro, soit 67,8 %.

« Le jour de l’élection, j’ai parlé avec l’un des 150 observateurs étrangers des élections, écrit Pilger. ‘C’était entièrement équitable’, m’a-t-il dit. ‘Il n’y a pas eu de fraude’ ». Même Jimmy Carter, dont le Carter Centre est un observatoire des élections respecté dans le monde entier, avait déclaré que « sur les 92 élections que nous ayons surveillé, le processus électoral au Venezuela est le meilleur du monde ». Par contraste, l’ancien président américain a souligné que le système électoral américain, où tout se décide par les moyens financiers, est « l’un des pires du monde ».

John Pilger rappelle également que les réformes mises en œuvre par le régime d’Hugo Chávez, en particulier dans l’éducation, la santé et la défense des minorités, sont restées très populaires dans une partie de la population vénézuélienne. « Chacune des réformes chavistes a été soutenue par la population, y compris la nouvelle Constitution qui a été approuvée à 71 %, avec les 396 articles dont l’Article 123 qui reconnaissait pour la première fois les droits humains des personnes métisses et noires, dont faisait partie Chávez ».

Après la mort de Chávez, la baisse des prix du pétrole a plongé le Venezuela dans l’hyperinflation, faisant des ravages dans les prix des biens, d’autant plus dans un pays qui importe la quasi-totalité de ses produits alimentaires. C’est cette situation que cherche à exploiter la faction néocon de l’administration Trump, en sortant du chapeau Juan Guaido, une création synthétique du National Endowment for Democracy, une officine de la CIA.

Bien que l’illégitimité de Juan Guaido et l’illégalité de l’opération en cours soient aussi évidente que la terre est ronde, les analystes et les commentateurs internationaux nagent dans le dénis de réalité. « Il est trop difficile de raconter l’effondrement des prix du pétrole depuis 2014 comme étant en grande partie le résultat des machinations criminelles de Wall Street, explique John Pilger. Il est trop difficile de qualifier de sabotage le blocage de l’accès du Venezuela au système financier international dominé par les États-Unis. Il est trop difficile de qualifier comme illégales les ’sanctions’ de Washington contre le Venezuela, qui ont causé la perte d’au moins 6 milliards de dollars de revenus au Venezuela depuis 2017, dont 2 milliards de dollars de médicaments importés, ou de qualifier comme acte de piratage le refus de la Banque d’Angleterre de rendre les réserves d’or du Venezuela ».

Le président Trump, qui rencontre le président Kim Jong-un à Hanoï, au Vietnam, les 27 et 28 février, va devoir choisir entre d’un côté son attachement à sortir les États-Unis d’un impérialisme qui a non seulement divisé le monde depuis plus de cinquante ans mais également ruiné moralement et physiquement les États-Unis, et de l’autre les sirènes guerrières des néocons anglo-américains, qui cherchent un nouveau conflit afin de maintenir un ordre néolibéral et une alliance atlantiste qui se désagrègent de toutes parts.

C’est l’heure de vérité. Trump pourra difficilement mener à bout les négociations de paix avec la Corée du Nord, ainsi qu’avec la Russie et la Chine, s’il envoie dans le même temps des armes à l’opposition vénézuélienne et provoque un coup d’État. Kim Jong-un n’a certainement pas oublié que le dernier à avoir accepté de renoncer à l’arme nucléaire s’appelle Kadhafi...