Le story-telling du "hacking" russe mis à mal – Les sophistes sont sur la défensive

mercredi 16 août 2017

Le mémorandum des vétérans du Renseignement américain (VIPS) « Le hacking russe était-il en réalité un inside job ? » circule de façon virale dans le monde, faisant craquer chaque jour davantage la cloche de verre du Russiagate. Malgré la large couverture parue la semaine dernière dans The Nation, la plupart des grands médias des deux côtés de l’Atlantique ne pipent aucun mot sur le mémo. Toutefois, le journal The Hill, qui se diffuse exclusivement à Washington DC mais touche tout le gratin politique et institutionnel du Capitole et de la Maison-Blanche, s’est senti obligé d’en parler, à travers un article intitulé « Pourquoi la théorie disant que le DNC [Comité national du Parti démocrate] n’a pas été hacké est probablement fausse ». Fidèle à la bonne méthode du « story telling » ne s’appuyant sur aucune preuve – méthode véritablement sublimée dans l’affaire dite du Russiagate – l’article ne présente aucun élément réfutant l’argument des VIPS sur la vitesse de téléchargement des documents du DNC (trop grande pour être un hacker), et ne fait qu’affirmer qu’il doit y avoir une autre explication.

Lundi soir, sur le plateau de Tucker Carlson sur Fox News, l’expert en cybersécurité des VIPS William Binney a commenté : « ils appliquent la vieille règle sophiste de la Grèce antique ; vous vous arrangez pour faire répéter sans cesse un argument, dans différentes directions et par différentes personnes (...). Adolf Hitler avait exactement la même philosophie – si vous voulez propager un mensonge, faites en sorte qu’il soit le plus gros possible et répétez-le aussi souvent que possible jusqu’à ce que tout le monde y croit. »

A la suite de The Nation et de Bloomberg, plusieurs médias importants ont couvert le mémo des VIPS ces derniers jours. Dans un article paru hier dans le magazine Salon, la journaliste Danielle Ryan demande : « Et si le hacking russe était en réalité une fuite ? Un nouveau rapport soulève des questions que les médias et les Démocrates préféreraient ignorer. (…) Le silence des grands médias sur la question est très intéressant, d’autant plus que l’information est apparue dans un journal de gauche [The Nation] très suivi et réputé pour ses reportages rigoureux et approfondis, et non un quelconque média d’extrême-droite conspirationniste apportant de l’eau au moulin de Donald Trump. Que les médias et les milieux libéraux dédaignent les informations apportées par Lawrence dans son article en prétendant qu’il manque de preuves représenterait une ironie, compte tenu de la façon dont ils ont construit toute une narration sans preuves, afin de se protéger eux-mêmes et d’absoudre Clinton de toute responsabilité dans la défaite des élections. » Dans la foulée de l’article de Danielle Ryan, le New York Post a publié un article intitulé « Un nouveau rapport affirme que le hacking du DNC a été fait de l’intérieur, pas par la Russie ». En conclusion, le journal rappelle que « les VIPS se sont formés en 2003 pour protester contre la façon dont la administration Bush avait manipulé le renseignement afin de justifier la guerre d’Irak ».

La question a même été soulevée la semaine dernière au sein du Bundestag, le Parlement allemand, par le député André Hahn, membre du parti Die Linke (équivalent allemand du Front de gauche) ; Hahn a demandé au gouvernement allemand s’il partageait l’analyse des VIPS sur le fait que « le téléchargement de quasiment 2 gigaoctets en 87 secondes est physiquement impossible pour un hacker ». Dans une réponse évasive, le porte-parole du gouvernement a affirmé qu’ils ne disposaient d’aucun élément confirmant les arguments des VIPS, et que la vitesse de téléchargement de données pouvait dépendre de plusieurs facteurs, et que « ne connaissant pas ces facteurs, le gouvernement fédéral ne peut pas se prononcer sur la question ».