Ce que nous apprend le pont géant d’Hong Kong-Zhuhai-Macao

lundi 29 octobre 2018

Il y a quelques jours, le 23 octobre, le président chinois Xi Jinping a officiellement inauguré le pont Hong Kong-Zhuhai-Macao, le plus long pont maritime du monde, avec ses 55 kilomètres. Sa construction a duré 9 ans, pour un coût d’environ 15,5 milliards d’euros. Il s’agit de l’un des « sept miracles du monde moderne », s’enflamme l’agence Xinhua, non sans raison.

Prévu pour résister à des tremblements de terre et des tempêtes, le pont a nécessité 400 000 tonnes d’acier – de quoi construire 60 tours Eiffel ! L’ouvrage s’appuie sur trois ponts à haubans qui chevauchent l’embouchure du delta de la rivière des Perles, avant de plonger tel un serpent de mer dans un tunnel sous-marin long de 6,7 kilomètres – pour permettre le passage des bateaux –, puis d’en ressortir via deux îles artificielles.

Une bonne vingtaine de problèmes majeurs d’ingénierie, jugés jusque là insolubles, ont été résolu par une petite armée de très jeunes ingénieurs. Certes, une quinzaine de pays ont, par leur expertise, contribué au projet (dont un segment a été réalisé en coopération avec le français Bouygues), mais celui-ci est « essentiellement chinois », souligne l’ingénieur chinois Gao Xinglin.

« Au début, les experts étrangers nous ont dit que ce serait impossible à cause des contraintes techniques. Mais, à présent que c’est chose faite, la Chine se hisse au rang des meilleurs créateurs de ponts du monde », se félicite Zhang Meisheng, président du bureau des affaires étrangères de Zhuhai.

L’objectif est d’intégrer d’avantage les trois pôles économiques que sont la province du Guangdong et les régions administratives spéciales de Macao et de Hong Kong, ce à quoi il faut ajouter les neuf autres villes. Le bénéfice en termes de transport est énorme : il faut désormais quatre fois moins de temps pour aller de Hong Kong à Macao.

Bien entendu, cette réalisation de BTP et d’ingénierie est avant tout emblématique de la dynamique des Nouvelles Routes de la soie et de l’état d’esprit optimiste qu’elles encouragent.

« Ce pont, c’est vraiment l’un des ouvrages du siècle pour la Chine. L’investissement est énorme ! A court terme, forcément, il ne sera pas rentable. Mais à long terme, l’ouvrage sera utile aux habitants de la région et à l’économie chinoise. Nous avons besoin de ce genre de grands travaux. C’est un moteur de croissance », explique Hu Xingdou, chercheur en sciences économiques à l’Institut des technologies de Beijing.

Dans son discours d’inauguration, Xi Jinping a fait l’éloge des bâtisseurs du pont : « Vous avez contribué à la conception, la construction et la maintenance du pont, donnant toute la mesure de vos talents et de votre sagesse, et vous l’avez fait autant en qualité qu’en quantité ». Xi a également souligné le fait qu’ils ont battu un certain nombre de records mondiaux, dans une belle démonstration de « la volonté nationale de surmonter toutes les difficultés, la capacité d’innovation et l’ambition d’être les meilleurs au monde ».

Nous devrions en prendre de la graine. Après tout, cet état d’esprit de la Chine créant, inventant et bâtissant – qui fait hurler au loup tous les bobos bien-pensants d’Occident et de Navarre – n’était-ce pas le nôtre naguère, lorsque nous développions le nucléaire et le TGV, et inventions le Concorde et l’Aérotrain ? Lorsque nous équipions le territoire en réseaux d’électricité, de télécommunications, de centres de recherche et d’universités, et que nous repoussions les limites de la connaissance, explorant les « trois infinis » – le subatomique, le vivant et l’espace ?

Aujourd’hui, pendant que nous nous faisons plaisir à donner des leçons de droit de l’homme et de démocratie aux Chinois et à décrier les Nouvelles Routes de la soie comme une affreuse entreprise néocoloniale, nos infrastructures de base vieillissent, se fissurent et s’effondrent, et notre société, privée de vision à long terme, se réduit comme peau de chagrin. Les quelques grands chantiers restant – les investissements urgentissimes dans la SNCF, le Canal Seine Nord Europe (CSNE) et le Grand Paris – sont en panne, remis à plus tard, pour cause de dirigeants qui d’une part succombent aux sirènes de la finance et des start-up, et d’autre part se soumettent aveuglément aux critères d’austérité de Maastricht…

La belle réalisation du pont Hong Kong-Zhuhai-Macao nous offre un miroir de ce que nous étions dans le passé et que nous avons sacrifié sur l’autel du néolibéralisme, et avec quoi nous devrions renouer aujourd’hui. Car, contrairement aux préjugés, l’approche économique de la Chine n’est ni un communisme rigide ni un capitalisme débridé, mais un dirigisme planifié avec un fort vecteur scientifique et technologique, qui fait que la Chine d’aujourd’hui n’est plus celle qu’elle était il y a trente ans, quand elle vendait partout ses produits « Made in China », pâles copies des produits occidentaux, grâce à une main-d’œuvre à bas coût. Et l’ironie est qu’elle s’inspire pour cela des modèles dirigistes occidentaux développés pendant le XXe siècle, comme le New deal de Roosevelt et la planification gaulliste.

Aujourd’hui, alors que, faute d’agir sur les causes de la désintégration sociale et économique, nous voyons des deux côtés de l’Atlantique ressurgir nos vieux démons – le dernier en date étant l’élection de Bolsonaro au Brésil (le « Pinochet 3.0 ») –, il est urgent que nous ravivions cet héritage des bâtisseurs de nation, et que nous retrouvions cet esprit, qui anime aujourd’hui les Chinois et qui animait les Américains (et les Européens) lorsque, le regard tourné vers les étoiles, ils écoutaient John F. Kennedy leur expliquer avec passion qu’on allait se rendre sur la Lune, « non pas parce que c’est facile, mais justement parce que c’est difficile ». Car c’est à travers ce type d’effort national et international que l’on peut « organiser et donner le meilleur de nos énergies et de nos savoir-faire, parce que c’est le défi que nous sommes prêts à relever, celui que nous refusons de remettre à plus tard, celui que nous avons la ferme intention de gagner, et les autres aussi ».