L’affaire Skripal, une "divine surprise" ou une descente aux enfers ?

mardi 3 avril 2018

Une « divine surprise » ! C’est ainsi qu’avait été accueillie en juin 1940 la victoire nazie sur la France et l’avènement de la contre-révolution conservatrice du Maréchal Pétain, non seulement parmi l’extrême-droite française, mais aussi l’église catholique et surtout les milieux de la grande banque et des cartels, qui se frottaient les mains à l’idée de la collaboration.

C’est sans doute ce que certains ont dû penser en découvrant que l’ex-espion russe Sergueï Skripal avait été empoisonné avec sa fille à Salisbury, et en entendant la Première ministre Theresa May désigner la « responsabilité russe » comme « seule explication plausible ».

Et, en effet, le moment ne pouvait pas être mieux choisi :

  • La tentative de coup d’État montée contre la présidence Trump à travers le « Russiagate » est en pleine déconfiture, et ses auteurs au sein du FBI, du Département de la Justice américain, du MI6 britannique, et des réseaux néo-cons au sein des Partis démocrate et républicain, risquent de se retrouver bientôt derrière les barreaux ;
  • En Grande-Bretagne, le gouvernement de Theresa May ne tient qu’à un fil, et Jeremy Corbyn, de l’aile gauche du Labor Party, favorable à une détente dans les relations avec la Russie et la Chine, apparait comme le très probable vainqueur en cas d’élections anticipées ;
  • Les efforts des Britanniques et de l’administration Obama pour renverser le gouvernement en Syrie et plonger le pays dans le chaos et l’enfer djihadiste, suivant le modèle appliqué en Irak et en Libye, ont été sévèrement minés par l’ouverture faite par le président Trump à l’égard de la Russie, laquelle a permis tant bien que mal de mettre en œuvre une coopération contre les terroristes ;
  • Enfin, tandis que de plus en plus de pays européens rejettent la diabolisation de la Russie, l’Italie s’apprête à former un nouveau gouvernement qui rejettera probablement les sanctions européennes contre la Russie.

Le crépuscule d’un empire en banqueroute

En toile de fond, un enchevêtrement de bulles spéculatives menace d’exploser à tout moment et d’emporter l’ensemble du système financier de Wall Street et de la City de Londres. Il s’agit plus généralement de la faillite du modèle économique de « libre-échange » – c’est-à-dire la dictature des marchés –, couplé à une géopolitique de changements de régime et de guerres. Ce modèle s’est montré incapable d’engendrer autre chose que la casse sociale, la pauvreté et le chômage de masse dans les pays occidentaux, et le chaos, la destruction et le terrorisme dans le reste du monde.

L’affaire Skripal représente une tentative ultime d’imposer des conceptions « géopolitiques » sur une réalité qui y répond de moins en moins. En effet, il est remarquable que de nombreux pays ayant refusé de rejoindre la prétendue « grande coalition » de Theresa May et d’expulser des diplomates russes, comme la Grèce, la Bulgarie, la Bosnie-Herzégovine, ou le Portugal, font justement partie des pays qui développent de plus en plus de relations avec la Russie et la Chine dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie.

Pendant que se jouait le cirque des expulsions de diplomates russes, auquel le Portugal refusait de se prêter, se tenait à Lisbonne une grande conférence organisée par l’Association des Amis de la Nouvelle Route de la Soie. Parmi les intervenants se trouvait le ministre portugais des Affaires étrangères, l’ambassadeur de Chine et de nombreuses autres personnalités. Les discussions se sont concentrées sur l’idée de faire du Portugal un centre névralgique, non seulement pour l’extrémité ouest de la ligne terrestre de la nouvelle Route de la soie, mais aussi du point de vue de la route maritime, grâce à la construction d’un port en eau profonde de Sines (à environ 200 km au sud de Lisbonne). L’extension du chemin de fer à grande vitesse de Madrid à Sines permettra ensuite de connecter la Route de la soie terrestre et la route de la soie maritime.

Ne pas sombrer avec le Titanic

Malgré l’expulsion de 60 diplomates russes par les États-Unis, le président Trump a refusé de faire aucun commentaire sur l’affaire Skripal, se permettant même d’appeler le président Poutine pour le féliciter de sa réélection et lui proposer une rencontre très prochainement, ce qui a eu le don de mettre hors d’eux les néocons américains et britanniques. Demain, le 4 avril, l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) ouvrira une cession extraordinaire afin de statuer sur le cas de l’empoisonnement de Sergeï Skripal. Le 22 mars, la Cour suprême britannique a démenti l’affirmation de Theresa May selon laquelle Skripal et sa fille avaient été empoisonnés par un gaz neuro-paralytique de classe militaire et notamment connu sous le nom de « Novitchok », et il se pourrait bien que l’OIAC parvienne aux mêmes conclusions.

L’effondrement de cette grossière campagne de propagande anti-russe peut donc survenir assez rapidement ; cela aura sans doute des répercussions stratégiques très importantes, ne serait-ce que du fait de la chute du gouvernement de Theresa May et de la possible élection de Jeremy Corbyn au 10 Downing Street. Mais l’ampleur des moyens et de l’hystérie déployés dans cette affaire montre que ceux qui l’ont activée sont prêts à tout pour parvenir à leurs fins, y compris à nous emmener en enfer avec eux.

C’est pourquoi il est essentiel que chacun se batte pour rétablir la vérité ; en particulier en France où, alors que Chirac et Villepin avaient résisté aux mensonges de Bush et de Blair en 2003 sur l’Irak, Emmanuel Macron a choisi au contraire de s’engager aveuglément aux côtés de Theresa May, participant même à la parodie d’enquête de la Première ministre britannique.