Les analyses de Jacques Cheminade

Election législative : prendre le risque de connaître et de défendre la vérité

jeudi 30 mai 2002

Un peuple exaspéré et une jeunesse aux idées confuses, mais affamés d’idéaux, exigeants de projets nouveaux, réclamant un sursaut autour du bien commun, ne se voient servir en retour que les plats réchauffés d’une caste politicienne. C’est ainsi que l’on peut résumer l’étrange climat de ces élections législatives, qui non seulement se déroulent hors du temps et de l’espace de la politique internationale, mais sont jouées par des acteurs faisant comme si les scrutins nationaux d’avril n’avaient pas eu lieu, comme si on pouvait « continuer comme avant ».

L’enjeu est l’opportunité de « donner une majorité au Président » pour qu’il puisse agir, ou d’empêcher ce même Président de disposer d’une majorité, afin qu’il ne puisse pas nuire. En un mot, la réalité se trouve réduite à un jeu de rôles auquel sont invités les électeurs-zapettes. Car si l’on tente de déterminer la nature du contenu qui pourrait être si bénéfique ou si maléfique, l’on ne trouve, comme dans le conte d’Andersen, que le parfum des plats, ou encore, comme dans un mauvais restaurant chinois, qu’une accumulation de rubriques bidouillées avec des ingrédients toujours semblables, à peu près satisfaisants pour le palais mais bien moins pour l’estomac.

Rien sur la situation internationale

Ce qui manque dans ces élections est donc, le lecteur l’aura compris depuis longtemps, bien plus important que ce qui s’y trouve.

Rien d’abord ne figure sur la situation internationale. Aucune analyse n’est effectuée par aucun parti ou candidat sur ce qui se passe dans le monde ou même en Europe. Aucun engagement n’est proposé pour la France. Alors même que le système financier et monétaire international s’écroule, que les symptômes de cet écroulement se multiplient, d’Enron à l’Argentine, et que les vagues commencent à frapper lourdement nos côtes avec Vivendi-Universal.

L’on fait « comme si » les comptes frauduleux des entreprises américaines n’allaient pas avoir d’effet sur notre pays et, surtout, n’avaient pas eu chez nous de fidèles imitateurs. L’on fait comme si la multiplication des emprunts liés à la notation financière des entreprises, notamment dans le secteur des télécommunications, n’allaient avoir aucun effet - alors qu’une fois la notation abaissée, en période de crise, les sociétés auront de plus en plus de mal à avoir accès aux crédits et verront en même temps leurs charges financières s’alourdir, faisant soudain apparaître sur la scène de la réalité une situation catastrophique cachée jusque-là par les acrobaties comptables du virtuel. L’on fait comme si tout allait bien en Bourse, alors que les principaux investisseurs institutionnels (les gros calibres financiers) n’ont plus de réserve de liquidités pour contrecarrer un violent mouvement à la baisse. L’on fait comme si tout pouvait linéairement continuer, les riches à s’enrichir, les pauvres à s’appauvrir, les marchés de l’or et du pétrole à être manipulés et le shérif américain à faire la loi.

Certes, nous critiquons l’unilatéralisme de l’administration Bush, mais avec une prudence de coq aux ergots rabotés et en acceptant que les fonds américains et britanniques prennent leurs aises chez nous. Aussi, les hommes du complexe militaro-financier d’outre-Atlantique n’ont aucun respect pour nous et considèrent nos responsables comme une petit classe dissipée mais complaisante.

Dans ces conditions, nous ne pesons plus rien - ou bien peu. N’est-ce pas justement l’acceptation de ce fait - cette délimitation du terrain par notre impuissance - qui constitue le contenu du pacte passé entre nos principaux « partis de gouvernement » ? Tous acceptent le costume, même s’il rétrécit constamment, et ne se disputent que sur la nature des retouches : un peu moins d’impôts par ci, un peu plus de sécurité par là, et Messier reprenant le rôle d’Haberer en « cocu d’Hollywood », avec la complicité quasi-générale de la fine fleur du capital « français » (cf. le conseil d’administration de Vivendi-Universal).

L’Etat dépouillé

En même temps, la logique de Bruxelles étant celle de la concurrence, du monétarisme et du libre-échange, il est « normal » qu’elle s’oppose à celle du secteur et du service publics. Ce qui est moins normal, c’est que tout le monde, avec plus ou moins de bonne volonté, se soumette.

Acte 1 : Jacques Chirac promet d’abaisser l’impôt sur le revenu, de 5 % dans l’immédiat, en repoussant de 2004 à 2007 l’équilibre de nos comptes publics. Il annonce donc qu’il ne va pas respecter le calendrier fixé par le pacte de stabilité et de croissance, épine dorsale du traité de Maastricht. Il le fait pour une mauvaise cause - réduire l’impôt sur le revenu, seul impôt progressif, c’est enrichir les plus riches - mais sans annoncer de mesures d’austérité ni de privatisations par ailleurs.

Acte 2 : Bruxelles et Berlin protestent et rappellent la « loi » européenne.

Acte 3 : Jacques Chirac s’incline. Il réduira l’impôt sur le revenu, mais tiendra ses engagements européens, en cédant une partie des participations de l’Etat au capital d’entreprises publiques et privées. L’on parle dans un premier temps d’Air France, des Aéroports de Paris, de la Snecma, de Renault, de Thomson Multimédia, de Dassault Systèmes et du sempiternel Crédit lyonnais. Dans un deuxième temps, ce sera au tour d’EDF, de GDF, peut-être de France 2. Et puis plus tard, viendraient la SNCF, La Poste et la Caisse des dépôts et consignations - si l’on continue avec la même logique.

Bref, on se dépouille des bijoux de famille pour servir les marchés, c’est-à-dire des intérêts financiers à la recherche de bonnes affaires. Au bout du processus, l’on arriverait à la situation de l’Argentine : tout a été vendu et l’Etat, le pays et la société se trouvent la corde au cou.

Certes, nous en sommes encore très loin, mais nous en prenons bel et bien le chemin.

Entend-on une voix s’élever contre cela, en expliquant clairement la situation ? En un sens, un Bernard Maris ou un Bernard Cassen le font, mais sans alternative. Ils restent donc des voix dans le désert, qui font rire les « professionnels » que sont MM. Devedjian, Juppé, Hollande ou Fabius - cités au petit bonheur et dans le désordre.

Quoi d’autre ?

Arrivés à ce point de l’analyse, beaucoup d’hommes politiques nous répondront : je sais, mais l’on ne peut rien faire d’autre. Le système est ainsi. Les données structurelles ont changé depuis trente ans, etc.

Eh bien, justement. C’est la question des « données structurelles » qui devrait être posée dans ces législatives. Que peut-on faire d’autre, comment et avec qui ? Il y a du pain sur la planche : une politique extérieure guidée par l’intérêt des peuples, une politique d’éducation rétablissant l’égalité des chances et la production de créateurs, contestant les injustices et les idées reçues, une politique de sécurité fondée sur un projet social, éducatif et de logement, une politique des retraites qui ne se fasse pas à l’encontre des ouvriers - ils meurent plus jeunes et leurs cotisations servent à payer les retraites des cadres -, une politique des 35 heures qui ne soit pas défavorable aux salariés modestes - ils voient aujourd’hui la flexibilité augmenter et leurs salaires stagner.

Pour s’attaquer à un tel projet, cohérent et mobilisateur, permettant de tracer un autre horizon politique, la question de la nature de l’Europe et d’un nouvel ordre monétaire et financier international doit être abordée de front.

Personne ne le fait, sauf nos quelques candidats. Ce sont donc des élections pour rien, à l’exception de ce combat et de ce message, seuls porteurs d’un « jamais plus comme avant ».