Face à la colère, l’oligarchie des incapables rêve d’une « Europe-empire »

vendredi 16 novembre 2018

Les élites du monde « néolibéral » ressemblent de plus en plus à des poules sans têtes qui continuent à caqueter et à déambuler en faisant comme si rien n’avait changé ; le problème, c’est que cette incapacité à se remettre en question nous rapproche chaque jour du gouffre.

Le président Macron – Monsieur 26 % – nous en donne un exemple caricatural avec ses gesticulations face à la menace du populisme, cette « lèpre » qui menace l’ordre sociétal des honnêtes gens. Toute une énergie déployée pour crier au loup – principalement par opportunisme politique – en ne voulant pas voir que ce phénomène, qui apparaît de partout dans le monde occidental, n’est que la manifestation d’une population oubliée, mise au rebut de la « mondialisation heureuse » par les 20 % qui en bénéficient, et qui émerge aujourd’hui comme une nouvelle majorité populaire réclamant ses droits et surtout sa dignité, comme le montre bien Christophe Guilluy dans son livre No Society.

Mercredi soir sur TF1, dans une mise en scène théâtrale sur le porte-avions Charles de Gaulle, devant un Rafale qui brule 110 litres de kérosène par minute lorsque l’on pousse ses moteurs à plein régime, le président français a tenté d’adresser un « je vous ai compris » à la colère des « gilets jaunes », faisant son mea culpa sur le fait qu’il n’a pas « réussi à réconcilier le peuple et ses dirigeants », tout en fulminant qu’il ne changera rien. Tellement convaincu d’être dans le vrai, l’orateur finit par ne plus voir le mépris qu’il exprime et qui ruine un peu plus sa popularité à chaque passage télévisé.

Trois jours plus tôt, lors des commémorations pour le centenaire du 11 novembre, Macron se mettait également en scène dans le costume du dirigeant gaullo-mitterrandien debout face au nationalo-populisme. Étant donné qu’une grande rencontre entre Trump et Poutine aurait fait trop d’ombre à l’initiative française, les grands sujets internationaux ont été abordés lors d’un déjeuner de deux heures à l’Elysée en compagnie de leur hôte, le chef d’État français Emmanuel Macron et le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres.

Tandis que les médias faisaient leurs choux gras des tweets légèrement provocants du président américain à l’encontre de son homologue français, personne n’a daigné souligner l’incohérence entre son projet d’armée européenne, destinée à « nous protéger contre la Chine, la Russie et même les États-Unis », et le fait qu’une telle armée resterait de toute façon liée à l’OTAN, comme Merkel et Macron l’ont d’ailleurs tous deux confirmé – ce sur quoi Trump n’a pas manqué d’ironiser, en rappelant que les États-Unis fournissent la majorité du budget de l’organisation atlantique. Il est certain que cette Europe qui cherche tant à exister, pourrait commencer par cesser de s’équiper en matériel militaire américain. La Belgique, pour ne pas la nommer, pour remplacer ses F-16, aurait pu choisir le Rafale ou l’Eurofighter, au lieu d’acheter le F-35 américain.

De pire Empire

Dans l’atmosphère d’anxiété et de fébrilité – incertitude du Brexit, fronde du gouvernement italien, etc – qui entoure la préparation du prochain sommet européen du 4 décembre, le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire a accordé le 11 novembre (un siècle après la fin de la Grande guerre provoquée par les empires) une interview très révélatrice au quotidien allemand Handelsblatts. « L’Europe doit devenir une sorte d’empire, comme la Chine, et comme les États-Unis », a-t-il affirmé. Et, alors que le journaliste s’étonnait de l’entendre utiliser un terme qui « sonne comme un cri perçant à nos oreilles », le ministre a voulu assurer qu’il doit s’agir d’un « empire pacifique, un État constitutionnel. J’utilise ce terme pour mieux faire comprendre que le monde de demain sera celui du pouvoir. Le pouvoir fera toute la différence : la puissance technologique, économique, financière, monétaire et culturelle sera décisive. L’Europe ne doit plus craindre de jouer de sa puissance et être un empire de paix ».

C’est bien le loup qui sort du bois. Bruno Le Maire reprend ici à son compte les thèses du « libéral impérialisme » du haut fonctionnaire européen, le britannique Robert Cooper, et de Mark Leonard de l’European Council on Foreign Relations. Le président de la Commission européenne Manuel Barroso ne disait rien d’autre lorsqu’il affirmait que l’UE était « un empire non-impérial » (puisqu’on la rejoint volontairement)…

Il faut craindre que c’est ce qui se trouve derrière cette étonnante idée de « souveraineté européenne » chère à Macron. Car une telle souveraineté européenne n’a et ne peut avoir aucune réalité, d’autant plus avec une UE qui s’est faite la courroie de transmission de la finance folle de Wall Street et de la City et s’est progressivement désolidarisée des populations ; la seule réalité que cela reflète, c’est l’état d’esprit paranoïaque animant aujourd’hui l’ensemble de la classe dominante, qui se perçoit comme prise en étau entre une Russie agressive alimentant les nationalismes en Europe, une Chine envahissante et malintentionnée et une Amérique trumpiste, avec ses mesures extraterritoriales et ses hordes d’affreux « déplorables », ces gueux racistes, homophobes et hostiles à la « société ouverte ».

Cette paranoïa s’est amplifiée au fur et à mesure des votes de rejet qui se sont manifestés par le Brexit, l’élection de Trump et de la coalition Ligue-M5S en Italie. Ces votes ne sont pourtant pas des accidents de l’histoire, contrairement à ce que l’on voudrait faire croire, mais les conséquences d’une précarisation du socle des classes moyennes occidentales, comme le montre Christophe Guilluy. « Expliquer ces résultats par l’ingérence de la Russie ou la multiplication des fake news relève au mieux de la malhonnêteté, au pire de la stupidité », écrit l’essayiste. Car, en effet, la sécession des élites, qui a opéré à partir des années 1980 à travers la « citadellisation » dans les grandes métropoles, où se sont progressivement concentrés les classes supérieures et les « winners » de la mondialisation, a correspondu à l’appauvrissement et l’exclusion de l’ancienne classe moyenne issue des Trente glorieuses, reléguée dans la « France périphérique », c’est-à-dire dans le monde rural et les villes petites et moyennes – cette France qui se lève aujourd’hui avec les gilets jaunes.

Ne pas remettre en cause le modèle économique qui a engendré cette logique, et chercher à le préserver à tout prix, c’est nous conduire au chaos et à la guerre de tous contre tous. Rappelons d’ailleurs que ce sont bien les empires – français, allemands, britanniques, etc – qui avaient conduit à la Première Guerre mondiale, comme l’a dit avec raison la dirigeante du RN, qui s’est toutefois gardée de préciser que ces empires avaient pour cela manipulé et exacerbé les nationalismes.

Ce modèle économique est aujourd’hui en situation de faillite, dans tous les sens du terme. À nous de nous élever à la hauteur du défi, et d’apporter à la colère qui vient un projet pour nous libérer de ce système de spoliation et de dictature financière, et en bâtir un nouveau qui donne la priorité au travail humain, à l’école, au laboratoire et à l’hôpital.