Le Sénat américain veut couper le gaz russe à l’Europe

lundi 19 juin 2017

Le ministère allemand des Affaires étrangères a publié mercredi dernier une déclaration commune signée par le ministre allemand des Affaires étrangères Sigmar Gabriel (SPD) et le chancelier autrichien Christian Kern (social-démocrate), dénonçant vertement la politique étrangère et économique américaine.

Au Sénat américain, républicains et démocrates ont convenu le 14 juin, avec 97 voix contre 2, d’imposer des nouvelles sanctions contre Moscou, invoquées pour punir la Russie de ses ingérences supposées dans les élections présidentielles américaines, l’annexion de la Crimée et son soutien au président syrien Bachar al-Assad. Le projet de loi bipartite étant « le paquet de sanctions que le Kremlin mérite pour ses actions », a déclaré la sénatrice démocrate Jeanne Shaheen.

En Europe, personne n’est dupe du fait que de telles sanctions feraient passer la vente du gaz naturel liquéfié américain à l’Europe avant celui de la Russie ! C’est ce qui ressort d’ailleurs du texte de manière particulièrement explicite, l’objectif étant « de préserver les emplois dans les industries pétrolières et gazières américaines… ».

Le projet Northstream2 prévoit de relier l’Allemagne à la Russie via la mer baltique.

Le communiqué allemand rappelle que depuis 2014, les États-Unis et l’Europe réagissent en effet « à l’annexion de la Crimée par la Russie, qui est illégale aux termes du droit international, ainsi qu’à ses actions dans l’est de l’Ukraine, en travaillant main dans la main en étroite consultation l’un avec l’autre […] Cependant, la menace d’imposer des sanctions extraterritoriales contraires au droit international contre des entreprises européennes qui participent au développement de l’approvisionnement énergétique européen ne peut être tolérée. L’approvisionnement de l’Europe en énergie est une question européenne qui ne concerne en rien les États-Unis d’Amérique ! »

Gabriel et Kern affirment qu’il est hors question de céder au chantage américain : « Des instruments de sanctions politiques ne devraient pas être liés aux intérêts économiques. » Le fait de menacer de punition les entreprises européennes présentes sur les marchés américains dès lors qu’elles participent ou financent des projets tels que le gazoduc Nord Stream2 avec la Russie, confère « une qualité entièrement nouvelle et extrêmement négative aux relations euro-américaines. »

Angela Merkel, partage « un grand nombre de points communs très fort au niveau du contenu avec la déclaration de Gabriel, » a déclaré le porte-parole du gouvernement Stefan Seibert. « Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il s’agit une approche originale de la part du Sénat américain (…) Cela n’est pas acceptable, » a ajouté Seibert.

Comme le note le journaliste Maxime Ioussine de Kommersant, « cette démarche commune de Berlin et Vienne est remarquable par plusieurs aspects ».

D’abord, jamais des responsables de pays de l’UE aussi haut placés n’avaient critiqué la politique américaine à l’égard de la Russie de façon si brutale.

Ensuite, le leader informel de l’UE, l’Allemagne, et l’Autriche, qui intervient de concert avec elle, prennent de facto parti, par cette déclaration, dans une lutte de politique intérieure américaine. En l’occurrence, elles se rangent du côté de l’administration de Donald Trump, qui, par la bouche du Secrétaire d’État, Rex Tillerson, a tenté de mettre en garde les sénateurs contre l’adoption de ce document dans sa forme première – mais en vain. Les deux responsables européens expriment ouvertement leur soutien « aux efforts du Département d’État visant à modifier ce projet de loi ».

Enfin, il s’agit d’un signal encourageant pour Moscou, qui constate que Berlin (de laquelle dépend en premier lieu la réalisation de Nord Stream-2) est prête à défendre le projet de gazoduc en cas de nécessité – et ce, même au prix d’un conflit ouvert avec le Sénat américain.