Les analyses de Jacques Cheminade

Tenus par la barbichette

vendredi 8 juin 2001, par Jacques Cheminade

Faute de signes distinctifs plus nets ou de causes plus nobles, les camps politiques français se battent aujourd’hui à coup de casseroles judiciaires.

Après que les juges Desmure et Halphen se soient déclarés « incompétents « à l’égard de Jacques Chirac, tout en le jugeant éventuellement passible de délits, le député socialiste Arnaud Montebourg tente de le faire renvoyer par ses pairs devant la Haute Cour. Gérard Longuet, ancien président du Parti républicain, mis en examen le 16 mai pour « recel de corruption « - dans le cadre de l’enquête sur l’attribution des marchés publics des lycées d’Ile-de-France - affirme : « Je n’ai rien à voir dans cette affaire, c’est Chirac en tant qu’ancien maire de Paris qu’on veut atteindre. Je suis une balle perdue. »

L’Elysée s’inquiète donc, non pas tant des chances de succès des procédures - la justice française est lente pour qui a les moyens d’en exciter les lenteurs - que de l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de son champion. Aussi, les amis de M. Chirac contre-attaquent, mettant en cause le PS et M. Jospin. « Parler du Président de la République permet d’oublier les turpitudes du PS » et « les quatre affaires dans lesquelles le nom de M. Jospin est cité sur des emplois fictifs », s’écrie M. Devedjian. Il est vrai que dans « l’affaire Destrade » (financement du PS et du MRG par la grande distribution), l’un des proches du Premier ministre, l’homme d’affaires Richard Moatti, est mis en examen pour « recel et complicité de trafic d’influence . »

L’ensemble des Français en vient à considérer avec cynisme et morosité ce déballage général, d’autant plus que le dossier de construction et de réhabilitation des lycées d’Ile-de-France révèle que les plus importantes entreprises de BTP se seraient distribué les chantiers en versant 2% des marchés aux principaux partis politiques (600 millions de francs). Ceux-ci, qui s’opposent sur le devant de la scène, se seraient partagé la manne en coulisse (1,2% au RPR et au PR, 0,8% au PS, qui en rétrocédait une partie au PC). A la veille du jugement sur l’affaire Elf, l’ancien PDG Loïk Le Floch Prigent a brutalement déclaré que, là aussi, tout le monde était au courant : « Les personnes avec qui je devais m’entretenir sur une éventuelle révélation des secrets d’Etat sont actuellement engagées dans une course électorale à court terme. »

Bref, je te tiens, tu me tiens par la barbichette, et nos mains fraternisent dans le même sac. Cette scène se déroule sur fond de « révélations » peu honorables : turpitudes du Crédit lyonnais aux Etats-Unis, tortures et exécutions sommaires en Algérie, abandon de la population de Srebrenica par nos généraux en juillet 1995...

Les derniers épisodes de cette saga de la décrépitude auront été, dans le désordre : la mise en examen de Jean-Charles Marchiani et l’audition de Charles Pasqua dans l’affaire du trafic d’armes en Angola, la rumeur d’une liaison dangereuse entre Paul Aussaresses et Christine Deviers-Joncour, pont tragi-comique entre les atrocités coloniales et la vente de frégates à Taïwan, l’admiration proclamée par Alain Madelin envers Silvio Berlusconi et, enfin, la reconstitution en Vendée du Colisée par le très catholique Philippe de Villiers, avec combats de gladiateurs, exhibition d’esclaves et gradins frappés du sceau de la louve romaine.

Voilà de quoi attraper le tournis... et nous allions oublier la mise en cause des comptes de la campagne présidentielle de 1995 du vertueux Edouard Balladur qui, non content d’avoir fait créer - en toute légalité, mais en détournant l’esprit des procédures - des comités départementaux ou régionaux de soutien à sa candidature dont les dépenses n’étaient pas comprises dans ses comptes, aurait rémunéré sans facture et pour plusieurs millions de francs une société chargée de son service d’ordre lors de ses réunions ! Il serait prochainement entendu comme témoin par la brigade des... affaires sanitaires et des libertés publiques.

Bref, alors que se déroule dans le monde l’une des plus graves crises depuis un siècle, les Français se regardent s’ennuyer dans le Loft de leur petite histoire et leurs hommes politiques pratiquent une sorte de lutte gréco-romaine dans la boue, sport apprécié aux Etats-Unis sous le nom de wrestling. L’on ne sait s’il faut en rire, en pleurer ou les deux en même temps.

En tous cas, pour tous ceux qui penseraient « voter utile » ou « voter sérieux » en faveur de ces hommes ou de ces femmes en place - en l’espèce, il s’agit très majoritairement d’hommes - le moment est venu d’ouvrir les yeux et de réfléchir aux conséquences de ce qu’on met dans les urnes ou, pire encore, de ce qu’on n’y met pas.