Guerre mondiale : il est minuit moins cinq

vendredi 12 décembre 2014, par Karel Vereycken

De retour du Kazakhstan (premier fournisseur d’uranium et troisième fournisseur de pétrole à la France), l’avion présidentiel s’est posé à Moscou. Pure coïncidence ou choix symbolique, François Hollande s’est entretenu le 6 décembre avec Vladimir Poutine sur l’aéroport même où le patron de Total, Christophe de Margerie, a perdu la vie. C’est le premier chef d’Etat occidental à se rendre à Moscou depuis le début de la crise ukrainienne.

Marquant une nette différence avec les Anglo-américains, Hollande a rassuré Poutine en soulignant qu’il était hors de question que la France soutienne l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Paris semble enfin avoir compris que tant que l’élargissement de l’OTAN restera à l’ordre du jour, rien de positif ne se passera. Car en vérité, l’élargissement de l’OTAN à l’Est n’est qu’un nouveau nom pour le fameux « rollback », c’est-à-dire la politique de « guerre froide » des frères John Foster et Allen Dulles en 1952, visant à « libérer » les pays de l’Est du joug bolchévique. Pour s’y opposer, la France réaffirme sa position adoptée lors du sommet de Bucarest, en 2008, lorsqu’elle avait, avec Berlin, dit non au plan visant l’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine à l’OTAN.

La rencontre Poutine-Hollande n’est que la suite de plusieurs tentatives françaises de calmer le jeu. D’abord, en organisant cet été, en marge des commémorations des 70 ans du Débarquement allié en Normandie, la rencontre entre Poutine et Porochenko. Ensuite, seul chef d’État occidental à ne pas l’insulter, Hollande a fait monter Poutine dans sa voiture lors du G20 en Australie en novembre.

Depuis, la situation internationale n’a cessé de se dégrader. Digne des pires moments de la guerre froide, l’affrontement russo-américain fait penser à une locomotive folle lancée à pleine vitesse contre un mur. Adoptée le 4 décembre par 411 voix contre 10 et 13 abstentions, la résolution 758 de la Chambre des représentants, qui appelle le Président américain à se préparer à la guerre et somme la France de ne pas livrer les navires Mistral à la Russie, n’est pas vraiment un acte de « désescalade ». L’affirmation, le 11 novembre, par le commandant en chef de l’OTAN, le général américain Philip Breedlove, que la Russie a « procédé à des mouvements de forces qui sont susceptibles d’être nucléaires » en Crimée, n’est pas non plus de nature à faire baisser les tensions.

De son côté, si Poutine garde son calme, il a cependant décidé d’annuler le projet de gazoduc South Stream (qui permettrait d’approvisionner l’Europe en gaz sans passer par l’Ukraine) et a rappelé le 4 décembre, devant l’assemblée de la Fédération, la défaite d’Hitler et de tous ceux qui ont tenté de soumettre la Russie à une puissance étrangère.

C’est l’ensemble de ces éléments qui a poussé la France à élever enfin la voix. De toute façon, constate Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe, dans l’affaire ukrainienne « aucun autre pays occidental n’est plus, désormais, en mesure d’intervenir ». En diabolisant à outrance Poutine, Obama a rendu impossible le travail de ses propres diplomates et Merkel, sous la pression d’on ne sait quel chantage, a désormais rallié le parti de la guerre, alors que dans un appel publié dans l’hebdomadaire Die Zeit, une soixantaine d’anciens hommes d’État allemands rejette l’idée d’une nouvelle guerre en Europe.

Arnaud Dubien conclut :

François Hollande endosse l’habit de médiateur. Rien n’est gagné, mais aujourd’hui, on risquerait bien plus à ne rien faire qu’à entreprendre ce type de démarches. (…) On ne peut donc que se réjouir de cette rencontre Hollande-Poutine. Il faut éviter que les relations franco-russes n’entrent dans une spirale négative, à l’instar des relations russo-américaines ou russo-européennes dans leur ensemble. La France n’accepte pas la situation actuelle. Car le vrai clivage n’est pas entre les pays dits "pro-russes" et ceux "anti-russes" : il se situe entre les pays qui se satisfont d’une possible nouvelle guerre froide et les autres. Et la France n’a pas intérêt à ce qu’un nouveau mur soit érigé entre la Russie et l’UE.

Cette prise de conscience, nous l’espérons, permettra au Président français de trouver le courage nécessaire pour lancer la grande réforme capable d’enrayer la logique de guerre : celle d’un système financier mondial en faillite qui, lui, préfère la guerre à la fin de son monopole.