Ancien ambassadeur britannique : la prétendue attaque russe au « Novichok » est une fraude

vendredi 16 mars 2018, par Karel Vereycken

Cela fait la une de nos tabloïdes : « Espion empoisonné, la guerre froide n’est pas finie » (Le Parisien, 16 mars). Orwell disait déjà que pour manipuler l’opinion publique, il faut inverser le sens de mots en disant par exemple que « paix = guerre ».

Or, les médias anglo-américains et les suceurs de roue chez nous, s’alignant sur ceux-là mêmes qui nous ont vendu la thèse d’un Saddam Hussein nous menaçant avec ses armes de destruction de masse, accusent aujourd’hui Poutine de relancer la guerre froide et d’assassiner d’anciens agents russes réfugiés à l’étranger. Les preuves ? On finira bien par en trouver et, si besoin, en inventer.

L’ancien ambassadeur britannique en Ouzbékistan, Craig Murray.

C’est ce qu’affirme sur son blog l’ancien diplomate britannique Craig Murray. Devenu lanceur d’alerte, l’homme ne manque pas de courage.

Nommé en 2002 ambassadeur de la Couronne britannique en Ouzbékistan, Murray informe le Foreign Office (ministère britannique des Affaires étrangères) du « caractère fasciste » du régime de Karimov et de son usage généralisé de la torture.

Face au silence de ses supérieurs, le diplomate constate que le MI6 (service secret extérieur britannique) recourt aux tortionnaires ouzbeks pour interroger des prisonniers.

À l’issue d’un bras de fer avec le gouvernement Blair, Murray décide de rendre ces faits publics en publiant un livre, Murder in Samarkand.

Menacé de poursuites, Murray se voit contraint de démissionner. A l’époque, ses révélations confirment l’existence d’un réseau global d’enlèvement, séquestration et torture, mis en place par l’OTAN, la CIA et le MI6 après le 11 septembre 2001 et dont le volet des « vols secrets » vers l’Europe fait scandale.

Voici une traduction exclusive de son message :

L’histoire du Novichok, aussi crédible que les armes de destruction de masse en Irak ?

Par Craig Murray

Récemment (en 2016), le Dr Robin Black, patron de l’unique laboratoire d’analyse d’armes chimiques, basé à Porton Down, et ancien collègue du Dr David Kelly (un autre expert en armes chimiques, retrouvé suicidé après avoir contesté la version officielle de Tony Blair sur les armes de destruction de masse de Saddam Hussein), a publié dans une prestigieuse revue scientifique à comité de lecture, que les preuves de l’existence des Novichocks étaient maigres et leur composition chimique inconnue :

Ces dernières années, il y a eu beaucoup de spéculation sur l’existence éventuelle de certains gaz innervants de quatrième génération, les ‘Novichoks’ (nouveaux venus) (…) Il existe peu d’informations là-dessus dans le domaine public. Ce que l’on a nous vient d’un chimiste militaire russe dissident, Vil Mirzayanov. Aucune confirmation indépendante de la structure ou des propriétés de ce produit n’a été publiée. (Robin Black, Société royale de chimie, 2016)

Aujourd’hui pourtant, le gouvernement britannique s’affirme en mesure d’identifier une substance que son unique laboratoire d’analyse chimique n’a jamais vue et dont il doute de l’existence. Pire, il se prétend non seulement capable de l’identifier, mais aussi de savoir d’où il provient. Vu les affirmations du Dr Black, il apparaît clairement que cette allégation est sans fondement.

Les experts internationaux en armes chimiques partagent l’opinion du Dr Black. L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OPCW), basée à La Haye aux Pays-Bas, est une agence de l’ONU. Voici le rapport de son conseil scientifique où siégeaient des représentants des gouvernements français, allemand et russe. Le Dr Black y représentait le gouvernement du Royaume-Uni :

Le conseil scientifique souligne que dans la convention, la définition de produit chimique couvre tous les produits potentiellement utilisables comme armes chimiques. En ce qui concerne les nouveaux produits non listés dans l’annexe mais pouvant poser des risques d’après la convention, le conseil fait référence aux ‘Novichoks’. Ce nom est utilisé par un ancien chercheur soviétique qui semble enquêter sur un nouveau type d’agent neurotoxique, adapté pour servir d’armes chimiques binaires. Le conseil affirme qu’il manque d’informations pour pouvoir s’exprimer sur l’existence ou les propriétés des ‘Novichoks’. (OPCW, 2013)

En effet, l’OPCW était si sceptique sur la fiabilité de ces Novichoks qu’il a décidé – avec l’accord des Etats-Unis et du Royaume-Uni – de ne pas les inclure, ni leurs précurseurs supposés, dans la liste des substances interdites. En clair, la communauté scientifique reconnaît généralement que Mirzayanov travaillait sur des Novichoks mais doute qu’il ait réussi à en fabriquer.

Du fait que l’OPCW a pris cette position, et si le Royaume-Uni dispose aujourd’hui d’un échantillon de cette substance, il est fondamental qu’il soit soumis à l’OPCW, comme l’exigent ses statuts.

Bien que la presse ne le rapporte pas, la Russie a formulé une demande auprès de l’OPCW pour qu’un échantillon du virus identifié à Salisbury soit mis à disposition des chercheurs internationaux. A l’heure actuelle, il est hors de question pour les Britanniques de le fournir à l’OPCW. On se peut se demander pourquoi…

La deuxième accusation lancée par Theresa May, c’est que seuls certains laboratoires militaires sont capables de produire des Novichoks. C’est tout aussi faux, comme on peut aisément le démontrer. Il faut préciser que les Novichoks, si jamais ils existent, ont été conçus pour être fabriqués n’importe où avec des moyens simples ; c’était une des choses qui les rendaient redoutables. La seule « véritable » preuve de leur existence est le témoignage de l’ancien chercheur scientifique Mirzayanov. Voici ce qu’il en dit :

Il faut garder à l’esprit que les composantes chimiques du A-232, ou leurs précurseurs, ou sa version binaire Novichok-5 sont des organophosphorés ordinaires que n’importe quelle entreprise produisant des engrais ou des pesticides peut produire. (Mirzayanov, Stimson Report N° 17, octobre 1995, p. 21.)

Il est par ailleurs scientifiquement impossible pour le laboratoire de Porton Down d’examiner des Novichoks russes, puisqu’il n’a jamais eu entre les mains d’échantillon avec lequel le comparer. Il peut certes constater qu’un échantillon a la même composition que celle décrite par Mirzayanov, mais celui-ci a publié son texte il y a vingt ans. Ce n’est donc pas une preuve que l’échantillon trouvé provient de Russie. Si Porton Down peut synthétiser un tel gaz, beaucoup d’autres le peuvent et pas uniquement les Russes.

Enfin, Mirzayanov est un nom ouzbek et la production des Novichoks, s’il y en a jamais eu, a eu lieu en Union soviétique mais très loin de la Russie moderne, à Nukus, en Ouzbékistan.

Je me suis rendu personnellement sur le site produisant les armes chimiques à Nukus. Il a été démantelé et sécurisé. Les stocks d’armes ont été détruits et les équipements enlevés par le gouvernement américain. J’étais ambassadeur dans ce pays et je m’en souviens. En fait, on n’a aucune preuve de l’existence d’un quelconque Novichok sur le territoire russe.

Pour résumer :

  1. Le laboratoire anglais de Porton Down reconnaît, dans ses documents, n’avoir jamais vu un quelconque « Novichok » russe. Le gouvernement britannique n’a aucune indication précise, telle que la présence d’impuretés spécifiques, permettant de conclure à une origine russe des substances incriminées ;
  2. Jusqu’à ce jour, ni Porton Down, ni d’autres experts mondiaux de l’Organisation pour la prévention des armes chimiques (OPCW), n’ont la certitude de l’existence même des Novichoks ;
  3. Le Royaume-Uni refuse de fournir un échantillon à l’OPCW ;
  4. Les Novichoks ont été conçus dans le but explicite de pouvoir être fabriqués à partir de produits chimiques ordinaires. Les Américains ont démantelé et étudié les installations supposées les produire. Il est parfaitement inexact d’affirmer que « seuls » les Russes peuvent en fabriquer, alors que c’est à la portée de tout le monde ;
  5. Le programme « Novichok » était implanté en Ouzbékistan et non en Russie. Ce sont les Américains qui en ont hérité suite à leur alliance avec Karimov, et non les Russes.

(Avec un grand merci à des sources qui, pour l’instant, restent confidentielles.)