Crise migratoire : un test de civilisation pour l’Europe

lundi 9 juillet 2018

Cédric Herrou, l’agriculteur de la vallée de la Roya devenu symbole de l’aide aux migrants, a obtenu gain de cause vendredi auprès du Conseil constitutionnel, qui a censuré le « délit de solidarité » au nom du principe de fraternité inscrit dans notre Constitution. C’est une excellente nouvelle, qui montre que l’humanité n’est pas entièrement éteinte dans cette vallée des paumés qu’on appelle l’Union européenne.

Près de 80 % des procès engagés sur la base du délit de solidarité vont sauter ; mais le plus important est le message envoyé à la population : il est possible d’aider des gens, même s’ils se trouvent en situation irrégulière. Cédric Herrou nous donne ici une leçon de fraternité.

« On devrait garder à l’esprit que chacune de ces personnes est aussi humaine que vous et moi et tous ceux qui se trouvent dans cette salle », a déclaré Helga Zepp-LaRouche, la présidente internationale de l’Institut Schiller, lors de la conférence de Bad Soden, en Allemagne, le 30 juin. « Il ne s’agit pas de chiffres mais de gens qui sont comme vos voisins, vos amis, vos proches ».

Le récent sommet de l’UE, qui s’est déroulé les 28 et 29 juin dans un contexte de tensions entre la France, l’Italie, l’Allemagne et les pays de Visegrad, n’a apporté aucune véritable solution. La forteresse européenne continue de se recroqueviller sur elle-même, tout en ne résolvant pas les sujets de discorde intérieure. C’est ainsi qu’il est envisagé de fermer davantage les frontières extérieures de l’UE, ou encore de renforcer Frontex en la militarisant. Le président du Parlement européen a proposé 6 milliards d’euros supplémentaires pour bloquer l’accès à la Méditerranée au niveau de la Libye ou de la Turquie.

Il est envisagé de créer des « centres de débarquement », dans un premier temps à l’intérieur de l’Union, avant de pouvoir le faire ensuite en Afrique. Cette idée est non seulement barbare – les migrants seraient jetés dans un milieu hors de contrôle des gouvernements africains, comme c’est le cas actuellement en Libye, les exposant aux pires violences et à l’esclavage – mais elle est également irréalisable : Ni l’Égypte, ni la Libye, ni le Maroc, ni la Tunisie, ni l’Algérie n’accepteront de tels camps.

Il s’agit de « vieilles solutions à de vieux problèmes », écrivent He Wenping, du Charhar Institute de Chine, et Hisham Abu Bakr Metwally, de la Direction Centrale de la politique d’exportation et d’importation au ministère égyptien du Commerce extérieur et de l’Industrie, dans le journal chinois Global Times, le 5 juillet. La tribune, qui s’intitule « Il est temps pour l’Europe d’apprendre de la Chine en s’engageant en Afrique », fait largement écho aux idées qui ont été présentées lors de la conférence de l’Institut Schiller à Bad Soden. He et Metwally avaient d’ailleurs tous deux participé à de précédentes conférences organisées par l’Institut Schiller.

« Le continent européen opère toujours de la même manière pour tenter d’empêcher l’entrée des immigrants, sans agir sur les causes des migrations », écrivent-ils. En effet, en supposant que ces mesures permettront un temps de résorber l’immigration, les migrants finiront toujours par trouver d’autres moyens pour parvenir en Europe, dans une clandestinité de plus en plus grande, tant que les causes des migrations existeront toujours.

Pour He et Metwally,

La racine des migrations est la pauvreté. Le continent africain subit l’occupation et la guerre depuis plusieurs décennies. De nombreux pays africains n’ont pas pu se mettre sur la voie des réformes et du développement. Cela a mis les populations de ces pays sous la pression insoutenable de la pauvreté, l’ignorance et la maladie. Ceux qui ont décidé d’atteindre l’Europe ont dû se sont jeter eux-mêmes dans l’abîme ; ils ont affronté le danger et l’horreur, en s’accrochant à l’espoir d’un avenir meilleur, prêts même si nécessaire à mourir pour cela.

Il est temps pour l’Europe de se pencher sur l’expérience chinoise en Afrique. La politique chinoise s’est toujours focalisée sur le développement. (…) Le continent africain joue un rôle important dans l’initiative de la ceinture et la route [les Nouvelles Routes de la soie]. La Chine fournit les financements et la force de travail pour bâtir des infrastructures, qui permettent à l’Afrique d’augmenter sa production et ses exportations, et d’améliorer les conditions de vie de millions d’Africains.

La nécessité d’engager l’Europe dans une politique de développement de l’Afrique, malgré l’aveuglement des dirigeants, progresse tout de même dans les esprits. En témoigne l’appel des membres du Cercle des économistes, réunis pour les 18e Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, à faire de l’Afrique « une priorité européenne, avec un plan décennal de financement des infrastructures concernant l’eau, l’énergie et la formation ».

Malheureusement, ces économistes ne mentionnent pas la main tendue par la Chine à l’Europe en faveur d’une coopération en Afrique dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie. De plus, aucune politique de développement de l’Afrique ne sera envisageable pour l’Europe sans remettre en cause les dogmes néolibéraux de mise en concurrence effréné des individus et des entreprises, dans un système où règnent la loi de la jungle et l’argent fou, et sans rétablir un système de crédit public au service de l’équipement de l’homme et de la nature.

Beaucoup en France commencent à s’inquiéter des conséquences périlleuses de cet état quasi schizophrénique où l’on crie au loup du « populisme » face à Trump, aux Italiens, aux Hongrois ou aux Autrichiens, tout en pratiquant une politique migratoire essentiellement alignée sur l’extrême-droite. Jack Dion souligne par exemple dans Marianne le fait que « le populisme est l’arme idéale d’une élite hors sol qui se sent investie d’une mission d’évangélisation idéologique et qui ne supporte pas que le peuple n’avale pas ses dogmes comme on avale une hostie ».

La crise migratoire nous jette le défi, à nous Européens, de briser les chaînes mentales déterminées par la crise économique actuelle, et qui nous induisent à considérer l’autre comme un ennemi, dans le contexte d’une société en peau de chagrin devenue incapable de produire ce qui est nécessaire pour accueillir plus d’êtres humains dans des conditions dignes.

« Tous les hommes deviennent frères » (« Alle Menschen werden Brüder »), dit l’Ode à la joie de Schiller, mise en musique par Beethoven dans la IXe Symphonie. L’Union européenne, qui a pourtant choisi ce chant pour son hymne, s’est complètement fourvoyée, et il est grand temps de la changer !