Macron pour le retour à Glass-Steagall ? Pas tout à fait…

mercredi 31 mai 2017, par Karel Vereycken

C’est son biographe Marc Endeweld qui a vendu la mèche. Sous le nom de plume d’Eric Suleimann, Emmanuel Macron a publié, dans l’ouvrage collectif « 80 propositions qui ne coûtent pas 80 milliards », publié en 2012 chez Grasset sous la direction de Patrick Weill, un court texte (pp. 113-118) présentant « Deux réformes pour mieux réguler le secteur financier ».

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Sans aller jusqu’à défendre un retour complet à un Glass-Steagall strict, celui qui est aujourd’hui le Président de la République française y plaide en faveur du principe d’une séparation des activités bancaires, une politique à laquelle la présidence Hollande, faute de courage, a assez rapidement renoncé.

Il s’agit en tout cas d’un texte qui permet de prendre date et d’éviter la logorrhée actuelle de jugements excessifs.

Jacques Cheminade, le seul candidat qui a fait du retour au Glass-Steagall Act original son thème de campagne, persiste à croire qu’un tsunami financier sans précédent nous attend.

C’est alors qu’on jugera sur les actes ce qui ne sont ici que des paroles.

Deux réformes pour mieux réguler le secteur financier

Eric Suleimann

Depuis 2008, les gouvernements des pays développés n’ont pas réussi à réguler le système capitaliste financier. L’ensemble des acteurs demeure mû par un objectif premier, la recherche du profit maximal, les pratiques risquées se multiplient et les règles du jeu n’ont pas changé en profondeur. Plus grave, la crise de l’endettement privé, qui avait présidé à la crise de 2008, s’est depuis transformée en une crise de la dette publique ; et elle est en train de devenir une crise bancaire. Cercle infernal qui menace de manière inédite le système financier international, l’épargne mais aussi le financement de nos économies.

Depuis 2008, les gouvernements occidentaux n’ont pas réussi à domestiquer la finance. Nous avons eu droit à beaucoup de proclamations et d’annonces, pour bien peu de résultats. Le système financier mondial et européen fait toujours courir à nos économies autant de risques.

Des mesures urgentes s’imposent dans ce contexte : améliorer la liquidité et la solvabilité du système bancaire, désendetter les Etats et les grands acteurs privés… Mais au-delà de ces mesures urgentes, il importe désormais de mieux réguler le capitalisme et au premier chef les banques afin de protéger le financement de l’économie et l’épargne (…)

Première proposition :
séparer les activités de banque de détail et de banque d’investissement

Il convient avant tout de mettre en place une séparation claire (de manière progressive) entre :

  • banques de détail, spécialisées dans la collecte de dépôts et assurant le financement de l’économie dans son ensemble (particuliers, entreprises, institutions publiques) ;
  • banques d’investissement, développant leurs activités de marché en prenant des risques sur la base de stratégies d’arbitrage en engageant leurs fonds propres.

Cette mesure n’est pas un Glass Steagall Act au sens strict [1] Les banques qui ont une activité commerciale dans plusieurs pays doivent pouvoir les garder. Elles doivent pouvoir conserver leurs activités de financement les plus simples. Ce qu’il faut « séparer » et mettre à part, ce sont les activités d’investissement, de financements risqués, de marché. L’épargne des Français ne doit pas servir à alimenter, le plus souvent à leur insu, la spéculation sur les marchés ou des activités à risque qui permettent certes d’apporter du rendement aux banques et in fine à leurs actionnaires mais en prenant des risques considérables.

Le risque extrême pris par les banques d’investissement, et par voie de conséquence leur vulnérabilité ne doivent pas fragiliser les banques de détail et l’épargne des entreprises et des particuliers.

Cette mesure est primordiale pour préserver la confiance des déposants et de ce fait assurer la pérennité du financement de l’économie.

Il importe donc que ces deux métiers soient séparés pour le bien des épargnants, la solidité du système bancaire et le bon emploi des fonds publics.

Cette proposition est avancée par beaucoup de spécialistes de la finance : Paul Volcker aux Etats-Unis, John Vickers au Royaume-Uni pour ne citer qu’eux. En France, les banques y sont hostiles car elles souhaitent bénéficier d’une garantie publique indiscriminée. Mais la mission de l’Etat est de veiller à la stabilité financière et à la protection de l’épargne, pas à la promotion des intérêts des banques.

(…)

Fin de citation.

Un Glass-Steagall sinon rien !

Pour clarifier les enjeux, rappelons en quoi consistent les cinq grandes options débattues au niveau international :

  • Règle Volcker (défendue par l’ancien directeur de la Réserve fédérale américaine Paul Volcker), même pas adoptée aux Etats-Unis. Elle interdit aux banques de spéculer pour compte propre tout en autorisant les banques à utiliser les dépôts pour prêter à ceux qui spéculent. Pas vraiment malin.
  • La loi Dodd-Frank (en voie de démantèlement par l’Administration Trump) a été, sous Obama, une fausse réforme prétendant encadrer la spéculation. Prétendant appliquer la règle Volcker, elle interdisait aux seules banques dont le bilan dépassait les 50 milliards de dollars de spéculer pour compte propre et de posséder plus de 4% de fonds spéculatifs tout en leur permettant de prêter aux mêmes fonds pour qu’elles puissent continuer cette activité. Ecrite sur 300 pages et riche de plus de 3000 pages de décrets d’application détaillants les exceptions, il s’agissait d’une usine à gaz sans effet réel à part un seul : en cas de risque de défaillance, une banque peut se renflouer en faisant appel aux ressources internes de la banque (principe du bail-in), c’est-à-dire en confisquant le capital des actionnaires, des détenteurs d’obligations et dans une certaine mesure, celui des déposants...
  • L’option Vickers (défendue en Angleterre par la Commission Vickers), préconise le cantonnement (ring-fencing) des dépôts et des autres activités bancaires tout en les gardant sous un même toit (holding). Son efficacité a été démontrée en 1929…
  • Le rapport des experts européens dit groupe Liikanen vise à décourager la spéculation en cantonnant de très nombreuses activités spéculatives (y compris les activités de tenu de marché) mais toujours au sein des banques.
  • Le retour au Glass-Steagall Act impose une séparation juridique et opérationnelle stricte en créant des banques dédiées aux activités. Aucune activité de marché ne sera permise aux banques de crédit (dépôts, crédit, épargne, système de paiement public), et de leur côté, les banques d’investissement (banques d’affaires, de marché, etc.) ne pourront pas collecter des dépôts. Les banques de crédit ne pourront plus prêter aux banques d’investissement.

Pour résumer, sur une échelle de 0 à 10 (10 étant l’option Glass-Steagall), on pourrait positionner la réforme française (Moscovici/Berger) et la loi Dodd-Frank sur le chiffre 1, la règle Volcker sur 2, l’option Vickers sur 4, et la recommandation Liikanen sur 6. Cependant, disons-le haut et fort : on est loin du compte car c’est un 10 qu’il faut et tout de suite !


[1Le Glass Steagall Act a été voté aux Etats-Unis après la crise de 1929 pour interdire aux banques commerciales de pratiquer les activités de marché et séparer les deux métiers.