Sécurité, santé, numérique : les cadeaux empoisonnés de Hollande

samedi 30 janvier 2016, par Christine Bierre

Lithographie de Daumier (1848).

Parmi les réformes de notre Président, ces trois projets de loi en gestation – lutte contre le terrorisme, simplification du code du travail et le numérique – et la loi sur la santé adoptée en décembre. Sans aucune vision à long terme, ce gouvernement s’est adapté en tout point aux politiques de pillage financier et d’Empire émanant des deux centres financiers du monde : la City de Londres et Wall Street.

1 - Un projet de loi anti-terroriste qui met à mal la justice

Face à une menace terroriste résultant de ses propres choix politiques et de ceux de son illustre prédécesseur pour le Moyen-Orient – la guerre en Libye et en Syrie – François Hollande a été incapable de faire son mea culpa et de travailler avec la Russie pour restaurer la paix dans la région en éliminant le djihadisme.

Par contre, les Hollande et autres Valls n’ont pas hésité à instrumentaliser ce péril pour proposer un projet de loi de réforme pénale attentatoire aux libertés publiques, comparable, par bien des aspects, au Patriot Act que le néoconservateur John Ashcroft avait imposé aux États-Unis après le 11 septembre 2001. 

Bien sûr l’ampleur des attentats, dans ce contexte de guerre au Moyen-Orient et en Afrique où notre pays est engagé, justifiait pleinement l’instauration de l’état d’urgence. Fallait-il pour autant chercher à le prolonger dans le temps, en introduisant quantité de mesures d’exception dans la loi ordinaire ? Fallait-il orchestrer un transfert supplémentaire de pouvoirs vers l’exécutif – les préfets notamment, nommés par les autorités – au détriment des juges d’instruction, nommés certes par l’institution judiciaire, mais bénéficiant de réels pouvoirs d’enquête et d’une certaine indépendance ?

L’article 20 reprend une vieille proposition du FN : l’assouplissement des règles qui déterminent l’usage d’armes par les policiers, afin de maîtriser un individu venant de commettre plusieurs homicides et susceptible d’en commettre d’autres « dans un temps très voisin des premiers actes » ... Pourtant, l’article 122-7 du code pénal prévoit déjà ce cas.

L’article 21 permet au ministère de l’Intérieur d’assigner à résidence ou de faire subir des contrôles administratifs à des personnes soupçonnées d’être de retour du djihad, lorsqu’il n’y a pas de preuves suffisantes pour les mettre en examen. C’était, jusqu’ici, une prérogative des seuls juges d’instruction.

De même, sous la seule autorité du préfet, policiers et gendarmes pourront fouiller bagages et véhicules aux abords des établissements sensibles, et procéder à des perquisitions de nuit dans le cadre d’enquêtes préliminaires du parquet, y compris dans les logements. Le parquet devra être informé des opérations lancées par le préfet, mais osera-t-il contester une décision prise par un représentant du gouvernement, dont lui-même dépend ? Sur toutes ces questions, jusqu’à présent, seuls les juges d’instruction pouvaient agir.

En réalité, avec le code pénal et l’état d’urgence en vigueur, la France a tout ce qu’il faut pour lutter contre le terrorisme. A quinze mois de l’élection présidentielle, avec le FN au plus haut dans les sondages, le but politique de cette loi et de la « déchéance de la nationalité » devient transparent. Solidarité & Progrès s’élève contre ce projet de loi.

2 - Code du travail et numérique : non à l’« ubérisation » du travail

Les projets de loi pour simplifier le code du travail, porté par la ministre du Travail Myriam El-Khomri, et sur le numérique par Emmanuel Macron (loi Macron II), seront présentés en ce mois de janvier.

Le projet de réforme du code du travail le videra de son caractère universel, en faveur des accords de branche ou d’entreprise. Cette décentralisation du droit aura pour effet le morcellement d’un monde du travail, qui ne sera plus en mesure de s’unir pour contrer les diktats d’un monde entrepreneurial devenu de plus en plus rapace. La CGT dénonce :

 Le but n’est pas de ‘simplifier, négocier et sécuriser’,mais de ‘simplifier, déroger et affaiblir les droits’. (… ) Nous ne sommes pas loin de la négociation de gré à gré, rêve à peine caché de Pierre Gattaz [président du Medef].

Le code du travail a sans doute besoin d’un coup de neuf. Mais sous l’actuelle dictature des marchés, cette réforme se fera au détriment des employés et du bien commun.

D’emploi précaire en emploi « slasheur »

Quant à la loi sur le numérique, Emmanuel Macron se veut clairvoyant : « Nous n’avons pas le choix, la révolution du numérique est en train de se passer », a-t-il déclaré le 9 novembre dernier. 50 % des emplois seraient automatisables à un horizon de vingt ans ! « Ne pas anticiper ces mutations, c’est se condamner à les subir. Les préparer, c’est au contraire en faire une opportunité. »

Jusque-là, M. Macron a raison, mais que propose-t-il pour contrer les effets néfastes de ce tsunami numérique et robotique qui s’annonce ?

Pour l’heure, il semble jouer à fond la carte du numérique :

  1. en y orientant un maximum de financements, y compris le riche matelas de l’épargne française (74 milliards d’euros en 2014) ;
  2. en rendant accessibles aux particuliers et aux entrepreneurs les données publiques (administrations, etc.) et privées (adresse, etc.). Le but ? Engendrer autant de plateformes d’échanges du type Uber, Airbnb, Blablacar, provoquant l’effondrement de tout l’édifice de droit construit depuis des siècles pour protéger les salariés, les professions et les entreprises ! Une « ubérisation » qui a les faveurs de M. Macron : « Pour beaucoup de jeunes aujourd’hui, c’est plus facile de trouver un client que de trouver un employeur. »
  3. en promouvant la « pluriactivité », nouveau nom donné à cette précarité généralisée qui se profile. Nous entrons dans l’ère des slasheurs : le photographe/bibliothécaire, le cuisinier/chauffeur, les Uber/employés, etc. S’amuser plus, nous dit-on, quitte à gagner moins ! Tout cela pour cacher que les salaires sont de plus en plus faibles et les contrats de plus en plus courts.

Face à un tel bouleversement, quelles sont les pistes de régulation étudiées par le gouvernement ? Un « revenu de base », rassemblant toutes les aides sociales, à mi-chemin entre assistanat et salariat, est à l’étude. Le compte personnel d’activité, permettant aux employés de surmonter des périodes de chômage et d’avoir accès à une formation, revient aussi sur le tapis. Ce serait « une sécurité individuelle dans le marché de l’emploi », affirme M. Macron, qui annonce clairement la couleur en ajoutant qu’« il y a une différence entre chercher à protéger l’emploi et protéger les individus ». Enfin, si face à la contestation contre Uber, les mesures protégeant les taxis ont été maintenues, l’on cherche à créer un parcours par lequel les « Ubers » accéderont un jour à la pleine profession.

Pour S&P, tout cela ne pourra servir l’intérêt général que si la France s’attaque aux diktats de la finance folle. Et tout d’abord au « trading à haute fréquence », pompe de la spéculation mondiale à grande échelle. Il faut aussi relancer les investissements dans l’économie physique – transports, nucléaire, équipements, agriculture – car le numérique, en soi, s’il crée un certain nombre d’emplois, n’engendrera pas la richesse physique qui nous fera vivre !

3 - Santé : le hold-up des mutuelles

Le 17 décembre dernier, le projet de loi sur la Santé de Marisol Touraine était adopté par l’Assemblée nationale. « La santé gratuite pour tous », voilà comment le gouvernement nous a vendu cette loi, dont le but avoué est d’économiser 10 milliards d’euros, mais dont les conséquences sont incalculables !

Au cœur du dispositif, la généralisation du tiers-payant permettra au patient de ne rien avancer lors de sa visite médicale, laissant à la Sécurité sociale et aux complémentaires de santé privées le soin de rembourser les médecins.

Si l’idée paraît excellente, sa mise en pratique révèle les véritables intentions de la loi : porter un coup fatal à la médecine libérale, ne laissant au patient d’autre choix qu’entre une médecine publique au rabais, dans les hôpitaux et Maisons de santé, et une médecine pour riches pouvant payer les dépassements d’honoraires.

En effet, les médecins seront remboursés par la Sécurité sociale et les 450 mutuelles au niveau national. Le hic est que la loi laisse au médecin le travail administratif lié à tous ces contrats. Or, des médecins libéraux payés, comme la plupart des généralistes, 23 euros la consultation, ne peuvent pas engager un secrétariat pour faire ce travail. Leurs salaires, très bas comparés à ceux de leurs confrères européens, ne peuvent que les décourager d’assumer cette mission de service public terriblement exigeante.

Ensuite, obligation est faite aux patients qui veulent bénéficier du tiers payant, d’ouvrir leurs données privées – séjours hospitaliers, données des établissements pour personnes handicapées, remboursements de soins – à un système national des données de santé (SNDS), qui en donnera l’accès aux acteurs issus du monde associatif, des industries de santé, des assurances complémentaires et de la recherche. En bref, c’est la fin du secret médical et nous voilà livrés aux industriels et aux assureurs.

Enfin, sous prétexte d’élargir la couverture des complémentaires de santé et d’en plafonner les dépenses, cette loi, inspirée de celle d’Obama aux Etats-Unis, l’étendra à tous les Français d’ici 2017, grâce à un système de « contrats responsables » bénéficiant d’incitations fiscales et d’aides de l’Etat. Or ce système offrira non pas la même couverture pour tous, mais le choix entre trois couvertures selon les moyens de chacun.

Pour S&P, il faut rétablir la Sécurité sociale d’origine, car la santé est un droit fondamental et non un service marchand devant rapporter des profits, comme c’est le cas pour les mutuelles. Le retour à l’équilibre de la Sécurité sociale ne peut venir que d’un retour à un plein emploi productif.