Communiqué de Jacques Cheminade

Jacques Cheminade écrit à Lionel Jospin

vendredi 29 mars 2002

Paris, le 29 mars 2002

Monsieur le Premier ministre,

Je viens de prendre connaissance de votre interview parue dans Profession politique numéro 56 de mars 2002.

Vous y déclarez : « L’élection présidentielle est un grand événement politique. Il doit être démocratique, donc pluraliste, sérieux, donc réglementé. Le système des parrainages a été fait pour éviter les candidatures publicitaires, de type Ducatel en 1969, ou celles de petits groupes d’intérêts, voire de farfelus, ou encore celles qui ne visent qu’à toucher l’argent public alloué aux candidats. Il n’a pas pour but et ne doit pas avoir pour effet d’altérer le pluralisme. Jusqu’à présent, il a fonctionné à peu près correctement, (encore que l’on ait vu quelques ratés, songeons à la candidature Cheminade [de 1995 ndlr]). Il n’a pas empêché des candidats représentant de véritables sensibilités politiques, incarnées par des partis, d’accéder à la candidature et de participer au débat démocratique. Nous verrons si tel est toujours le cas en 2002. »

Etant directement mis en cause et n’ayant aucune hostilité à l’égard du Parti socialiste ni de vous-même, je vous serais très reconnaissant de bien vouloir me préciser votre point de vue sur ce « raté » constitué par ma candidature.

Considérez-vous que je n’aurais pas dû « normalement » avoir accès à l’élection présidentielle, malgré le nombre de signatures que j’étais parvenu à rassembler, ou bien que le traitement dont j’ai fait l’objet au cours et après la campagne - notamment de la part des médias et du Conseil constitutionnel - a constitué à vos yeux un élément de nature à entacher ce « grand événement politique » qu’est une élection présidentielle ?

Si votre sentiment est celui que je crains, c’est-à-dire la première interprétation que l’on peut en faire, je serais heureux de savoir pourquoi vous le formulez ainsi. Le courage politique que vous avez manifesté en d’autres circonstances ne me fait pas douter que vous me fournirez, en ce cas, les explications utiles à mon jugement et à la position que mes amis politiques pourraient éventuellement prendre à l’égard de votre candidature, en 2002 ou plus tard.

Si, au contraire, vous êtes de l’avis que j’ai été traité injustement, je serais heureux de vous dire que vous rejoignez aussi l’appréciation de nombreux observateurs français et étrangers.

Ainsi, pour en rester à notre pays :

  1. Par lettre du 24 avril 1995, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a constaté : « Ainsi, sur les chaînes de télévision, qui ont invité tous les candidats à s’exprimer dans leurs journaux ou à l’occasion d’émissions spéciales, les temps de parole (autour de 1h 25 en moyenne, toutes chaînes confondues) pour la période du 7 au 21 avril, sont proches de l’égalité absolue, à l’exception de M. Cheminade » (mon temps de parole ayant été de 0h 45).
  2. Par sa lettre du 20 avril 1995, la Commission nationale de contrôle de la campagne pour l’élection du Président de la République, sous la signature de M. Marceau Long, a déclaré : « Après avoir vu et entendu les programmes d’information de TF1, de France 2 et de Radio-France que vous (moi-même, Jacques Cheminade) mettez en cause, la Commission a estimé que le « traitement équitable » de la présentation des candidats, de leurs commentaires et de leurs déclarations, qu’impose l’article 12 du décret du 14 mars 1964 et qu’a rappelé aux médias la recommandation 95-1 du 3 mars 1995 du Conseil supérieur de l’audiovisuel, n’y était pas pleinement respecté. »
  3. Mon compte de campagne a été rejeté par le Conseil constitutionnel en raison de l’absence d’intérêts afférents à des prêts consentis par des personnes physiques, dénotant selon lui une « intention donatrice », alors que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, par lettre du 22 octobre 2001, m’a, elle, fait savoir que les personnes physiques pouvaient prêter aux partis politiques, à condition que « le prêt soit à taux nul ».

    J’ai été longtemps surpris et choqué par cette décision du Conseil, que M. Olivier Schrameck connaît bien, et je le suis plus encore aujourd’hui. En effet, confirmant les affirmations de M. Hervé Gattegno, journaliste au Monde, dans son ouvrage sur « l’affaire Dumas », un ancien juge du Conseil, M. Jacques Robert, a publiquement révélé (notamment dans le Vrai-faux journal de Karl Zéro, diffusion du 27 janvier 2002 à 12h45) que le-dit Conseil avait habillé les comptes de deux candidats - de notoriété publique, MM. Chirac et Balladur - pour les rendre « recevables ».

    Il s’agit d’une accusation très grave, qui impose une vérification de la part des plus hautes autorités de l’Etat.

  4. Tous les observateurs objectifs qui ont suivi ma campagne de 1995 et avaient pu prendre connaissance de mes idées, au moins à travers ma profession de foi, ont jugé que celles-ci avaient été dénaturées de la manière la plus insultante. J’ai été victime d’une véritable « rumeur d’Orléans ».

J’ai tenu à vous ouvrir mon cœur sur ces différents éléments objectifs, qui - me semble-t-il - ne laissent pas place à un doute raisonnable. Aussi, j’attends avec beaucoup d’intérêt votre réponse.

Je vous remercie d’avance, Monsieur le Premier ministre, et vous prie de bien vouloir agréer l’expression de ma respectueuse considération.

Jacques Cheminade

Nous n’avons pas reçu de réponse à cette lettre adressée à M. Lionel Jospin. Cependant, peut-être faut-il voir dans sa déclaration du dimanche 21 avril, à 22h20, ce qui en tient lieu :

« Si, comme on peut le penser, les estimations sont exactes, le résultat du premier tour de l’élection présidentielle vient de tomber comme un coup de tonnerre. Voir l’extrême-droite représenter 20 % des voix dans notre pays et son principal candidat affronter celui de la droite au second tour est un signe très inquiétant pour la France et pour notre démocratie.

« Ce résultat, après cinq années de travail gouvernemental entièrement voué au service de notre pays, est profondément décevant pour moi et ceux qui m’ont accompagné dans cette action. Je reste fier du travail accompli. Au-delà de la démagogie de la droite et de la dispersion de la gauche qui ont rendu possible cette situation, j’assume pleinement la responsabilité de cet échec et j’en tire les conclusions en me retirant de la vie politique après la fin de l’élection présidentielle. Jusque-là, je continuerai naturellement d’exercer ma fonction de chef du gouvernement.

« J’exprime mes regrets et mes remerciements à tous ceux qui ont voté pour moi et je salue les Français que j’ai servis de mon mieux pendant ces cinq années. J’invite les socialistes et la gauche à se mobiliser et à se rassembler dès maintenant pour les élections législatives afin de préparer la reconstruction de l’avenir. »