STX, pourquoi sa nationalisation s’impose

mercredi 4 janvier 2017, par Karel Vereycken

Reuters

Après six mois d’attente, le tribunal sud-coréen en charge de la liquidation de la société STX Offshore & Shipbuilding (propriétaire à 66,6 % de STX-France) a annoncé hier, mardi 3 janvier, qu’il retenait, pour la reprise de l’entreprise française, la seule offre déposée, celle de la société italienne Fincantieri.

Si, en principe, STX-France devrait donc passer sous pavillon italien, une série de négociations préalables doit préparer tout accord éventuel.

Fincantieri

Basé à Trieste, Fincantieri, détenu à 72,51 % par Fintecna (holding contrôlé par le ministère italien de l’Economie), est l’un des fleurons de la construction navale européenne. Depuis sa fondation il y a 230 ans, ses 19 000 salariés ont construit sur une vingtaine de sites à travers le monde (Brésil, Etats-Unis, Norvège, etc.) 7000 navires de tout type : paquebots, yachts, navires de croisière et bâtiments de guerre.

En 2008, la crise n’épargne pas le groupe. Pour faire baisser ses coûts de main d’œuvre, Fincantieri rachète pas moins de 13 chantiers à l’étranger. En Italie, 2000 postes sont supprimés et les syndicats ont dû batailler ferme pour sauver certains des huit chantiers italiens.

Un an après son entrée en bourse en 2014, son titre perd près du quart de sa valeur suite à des rumeurs de vente ou de recapitalisation, avec une dette de 220 millions d’euros. Sauvé du naufrage par des commandes de l’US Navy et de Carnival, premier armateur sur le marché de la croisière, Fincantieri est remis à flot.

Depuis 2015, les commandes ont repris, ce qui permet, en principe, de garantir du travail pour tous les chantiers jusqu’en 2026. Les paquebots représentent 50 % de son chiffre d’affaires. Parmi les dernières commandes en date, cinq paquebots pour trois filiales de Carnival, confiés à ses principaux chantiers italiens.

Et pour pénétrer le marché asiatique en pleine expansion, Fincantieri vient de créer en 2016 une coentreprise avec China State Shipbuilding Corp., société contrôlée par Beijing pour la construction de grands navires de croisière.

L’Asie s’impose en effet comme le nouveau point de gravité de l’économie mondiale. Alors que dans la zone transatlantique, les classes moyennes (grands consommateurs de voyages de croisière) sont en voie d’extinction, en Asie (Chine, Inde, etc.), elles ne cessent de croître en nombre et leur pouvoir d’achat augmente, ce qui en fait un immense marché en expansion…

A Trieste, on jure que la reprise de STX France ne sera pas synonyme d’un abordage italien, mais marquerait la mise à l’eau d’un « champion européen »...

Nationalisation ?

Endosser ce que nous venons de décrire, c’est-à-dire un scénario imaginé dans un monde où l’on refuse de voir la triple crise, économique, financière et européenne, qui va secouer notre continent dans les jours et semaines à venir, serait une erreur fatale.

  • En premier lieu, un grand séisme économico-financier s’annonce. Et quel groupe industriel, dans ces circonstances, pourra résister à la tentation de supprimer les « doublons », surtout si leur coût s’avère systématiquement plus élevé que celui qu’exige la fabrication d’un produit identique dans un autre pays ? Les syndicats italiens dénoncent le fait que, via les entreprises sous-traitantes, Fincantieri fait massivement appel à des travailleurs détachés. Ainsi, aujourd’hui, pour un travailleur salarié de Fincantieri, quatre ou cinq le sont par d’autres entreprises. Les syndicats déplorent également que certaines études soient confiées à des centres à l’étranger, notamment en Roumanie. Pas sûr non plus que dans ces conditions, le savoir-faire français ne sera pas transformé en monnaie d’échange avec les partenaires du groupe.
  • Ensuite, politiquement, la situation italienne est à un tournant. Pour résumer, si elle ne quitte pas la zone euro, l’Italie ne pourra pas sauver son système bancaire et les milliers de retraités qui en dépendent. Un italexit s’annonce, qui modifiera forcément un accord STX-Fincantieri.
  • Enfin, le bras de fer qui s’est joué autour de la question des bâtiments de projection et de commandement (BPC) de classe Mistral, fabriqués par STX-France, indique incontestablement la nature stratégique de l’entreprise.

Un enjeu stratégique

A l’opposé, dans le cadre d’une triple sortie, celle de l’OTAN, de l’euro et de l’UE, la France doit penser à ses intérêts vitaux à long terme. Les syndicats ont bien raison lorsqu’ils demandent de « sortir de la stratégie commerciale du tout paquebot » En effet, STX-France est bien plus qu’une machine à fabriquer des paquebots. En réalité, elle est une pièce essentielle, tant au niveau de son savoir-faire que de ses capacités industrielles, de notre souveraineté politique, diplomatique, militaire, maritime et économique. « Nous sommes une entreprise stratégique car nous sommes les derniers en mesure de construire le successeur du porte-avions Charles de Gaulle », précise Nathalie Durand-Prinborgne, secrétaire de la section Force Ouvrière de STX France. L’Etat français, actionnaire à 33 %, possède une minorité de blocage et peut donc exercer son droit de préemption.

Comme le réclame Jacques Cheminade depuis 2013, une nationalisation temporaire, avec en perspective la création d’un grand groupe national, notamment avec la DCNS, doit immédiatement être examinée. Ce groupe se placera d’office en bien meilleure position pour négocier des politiques gagnant/gagnant avec la Chine.

Lors de l’affaire de la fermeture du Haut-fourneau de Florange ou lors du bradage d’Alstom à General Electric, Emmanuel Macron a tout fait pour empêcher un « Etat stratège » de défendre nos intérêts nationaux tout en préconisant dans le livre-manifeste qu’il vient de faire paraître que lui président saura le faire...

Aujourd’hui, le Président sortant, qui voudrait sans doute laisser une trace positive dans l’histoire, pourrait montrer qu’il est autre chose… que François Hollande.