Les fonds vautour veulent plumer la Belgique

vendredi 23 mars 2018, par Karel Vereycken

Avant l’audience, une action symbolique menée par les 3 ONG avec le soutien des réseaux ADES, Financité, Rethinking Economics et du Théâtre Croquemitaine a eu lieu à Bruxelles place royale, face à la Cour constitutionnelle, afin d’illustrer pourquoi il faut défendre la loi belge relative aux fonds vautours.

Le 7 mars, devant la Cour constitutionnelle de Belgique à Bruxelles, trois ONG (le CNCD-11.11.11, son homologue néerlandophone 11.11.11 et le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, CADTM) ont présenté aux côtés de l’État belge leurs arguments dans le cadre d’une audience publique afin de défendre la loi adoptée en Belgique en 2015 visant à lutter contre les « fonds vautours ».

(Merci de signer la pétition de notre parti frère en Belgique, Agora Erasmus)

La loi belge contre les fonds vautours fait l’objet d’un recours introduit par le fonds d’investissement NML Capital en 2016.

Pour la petite histoire, Paul Singer, son PDG, est le plus grand contributeur du Parti républicain américain.

Violemment opposé à Trump avant son élection, le New York Times le cite pour avoir été un des premiers à avoir financé la société GPS Fusion pour concocter, avec l’aide de maître-chanteur Christopher Steele du MI6 britannique, le dossier accusant Trump de collusion avec la Russie, avant qu’il soit repris par la direction du Parti démocrate... Comme quoi le monde est petit...

Ci-dessous :

Pourquoi il faut défendre la loi belge sur les fonds vautours

Source : CNCD-11.11.11

Les fonds vautours sont des fonds d’investissements généralement installés dans des paradis fiscaux. En l’occurrence, NML Capital, une filiale du groupe Eliott, propriété du milliardaire Paul Singer, est enregistré aux îles Caïmans.

Ces fonds sont spécialisés dans le rachat à bas prix de vieux titres de la dette de pays surendettés. Ces fonds multiplient ensuite les procédures judiciaires pour obtenir un remboursement équivalent à la totalité de la valeur nominale de la dette majorée des intérêts et de pénalités de retard. Les taux de profits des fonds vautours oscillent entre 300 % et 2000 %. Cette spéculation s’exerce aux dépens des populations et de leurs droits sociaux fondamentaux.

A titre d’exemple, en 2011, en RDC, les montants réclamés par trois fonds vautours équivalaient à 85% du budget national consacré à la santé et à 41% du budget de l’enseignement.

Pourquoi il faut sauver la loi belge ?

La Belgique a adopté en 2008 une première loi permettant de protéger les montants issus de l’Aide publique au développement de ces fonds. En effet, par le passé, un fonds vautour, Kensington International, une autre filiale du groupe Eliott, avait réussi à obtenir la saisie de fonds publics belges destinés à deux projets de coopération au développement au Congo-Brazzaville.

En 2010, le Royaume-Uni a adopté à son tour une loi interdisant aux fonds vautours de capter les réductions et annulations de dette accordées par le FMI aux pays pauvres et très endettés.

La loi belge de 2015 va un cran plus loin. Fait remarquable, elle a été adoptée à la quasi-unanimité par le Parlement, au-delà du clivage majorité-opposition. La loi interdit aux fonds vautours d’exiger un montant plus élevé que celui auquel ils ont initialement acheté les dettes sur le marché secondaire. Pour cela, le juge doit établir que le créancier cherche à obtenir un « avantage illégitime », en fonction d’un certain nombre de critères : lorsqu’il y a une disproportion manifeste entre le prix payé et le montant réclamé ; l’État était insolvable ou dans une situation de risque imminent de défaut lors du rachat de la créance ; le créancier est légalement établi dans un paradis fiscal, etc.

Pour les 3 ONG, « en l’absence de mécanisme multilatéral, ce type de loi nationale est indispensable pour contrer les fonds vautours. Paul Singer et NML Capital l’ont bien compris, c’est pourquoi ils essayent à tout prix de faire annuler cette loi avant qu’elle ne puisse inspirer les autres pays créanciers. L’enjeu de ce procès à la Cour constitutionnelle va donc bien au-delà des frontières belges, car si elle était généralisée, elle permettrait de couper les ailes aux fonds vautours ».

Évitons le dépeçage de la Belgique,
coupons les ailes aux fonds vautours

Source : L’Echo, 6 mars 2018.

Les fonds vautours ne sont pas seulement inutiles, ils sont dangereux économiquement. Ils renforcent et amplifient l’instabilité économique et empêchent le redémarrage économique des États qui en sont victimes.

Les fonds vautours sont des institutions financières, domiciliées dans les paradis fiscaux, qui rachètent à très bas prix des dettes d’États en difficulté, et multiplient ensuite les procédures judiciaires dans différentes juridictions contre l’État emprunteur ; cela afin d’obtenir des rendements très importants.
Paul Singer

Paul Singer est à la tête d’Elliott Associates, le plus grand des fonds vautours. Ce milliardaire américain s’est attaqué au Pérou en 1996 : il a acheté pour 12 millions de dollars de dettes et, 4 ans plus tard, a forcé le gouvernement péruvien à payer 55 millions. Ce cas prouvait que ce mécanisme de rachat de dette était très profitable et a entrainé la croissance de ces pratiques.

Des fonds qui exploitent les pays en difficulté

Pour assurer ses missions et se financer, un État émet des titres de dette , achetés par des investisseurs. Suite à des difficultés économiques, cet État peut ne plus arriver à rembourser les intérêts de sa dette, et les prix des titres de dette de ce pays chutent sur les marchés financiers. Les fonds vautours rachètent alors une part importante des dettes, à une fraction de leur valeur d’origine. Ensuite, ces fonds intentent un très grand nombre d’actions en justice pour exiger le paiement de la valeur d’origine des dettes, en y ajoutant des intérêts, des pénalités et des frais de justice. De plus, les fonds vautours refusent de participer aux négociations entre l’État en difficulté et ses créanciers qui aboutissent souvent à un ré-échelonnement de sa dette (baisse des taux d’intérêt et allongement du calendrier des remboursements) et parfois même une réduction de celle-ci.

Les profits des fonds vautours peuvent être colossaux, jusqu’à 20 fois la valeur de leur investissement initial, aux dépens des populations.

Les profits des fonds vautours peuvent être colossaux, jusqu’à 20 fois la valeur de leur investissement initial, aux dépens des populations. L’ONU conclut ainsi que ces fonds "compromettent la capacité des gouvernements de garantir le plein exercice des droits fondamentaux de la population" . Les fonds vautours, qui agissent dans des conditions douteuses vis-à-vis du droit international, obtiennent néanmoins, dans la majorité des cas, des jugements nationaux qui leur sont favorables.

Ces fonds vautours sont aussi des acteurs politiques puissants via le travail de lobby qu’ils effectuent ou le financement de campagnes politiques. Par exemple, Paul Singer fut régulièrement l’un des plus gros contributeurs des campagnes républicaines aux États-Unis, notamment celle de George W. Bush . Ces fonds déstabilisent également les gouvernements des pays surendettés. Une de leurs astuces consiste à s’assurer que des fonctionnaires influents des gouvernements ciblés fassent secrètement partie du groupe des investisseurs qui rachètent la dette dévalorisée. Ces fonctionnaires vont alors se battre au sein des gouvernements pour s’assurer que les dettes soient entièrement payées.

Il ne s’agit pas de blâmer les États emprunteurs. Le surendettement des pays vient souvent d’évolutions extérieures à leurs économies nationales. Par exemple, à partir de 1979, la banque centrale américaine a décidé de monter ses taux d’intérêts, ce qui a causé une hausse importante des taux d’intérêts mondiaux. Durant les années 1980, des désaccords au sein de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole ont entrainé une forte chute du prix du pétrole. Les prix d’autres matières premières (dont le charbon) ont également diminué. Ces deux changements, que nul n’avait anticipé, ont entrainé un surendettement massif de nombreux pays pauvres.

Et la Belgique dans tout ça ?

Dans les années 2000, le même Paul Singer continue sa funeste entreprise. Une de ses filiales, rachète des titres de dette du Congo-Brazzaville pour 1,8 millions de dollars. Elle réclame ensuite le paiement de 118 millions de dollars et fait saisir des fonds destinés à ce pays, s’accaparant ainsi l’aide au développement qui lui était destinée. L’une des saisies était un don d’un montant de près de 600.000 euros provenant de la Coopération belge au développement. Ce détournement a entraîné l’adoption d’une première loi belge en 2008 contre les fonds vautours, qui protège les biens de la coopération au développement de toute saisie.

En 2015, le Parlement belge adopte une nouvelle loi bien plus ambitieuse et efficace : elle empêche ces spéculateurs d’obtenir, en Belgique, plus que ce qu’ils ont payé pour racheter les dettes des pays endettés. C’est une avancée remarquable. Actuellement, seuls 3 pays au monde ont mis en place des lois pour contrer les fonds vautours : la Belgique, le Royaume-Uni et la France.

Récemment, Paul Singer a déposé une requête devant la Cour constitutionnelle, afin d’annuler la loi belge. Les fonds vautours ne s’arrêtent donc pas au pillage des États endettés. Ils veulent, en plus, attaquer les maigres avancées à l’encontre de leurs pratiques nuisibles. Le CNCD-11.11.11, son homologue néerlandophone 11.11.11, et le CADTM interviennent en justice pour défendre, aux côtés de l’État belge, cette loi de 2015.

Les professeurs d’universités suivants vous invitent à vous mobiliser contre les pratiques de ces fonds vautours. Parce que ces fonds ne sont pas seulement inutiles, ils sont dangereux économiquement. Ils renforcent et amplifient l’instabilité économique et empêchent le redémarrage économique des États qui en sont victimes.

  • Alaluf Mateo, professeur de sociologie à l’ULB ;
  • Ansoms An, professeure d’économie et de développement à l’UCL ;
  • Borriello Arthur, maître de conférences en science politique, ULB ;
  • Born Charles-Hubert, professeur de droit à l’UCL ;
  • Cartuyvels Yves, professeur de droit à l’USL-B ;
  • Charlier Sophie, professeur de droit à l’UCL ;
  • David Eric, Professeur émérite de droit international, Président du Centre de droit international, ULB ;
  • de Beer Daniel, professeur de droit à l’USL-B ;
  • Demeulemeester Jean-Luc, Professeur d’économie et histoire de la pensée économique, ULB ;
  • de Munck Jean, professeur de sociologie et philosophie à l’UCL ;
  • Deruette Serge, professeur de Sciences politiques à l’UMONS ;
  • De Schutter Olivier, professeur de droit à l’UCL ;
  • Delrez Marc, professeur de littérature anglophone à Ulg ;
  • Deroubaix Jean-Claude, enseignant en sociologie à l’U-Mons ;
  • Dimier Véronique, professeure de science politique, ULB ;
  • Durand Pascal, professeur ordinaire, Faculté de Philosophie et Lettres, ULg ;
  • Ferreras Isabelle, professeure de sociologie à l’UCL ;
  • Gevers Michel, professeur en science de l’ingénieur à l’UCL ;
  • Gillis Pierre, physicien, professeur honoraire à l’UMONS ;
  • Gosseries Axel, professeur de droit et philosophie à l’UCL ;
  • Gobin Corinne, maître de recherche FNRS-ULB en sciences politiques ;
  • Gourbin Catherine, professeure de démographie à l’UCL
  • Hambye Philippe, professeur de linguistique à l’UCL
  • Jacquemain Marc, professeur de sociologie à l’ULg
  • Jamar David, Professeur de sociologie, Université de Mons
  • Kellner Thierry, professeur en science politique, ULB
  • Laurent Pierre-Joseph, professeur d’anthropologie à l’UCL
  • Lemaître Andreia, professeure d’économie et de développement à l’UCL
  • Marc-Emmanuel Mélon, professeur en science de la communication à l’ULg
  • Pagnoulle Christine, professeure de philosophie à l’ULg
  • Pasetti Quentin, assistant en Sciences politiques à l’UMONS
  • Pleyers Geoffrey, professeur de sociologie à l’UCL
  • Roudart Laurence, Professeur de Développement agricole, ULB
  • Servais Olivier, professeur d’anthropologie à l’UCL
  • Vandewattyne Jean, Chargé de Cours, UMONS, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education, Service de Psychologie du Travail
    Van Ypersele Jean-Pascal, professeur de science environnemental à l’UCL
    Yépez Del Castillo Isabel, professeure de sociologie à l’UCL