Le Liban, de nouveau dans l’œil du cyclone

samedi 18 novembre 2017, par Christine Bierre

L’affaire Hariri connaîtra-t-elle un dénouement heureux en France ce weekend ? Le Premier ministre libanais démissionnaire Saad Hariri, retenu en Arabie saoudite selon des sources libanaises, a accepté l’invitation du président Macron à venir en France avec sa famille pour y passer quelques jours. Ils sont attendus ce samedi matin. « Mais ce n’est pas du tout un exil politique », précise-t-on à l’Élysée. Selon le président libanais Michel Aoun, Hariri devrait ensuite rejoindre Beyrouth.

Fin d’une histoire rocambolesque ou début d’une nouvelle ère de déstabilisation du Liban, c’est surtout la deuxième hypothèse qu’il faut craindre désormais. Les faits remontent au 4 novembre dernier. Convoqué à Ryad dans l’urgence par le prince héritier Mohamed Ben Salman (MBS), Saad Hariri a annoncé depuis l’Arabie saoudite, dans une déclaration lue à la télévision qui prit tout le monde par surprise, y compris ses plus proches, sa démission du poste de Premier ministre du Liban.

Les raisons de sa démission ? M. Hariri s’en est pris violemment à l’Iran et au Hezbollah, dont deux membres font pourtant partie de son propre gouvernement. Sa vie serait « menacée », a-t-il affirmé, dans un contexte rappelant celui dans lequel son père avait été assassiné. Il pointa du doigt le Hezbollah, allié de l’Iran, l’accusant d’avoir « créé un Etat dans l’Etat » et d’avoir établi une « mainmise » sur le Liban.

Dès le début cependant, les autorités libanaises et une partie de la classe politique étaient convaincues que Saad Hariri a été forcé par les autorités saoudiennes de lire une déclaration dont il n’était pas l’auteur, et qu’il aurait même été placé en résidence surveillée.

Depuis, ces craintes ont été pleinement confirmées par le garde du corps personnel de Saad Hariri qui l’accompagnait lors de ce voyage à Ryad, rentré entretemps au Liban. A son arrivée à l’aéroport de Riyad, a-t-il rapporté, le jet privé du Premier ministre aurait été encerclé par la police saoudienne, qui lui a aussitôt confisqué son téléphone portable ainsi que sa Smartwatch, qu’il ne quitte jamais.

Le 15 novembre, le président libanais Michel Aoun est allé plus loin, affirmant devant les médias libanais que Saad Hariri et sa famille étaient « détenus » en Arabie saoudite. Il a qualifié cette détention d’« acte hostile à la souveraineté libanaise » et de « violation de la convention de Vienne et de la déclaration des droits de l’homme ».

Le président Aoun a aussi annoncé que le Liban porterait l’affaire à un niveau international pour obtenir le retour de M. Hariri. Il aurait même, à en croire le correspondant de France Info au Liban, fait pression sur Emmanuel Macron, menaçant de saisir le Conseil de sécurité de l’ONU. Selon un tweet reprenant ses propos, le président Aoun aurait dit :

Rien ne justifie que M. Hariri ne revienne pas après 12 jours. Nous le considérons donc comme en captivité et détenu, ce qui est contraire à la Convention de Vienne régissant les rapports diplomatiques entre pays.

Vers une nouvelle guerre au Moyen-Orient ?

L’offensive occidentale contre Bachar el-Assad ayant été battue en brèche, et l’élimination de Daech, groupe terroriste abondamment financé par les Occidentaux pour faire tomber le pouvoir syrien, étant très proche, tous les acteurs de cette terrible guerre rebattent les cartes. A commencer par les grands perdants de cette guerre que sont l’Arabie saoudite et Israël, sans oublier la France et les Etats-Unis.

L’Arabie saoudite est dans une situation particulièrement délicate, guettée d’un côté par la faillite suite à une chute de près de moitié du prix du baril de pétrole, et se sentant en même temps défiée par son ennemi mortel de toujours, un Iran sorti renforcé d’une guerre contre la Syrie qu’il a largement contribué à gagner.

Une guerre qui a aussi révélé au grand jour ce que les spécialistes connaissaient depuis longtemps : le rôle joué par l’Arabie saoudite dans la montée d’un islamisme djihadiste pouvant être déployé pour des attentats ponctuels tels que ceux du 11 septembre aux États-Unis, mais aussi sur des théâtres de guerre comme la Syrie, l’Irak ou le Yémen.

Sous pression de toutes parts, l’Arabie saoudite donne cependant l’impression de vouloir se réformer. Le 24 octobre, le prince héritier Mohamed Ben Sultan (MBS) annonçait que son pays était prêt à adopter un islam « modéré » et à libéraliser les mœurs.

En septembre, la police religieuse a été démantelée. Par ailleurs, le jour même où Hariri annonçait sa démission depuis Riyad, le pouvoir engageait, sous la main de fer de MBS, une purge massive de sa propre élite : plus de 1000 membres de la famille royale et responsables ont été arrêtés, dont les chefs des principaux clans, accusés de corruption, et plus de 1700 comptes en banques saisis, faisant rentrer dans les caisses exsangues du royaume 800 milliards de dollars !

Disgraciés aussi les princes Bandar Ben Sultan et Turki, tous deux au cœur de la juteuse affaire Al-Yamamah, un accord signé entre le Royaume et la firme britannique BAE pour l’échange d’armes contre pétrole, dont les bénéfices servent à financer des opérations de guerre menées via des groupes djihadistes.

Ravalement de façade ou réforme en profondeur, personne ne sait pour l’heure, car c’est le même MBS qui mène par ailleurs la guerre meurtrière que l’on connaît au Yémen, le même qui a mis l’embargo sur le Qatar, le même qui cherche à plonger le Liban dans le chaos.

Ce qui est certain, c’est que l’Arabie saoudite n’a aucunement l’intention de lâcher celui qu’elle considère comme son ennemi mortel, l’Iran. Au point d’opérer un rapprochement avec Israël, qui l’a aussi dans son collimateur.

Le 16 novembre, le chef d’état-major de l’armée israélienne, le général Gadi Eizenkot, déclarait à un journal saoudien qu’Israël était prêt à échanger des expériences et des renseignements avec le Royaume contre l’Iran, qui représente selon lui « la plus grande menace pour la région » et dont le plan serait de contrôler le Moyen-Orient à travers deux axes chiites, l’un passant par l’Irak, la Syrie et le Liban, l’autre reliant Téhéran au Bahreïn et au Yémen. « Nous devons empêcher cela », a-t-il déclaré, jugeant que le contexte international se prête à la formation de ce front anti-iranien.

C’est dans ce contexte que se situe la décision de MBS de prendre le Liban en otage, dans une guerre par procuration contre l’Iran. En provoquant la démission de M. Hariri, il espérait plonger le Liban une fois de plus dans la guerre civile, car, en raison du caractère communautaire de sa constitution, le Premier ministre doit être un sunnite, qui doit donc être adoubé par Ryad. En proposant de remplacer Saad Hariri par son frère Bahaa, considéré comme plus « dur » à l’égard de l’Iran, l’Arabie saoudite affiche sa volonté d’ingérence totale dans la politique libanaise.

La France au chevet du Liban

D’autres puissances rebattent aussi les cartes par rapport aux politiques désastreuses menées ces dernières années au Moyen-Orient. Parmi elles, la France. Dès son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron prenait heureusement ses distances avec le néoconservatisme « importé en France depuis dix ans », souhaitant revenir, en politique étrangère, « à une filiation française que je qualifierais plutôt de gaullo-mitterrandienne ou de chiraquienne ». Dans la foulée, il annonçait ne plus faire du départ de Bachar el-Assad le préalable à toute négociation sur la Syrie, ainsi que l’ouverture prochaine d’une ambassade en Syrie.

Le retour de la France au Liban, avec la médiation entreprise par Macron dans l’affaire Hariri, est, bien entendu, une bonne chose. Mais comment concilier cette volonté de paix et de stabilité, tout en s’en prenant à l’Iran, dans un Liban dont la stabilité repose depuis 2005 sur l’alliance entre les « chrétiens » du général Aoun et les chiites du Hezbollah, proches de l’Iran ?

Et puis, chassez le naturel, il revient au galop : les accents néoconservateurs, trop entendus sans doute sous la présidence Hollande, reviennent vite à la bouche de notre président pour accuser l’Iran, sans la moindre preuve, d’avoir lancé un missile contre Ryad et de menées hégémoniques dans la région.

Emmanuel Macron, qui a tenu à se distancier des mots « trop durs » entendus à Ryad contre l’Iran et qui dit vouloir « préserver » l’accord nucléaire iranien, propose néanmoins de rouvrir la négociation en y ajoutant deux autres piliers, « une négociation sur l’activité balistique de l’Iran, avec des sanctions si besoin, et une discussion stratégique encadrant l’hégémonie iranienne dans toute la région ». C’est faire preuve d’une incroyable immaturité politique que d’aller voir MBS, connu pour sa brutalité, pour discuter du problème posé par les missiles balistiques iraniens ! Cela équivaut à appeler un incendiaire pour éteindre le feu chez son voisin !

Face au danger d’une nouvelle guerre, que fera le président Trump, élu pour être celui qui stopperait enfin la fuite en avant de son pays dans la guerre perpétuelle ? A la manœuvre en Arabie saoudite, saura-t-il, après ce mémorable voyage en Chine et en Asie pacifique où il a montré une certaine sagesse, arrêter la main cruelle de MBS et de ses alliés en Israël ?

La souveraineté nationale avant tout

Pour l’heure, c’est à la grande présence d’esprit du président Aoun que le Liban doit une fois de plus son salut et son indépendance nationale. Convaincu de la volonté saoudienne de plonger le Liban dans le chaos, le général Aoun a refusé dès le départ d’accepter comme légitime cette démission, lue d’une voix blanche par M. Hariri sur la chaîne de télévision saoudienne Al Arabya. En exigeant que son Premier ministre rentre au Liban pour s’expliquer sur sa décision, il a rassemblé derrière lui tous ceux que la tentative de putsch était censée diviser.

Même son de cloche du côté du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui, dès le 5 novembre, déclarait : « Nous n’avons pas souhaité cette démission », avant de poser, lui aussi, les mêmes questions sur la démission de M. Hariri.

Quant à Jacques Cheminade, il a exprimé au Président libanais tout son soutien et celui de son parti, Solidarité & Progrès, dans ces heures difficiles que connaît une fois de plus le Liban.