Macron et la contre-révolution libérale autoritaire

lundi 9 octobre 2017

Jacques Cheminade avait mis en garde, dès la campagne présidentielle de 1995, contre la menace d’une dérive du système financier transatlantique – si l’on s’obstinait à ne pas le réorganiser de fond en comble – vers un fascisme financier. Car il n’est pas possible, dans un cadre démocratique, d’assurer la survie d’un système dans lequel l’emprise sans précédent de la sphère financière fait valoir, derrière le masque de l’orthodoxie budgétaire, un pillage des ressources, une cupidité aveugle, une loi de la jungle et un malthusianisme génocidaire.

Dans sa note de mai 2013, la banque JP Morgan désignait comme obstacles à éliminer les constitutions adoptées à la chute des régimes fascistes dans certains pays européens, car elles représentent autant d’entraves au bon fonctionnement des marchés. Plus tôt, en France, c’est Denis Kessler qui avait exprimé cette intention, lorsqu’il déclarait en 2007 au magazine Challenge : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »

Les événements en cours en France représentent sans conteste une accélération de ce processus, et il est essentiel que les Français en soient pleinement conscients, afin de pouvoir déjouer cette contre-révolution, et surtout de se battre pour un véritable changement de système.

La révolution Macron vue depuis la City de Londres

L’article paru dans The Economist le 30 septembre est très instructif, car il nous livre le regard des intérêts de l’oligarchie financière de la City, dont le magazine britannique est le porte-voix. Intitulé « Le nouveau départ de la France », l’article rappelle que les événements électoraux de 2017 en France sont intervenus dans un contexte de forte morosité, dominé par la montée des populismes, et par un pessimisme et un « déclinisme » dont les succès libraires du Suicide français de Zeymour ou de L’identité malheureuse de Finkelkraut sont emblématiques. Bref, les apôtres des valeurs pro-européennes et libérales ne parvenaient plus à convaincre, ne trouvaient plus les mots pour faire la pédagogie, et c’est le terrible immobilisme qui l’emportait, lui qui s’était manifesté en 2005 par le « non » au référendum sur la Constitution européenne, et qu’on avait réussi à faire taire – oh pardon, à raisonner.

Puis Macron est arrivé, comme dans un conte de fée. Lui a compris, comme l’écrit The Economist, que « la France est bloquée non pas à cause d’un soi-disant penchant pour la protestation ou l’opposition contre tout changement, mais parce que sur tous les sujets fondamentaux – inégalités, mondialisation environnement, Europe – les partis sont divisés en interne (…) A l’heure où les premiers désenchantements se font ressentir, il est utile de se remémorer les événements extraordinaires des élections présidentielles et législatives de ce début d’année. Aucune guillotine n’est tombée, aucune charrette macabre n’a défilé dans les rues. Pourtant Macron a balayé toute la vieille garde, réécrit les règles politiques et démarré une révolution silencieuse ».

De plus, il y a toutes les raisons d’être optimiste, note le magazine, car « avec l’actuelle embellie économique dans la zone euro, les conditions pour remettre la France sur les rails sont plus que jamais favorables. La confiance des consommateurs a atteint cet été les plus hauts niveaux depuis dix ans. Le chômage a commencé à baisser ».

Avec l’élection de Macron à la présidence de la République, la France a su se prémunir de ses vieux démons et se trouver – après Tony Blair, Barack Obama et Matteo Renzi – un jeune leader charismatique capable de trouver les mots pour expliquer tout le bien que la finance souhaite pour le peuple, loin de cette image d’ennemi que des personnages infréquentables ont voulu lui attribuer.

Mais l’histoire réelle de l’ascension et de l’avènement de Macron est un peu moins féerique que The Economist voudrait le faire croire.

Les Gracques et l’ascension de Macron

Dans l’histoire des dix dernières années de la politique française, les Gracques sont comme la lettre volée d’Edgar A. Poe : ils sont parfaitement visibles pour qui ouvre un peu les yeux et pourtant, personne ne les voit. C’est Aquilino Morelle, la plume de François Hollande pour son discours du Bourget (« mon ennemi, le monde de la finance... »), qui est le premier à avoir publiquement désigné ce club, au moment de sa démission forcée de son poste de conseiller politique au cabinet du président Hollande, en avril 2014. « Les Français ont voté pour le discours du Bourget, pas pour le programme des Gracques », avait-il alors protesté (cf. l’article de Vanity Fair publié en juin 2015).

Les Gracques sont en effet au cœur du tournant libéral du mandat de François Hollande en 2014, marqué par la nomination de Manuel Valls (« monsieur 5 % » aux primaires socialistes de 2011) à Matignon, et par le départ d’Arnaud Montebourg du ministère de l’Économie et des Finances, remplacé par Emmanuel Macron. L’influence de Jean-Pierre Jouyet, membre éminent des Gracques et ancien camarade de Hollande au sein de la fameuse promotion Voltaire à l’ENA, devenu à ce moment-là secrétaire général de l’Élysée, a été déterminante dans la promotion de Macron.

L’association Les Gracques s’est formée en 2007 pour appeler à une alliance Ségolène-Bayrou ; elle est devenue depuis un puissant réseau d’influence agissant dans les coulisses du pouvoir dans le but d’en finir avec « les conservatismes de la gauche » et de convertir cette dernière au libéralisme, afin que l’erreur de parcours du « non » au référendum de 2005 ne se reproduise plus. Elle réunit des hommes d’affaires, des hauts-fonctionnaires socialistes, ayant évolué dans les cabinets ministériels sous Mitterrand, Rocard et Jospin, ainsi que des intellectuels. On y retrouve ainsi Bernard Spitz, pantoufleur professionnel du monde des assurances, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, le banquier et homme d’affaires Mathieu Pigasse, le patron de presse Denis Olivennes, l’écrivain et académicien Erik Orsenna, etc.

Jean-Pierre Jouyet, époux de Brigitte Taittinger, en est l’un des personnages-clé depuis le tout début. Jouyet est également engagé dans l’Aspen Institute, l’un des plus influents think tank néo-conservateurs aux États-Unis, dont il a présidé jusqu’en 2013 la section française. Quand Emmanuel Macron rejoint à sa sortie de l’ENA en 2004 l’Inspection des finances, Jouyet qui en est l’un des chefs le prend sous son aile protectrice.

L’accord inique passé en 2014 – dans lequel on sait que Macron a joué un rôle décisif – offrant sur un plateau Alstom énergie à General Electric reflète parfaitement l’idéologie véhiculée par ces réseaux d’influence : en finir une bonne fois pour toutes avec l’existence d’un État stratège intervenant dans l’économie, et livrer l’économie française aux prédateurs dominants au sein de la jungle des marchés. Le programme des Gracques prône par exemple la fin du tout-TGV et du tout-TER (c’est d’ailleurs chez eux que Macron a puisé son idée des autocars), la réduction des dépenses dans l’enseignement secondaire, dans les collectivités et dans les investissements, etc., ainsi que la disparition du statut de la fonction publique. Il s’agit bien du détricotage « méthodique » du programme du CNR cher à Denis Kessler.

L’ironie de l’histoire est que le nom des Gracques fait référence à Tibère et Caïus Gracchus, tous deux Tribuns de la Plèbe de la République romaine, au cours du IIe siècle avant J.C., et dont les tentatives de réformer le système social romain se soldèrent par un échec.

Pour conclure, il faut dire que si le « non » de 2005 était bien entendu l’expression du rejet par la population de l’ultra-libéralisme destructeur de la mondialisation financière, c’est avant tout l’absence d’une véritable alternative politique, nous libérant de cette occupation financière, qui a facilité la trahison de ce vote par la suite. Cette alternative a constamment été écartée du grand public, comme c’est arrivé avec le débat sur la séparation des banques de dépôts et des banques d’affaires, mis sous le boisseau après l’élection de François Hollande qui en avait parlé dans son discours du Bourget.

Mais l’imminence du tsunami financier aujourd’hui crée les conditions dans lesquelles nous pouvons plus que jamais rouvrir ce débat et mettre les solutions sur la table !

AGENDA :

Mercredi 11 octobre, à 19h30 :
Conférence-débat de Jacques Cheminade : « le travail, c’est quoi ? »

Inscriptions : 01 76 69 14 50