Pour que le « redressement productif » ne devienne pas une mauvaise blague

vendredi 24 octobre 2014, par Johanna Clerc

Le député Patrice Prat et Arnaud Montebourg lors du Forum de Laudun.
Thierry Allard / Objectif Gard

On peut ne pas aimer Montebourg, il faut reconnaître qu’il fait partie des rares socialistes du pouvoir à connaître un peu l’appareil industriel et technologique français et à s’en soucier. Il n’a pu le défendre au sein d’un gouvernement qui a capitulé face au monde de la finance. Aujourd’hui qu’il a rompu avec lui, peut-il porter une véritable alternative, comme le voudraient les 300 personnes qui sont venues à son université d’automne les 3 et 4 octobre à Laudun (Gard), puisant leurs dernières ressources de compréhension envers cette classe politique qui les a trahis ?

La science s’invite à gauche

Le principal mérite de cet événement a été, il faut le saluer, d’amorcer le début d’une réconciliation entre le monde des chercheurs et le monde des dirigeants politiques, reconnaissant la nécessité pour la gauche de se réapproprier enfin la notion de progrès. Ainsi la table ronde réunissant les mathématiciens Bertrand Monthubert et Michel Broué ainsi que le philosophe Jean-Michel Besnier amena une réflexion de grande qualité sur cette question, rompant clairement de la vision pessimiste de l’homme portée par la partie de la gauche convertie à la décroissance.

« Nos dirigeants politiques n’ont aucune culture scientifique ! » souligna M. Broué. Il raconta l’affaire des « avions renifleurs », montrant par là le ridicule et la malléabilité de nos classes politiques qui n’ont pas les outils intellectuels pour juger le bien-fondé de tel ou tel projet d’investissement. Pire ! Sortant des grandes écoles, elles « croient savoir » !

Un handicap sérieux pour comprendre de nouvelles choses... Il osa alors aborder le paradoxe chinois : certes, leur système politique est corrompu et autoritaire, mais les 12 premiers du régime chinois ont tous reçu une éducation scientifique. Ils savent ce que représente une percée scientifique et les moyens et l’environnement qu’elle requiert pour être réalisée. Cette culture politique n’y est pas pour rien dans la dynamique de la Chine aujourd’hui !

M. Besnier, quant à lui, montra à quel point l’idéal de progrès qui est né avec la Renaissance en Europe était lié à l’idée de perfectibilité de l’homme... une idée très politique : quelque part, renoncer au progrès, c’est renoncer à l’idée que l’humanité peut être meilleure qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Une idée selon lui « écorchée » notamment par la pensée darwinienne aujourd’hui omniprésente, qui sous-entend que l’évolution humaine n’est pas le fruit d’une volonté de s’améliorer, mais plutôt d’une sélection aléatoire du plus apte. La recherche et les innovations technologiques n’échappent pas à la règle : ne sera financé et développé que ce que les marchés sélectionneront, non pas pour répondre à un besoin, mais selon une logique de rentabilité à court terme.

Parallèlement, un mouvement extrême, le transhumanisme, se développe et cherche à contrôler et recréer artificiellement le comportement, la pensée et le corps humains. Il souligna que récemment, un laboratoire de Lausanne a reçu pas moins d’un milliard d’euros pour étudier le fonctionnement du cerveau humain (c’est ce type de programme, financé aussi par l’UE, que Jacques Cheminade avait dénoncé lors de notre Assemblée générale de 2013, comme l’un des rejetons hideux du nouveau fascisme financier). M. Besnier appela lui-aussi la politique à réinvestir le domaine de la science et du progrès pour leur redonner un sens humain et permettre à la société de décider de l’orientation à leur donner.

Alors... Avec la table ronde suivante, intitulée « déflation ou redressement productif », M. Montebourg s’est-t-il doté d’une vision économique permettant d’accomplir cela ? De développer le potentiel créatif français et l’orienter pour le bien commun ?

Monétarisme, quand tu nous tiens

Les experts qu’il a invité à discuter de l’avenir économique du pays étaient tous enfermés dans la même prison mentale consistant à réduire l’économie à une question d’argent (le monétarisme). Ils sont tombés dans le faux-débat entre l’offre et la demande : faut-il donner de l’argent aux ménages ou bien aux entreprises ? Bien-sûr, ils ont appelé à sortir de l’austérité, car elle détruit la « demande », ce que nous voulons aussi. Mais... devinez qui était le grand absent des discussions ? Le rôle des banques !Pourtant les entreprises comme les ménages n’en ont-ils pas besoin pour réaliser leurs projets ? Que faire quand les banques ne leur prêtent plus ni aux uns ni aux autres car elles préfèrent « investir » dans le casino de la spéculation mondiale ? Plutôt que d’opposer ménages, salariés et employeurs, ne devrait-on pas arbitrer entre financer l’activité économique réelle, celle qui transforme concrètement la vie d’un pays ou financer la spéculation ?

Après le ¼ de vérité …

Le député Pierre-Alain Muet fut le seul à frôler ces questions. D’après lui, François Hollande, dans son discours du Bourget avait posé les bases d’une relance économique, comme F.D. Roosevelt en 1933 suite à la dépression de 1929, et la grande erreur du gouvernement fut de ne pas avoir suivi cette voie. Il souligna bien la séparation stricte entre les banques d’affaire et les banques commerciales, la création de nombreux emplois et le rééquilibrage des inégalités comme les piliers de la relance de Roosevelt.

Mais il en omit deux éléments essentiels :

  • Roosevelt finança son new deal par du crédit public via la Reconstruction Finance Corporation, et ne comptait pas seulement sur le bon-vouloir des investisseurs privés,
  • Les emplois créés le furent dans l’économie physique : ils étaient productifs, UTILES. Par exemple la construction des grands barrages permit l’irrigation, la régulation des crûes et l’électrification des campagnes.

Faute d’avoir amené ces réalités qui auraient permis de recadrer le débat autour d’une relance de l’économie réelle, les interventions des autres orateurs se transformèrent peu à peu en un appel vibrant à la diarrhée monétaire !

Comprenez : la BCE doit faire comme la Réserve Fédérale américaine : injecter des milliards et des milliards de « liquidités » (c’est à dire prêter à très court terme aux banques) dans le système financier... Encore une fois, quand les banques peuvent à la fois spéculer et prêter aux entreprises, que vont-elles faire de cet argent à votre avis ?

La politique économique d’Obama, un modèle ?

Grâce à cette politique monétaire, les États-Unis auraient « renoué avec la croissance »  ! Les experts qui ont défendu cette croyance devant les fidèles de Montebourg sont-ils malhonnêtes ou incompétents ? Les chiffres officiels du chômage aux US ont baissé, certes (6 % en septembre 2014)... Mais c’est sans compter tous ceux qui sortent des statistiques car ils n’ont plus droit aux allocations chômage (dont la durée a été raccourcie), ou parce qu’ils sont découragés ! Ce chômage caché et la pauvreté ne cessent de croître, aggravés par l’austérité qui sévit là-bas aussi (cf graphique).

En Caroline du nord par exemple, la durée d’indemnisation des chômeurs a été brutalement réduite en 2013 de 73 à 20 semaines, suite à quoi le taux de chômage est passé de 8,8 à 7,4 %... Mais pour chaque personne qui a retrouvé un emploi, deux se sont trouvées exclues de la population active ! Est-ce là ce vers quoi Montebourg veut nous emmener ?

Si la réserve fédérale a effectivement shooté les marchés financiers par ses injections massives d’argent, l’administration Obama n’est absolument pas préoccupée par la chute libre de l’économie réelle américaine, celle qui représente sa capacité à faire vivre la population. Depuis 3 ans, l’Ouest et le Sud-ouest des États-Unis vivent la pire sécheresse depuis des siècles ans. C’est la sécurité alimentaire du pays qui est en jeu car cette zone concentre la majorité de la production agricole. Réponse du gouvernement : on ne peut rien faire, il faudra déplacer les populations ! C’est ce même gouvernement qui promeut l’ouverture de milliers de puits de gaz de schiste, y compris dans les zones sèches, et la transformation de 40 % du maïs en bio-éthanol. La voilà, la croissance américaine, aller sucer l’énergie des roches et des aliments pour vite faire du business sur les marchés juteux des carburants, relancer la titrisation (ce qui avait généré la bulle des subprimes), et couper le financement des grands projets de recherche de la NASA !

La bonne chose dans tout cela ?

Les interventions du public, qui amenèrent brutalement les questions gênantes. Ainsi, le crédit public s’invita dans le débat, lorsque deux personnes exigèrent des réponses sur la fameuse loi de 73, celle qui a interdit à l’État d’emprunter à la banque de France. La réponse froide et technique qui leur fut donnée ne fut bien-entendu pas à la hauteur de leur exigence de justice... Mais n’est-il pas extrêmement réjouissant de voir les idées que nous étions les seuls à soulever il y a encore quelques années, sortir aujourd’hui de la bouche de nos concitoyens ? Alors mettez avec nous les pieds dans le plat ! Ce que la bien-pensance d’aujourd’hui ne tolère pas peut bien devenir l’aspiration de demain...