Emmanuel Macron et la théorie du ruissellement

lundi 18 septembre 2017

Plus qu’une longue analyse, une image est révélatrice de l’orientation et de l’état d’esprit de notre gouvernement : mardi, tandis que les syndicats battaient le pavé, Macron soignait sa com’ sur l’île de Saint Martin et Benjamin Griveaux, secrétaire d’État auprès du ministère de l’Économie et des Finances, faisait une opération séduction à la City de Londres, devant un parterre de banquiers et de startuppers de la finance.

En second messager Hermès envoyé par le dieu Jupiter, après Bruno Le Maire qui s’était rendu à Wall Street pour assurer au gotha de la finance qu’il n’y avait plus d’inquiétude à avoir « sur le droit du travail français » et « sur l’instabilité fiscale », Griveaux est venu porter sensiblement la même parole. « Mes interlocuteurs sont impressionnés par la rapidité de cette réforme », a-t-il remarqué (Source : Le Parisien). Le secrétaire d’État a plaidé avec force arguments l’attractivité de la France, promettant une fiscalité avantageuse à venir grâce au prélèvement forfaitaire à 30 % sur les placements dès l’an prochain (réforme de l’ISF), un coût et un droit du travail allégés, et la baisse de l’impôt sur les sociétés à 25 % d’ici à 2022.

Révélateur également est la nomination de Jean-Pierre Jouyet au poste d’ambassadeur à Londres. Époux de Brigitte Taittinger, Jouyet est l’un des hommes ayant fait entrer Macron dans le premier cercle de François Hollande en 2011, puis ayant aidé à sa promotion au poste de ministre de l’Économie en 2014. La présence de Jean-Pierre Jouyet est un gage de confiance pour le monde de la finance. Nous avons nous-mêmes pu le constater : le 21 septembre 2009, alors qu’il était directeur de l’AMF (Autorité des Marchés Financiers), des militants de S&P étaient intervenus dans la conférence que tenait Jouyet dans le cadre du Forum Libération à Lyon, pour lui demander quelle était sa position à propos de la séparation entre banques de dépôts et banques d’affaires, ce à quoi il avait répondu : « A peu près tout le monde est d’accord, sauf toutes les grandes banques françaises, qui ont bâti leur compétitivité internationale sur l’absence de cette distinction. (…) Mais moi, je ne veux pas être assassiné lundi matin ! »

La mission de l’ambassadeur Jouyet à Londres visera, à la suite de Le Maire et de Griveaux, à démontrer la volonté de la France d’ouvrir ses bras aux établissements financiers, et de faire de Paris la nouvelle Babylone de la finance mondiale, dans le contexte du désamour entre la finance et le Royaume-Uni suite au Brexit. Il s’agit bien du programme diamétralement opposé à celui d’un certain Jacques Cheminade, candidat en 2012 pour « un monde sans la City ni Wall Street » et en 2017 pour « se libérer de l’occupation financière » et qui, comme vous le savez, n’a malheureusement pas été élu président de la République !

Le mythe du ruissellement économique

Cette persistance à se soumettre à tous les caprices de la finance, au-delà de la crainte de « se faire assassiner lundi matin », s’appuie sur une croyance tenace, centrale dans la doctrine du libre-échange actuellement en vigueur dans la mondialisation financière : l’idée que plus on laisse faire les riches comme il leur plaît, en leur offrant plus d’avantages et de libertés, plus cela bénéficiera, dans le temps, à l’ensemble de la société. C’est ce que l’on appelle la « théorie du ruissellement » qui, comme son nom l’indique, veut que les richesses générées en haut de la pyramide redescendent nécessairement dans les couches inférieures. En termes économiques, d’après le théorème d’Helmut Schmidt de 1974, cela signifie que « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après- demain ».

Il ne s’agit là que d’une version modernisée de la fable des abeilles de Bernard Mandeville, qui théorisait en 1705 que « les vices privés font les vertus publiques ». C’est ainsi qu’un projet d’intérêt public fondamental comme le Canal Seine-Nord Europe est à l’arrêt, l’État rechignant à débloquer les 776 millions d’euros correspondants à sa participation aux côtés des régions et de l’Europe, tandis qu’on envisage de dépenser 6,6 milliards – minimum – de l’argent public pour les JO de 2014. « Socialisation des pertes et privatisation des gains ! » dénonceront certains, ce à quoi d’autres répondront : « ruissellement ! »

Le conte de fée serait très joli si c’était vrai. Mais de nombreux économistes – et la réalité elle-même – ont réfuté cette théorie. Premièrement, comme le rappelle l’économiste Gaël Giraud (voir sa tribune du 1er août dans Les Échos), on sait aujourd’hui que l’enrichissement des plus riches ne vient pas, ou plus, alimenter l’investissement. C’est même le contraire : plus les établissements bancaires bénéficient des injections monétaires des banques centrales (ex : les 60 milliards d’euros par mois de la BCE), moins ils prêtent aux particuliers et aux entreprises dans les secteurs de l’économie réelle – en réalité, ils ne font qu’alimenter les bulles spéculatives.

Deuxièmement, et c’est à notre sens le plus important car il s’agit d’une croyance affectant monsieur tout le monde : ce n’est jamais sur l’épargne que s’appuie l’investissement, mais sur le crédit. Or, les banques privées sont avec les banques centrales (qui ne sont pas publiques) les seules institutions à disposer du privilège de la création monétaire, ce qui est le cas en France depuis que l’État (le Trésor) a abandonné en 1973 le droit d’obtenir des avances de trésorerie de la Banque de France (ce que l’on appelait alors le « crédit public »).

Comme le disait le général de Gaulle, « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille » (la Bourse de Paris à l’époque). Et pour cela, il faut que la création de crédit et de monnaie redevienne la prérogative des pouvoirs publics. Sans une réorganisation de fond en comble du système financier et monétaire, passant par la séparation bancaire et le rétablissement d’un système de crédit public, la politique économique de Macron est vouée à l’échec : elle l’est à moyen terme à cause des postulats erronés qui la sous-tendent, mais elle risque bien de l’être à court terme, balayée par le « tsunami financier » qui ne va pas tarder à arriver.