Helga Zepp-LaRouche : pour une nouvelle architecture de sécurité globale et « inclusive »

lundi 29 septembre 2014

Appel à la convocation immédiate d’une conférence internationale pour une nouvelle architecture de sécurité mondiale.

La fondatrice et présidente internationale de l’Institut Schiller, Helga Zepp-LaRouche.
Institut Schiller

Avec le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, Londres l’a une fois de plus échappé belle, du moins pour l’instant, grâce à une campagne d’intimidation massive. Cependant, même le New York Times a observé que le rejet exprimé par l’Ecosse des politiques de Westminster (en faveur des super-riches, des guerres impériales, etc.) est symptomatique de la colère croissante ressentie par les populations américaine et européennes contre l’échec lamentable de la politique de l’establishment.

Dans une approche radicalement opposée, le Président chinois Xi Jinping et le Premier ministre indien Narendra Modi se mobilisent pour bâtir un système économique alternatif. Ils se sont déclarés optimistes, faisant remarquer que la Chine et l’Inde, qui comptent 35 % de la population mondiale, sont en train d’écrire le scénario de l’avenir.

En fait, la visite de trois jours du Président Xi en Inde représente une percée qualitative dans les relations sino-indiennes. La Chine entend non seulement investir, au cours des cinq prochaines années, 15,8 milliards d’euros dans le développement de chemins de fer à grande vitesse et la modernisation des gares indiennes, ainsi que dans des parcs industriels, des installations de distribution d’électricité et la production de pièces pour l’industrie automobile, mais elle souhaite, en échange, ouvrir ses marchés aux produits pharmaceutiques indiens, ainsi qu’aux produits agricoles et au cinéma.

D’autres accords ont été signés pour une coopération dans l’industrie nucléaire, l’utilisation pacifique de l’espace, un jumelage entre Shanghai et Mumbai, ainsi que pour des échanges culturels et, très important, on s’est mis d’accord pour résoudre en priorité, une bonne fois pour toutes, le différend frontalier entre les deux pays.

La résolution de ce problème laisserait les médias et groupes de réflexion occidentaux bredouilles dans leur recherche, frôlant souvent l’absurde, d’éléments à critiquer : incapables de reconnaître le grand dessein formant la toile de fond à ce sommet, les médias occidentaux ont rivalisé entre eux pour évoquer les intérêts géopolitiques conflictuels entre les deux pays, à l’exclusion de tout autre sujet.

« Aucun homme n’est un héros pour son valet ; non pas parce que l’homme n’est pas un héros, mais parce que le valet est un valet », écrit Hegel dans sa Phénoménologie pour décrire cet état d’esprit. Ce que les représentants des médias et des groupes de réflexion ne comprennent pas, dans leur optique étroite et géopolitique, c’est le changement qualitatif en cours depuis plus d’un an, associé à la Nouvelle route de la soie de Xi Jinping et à l’aspiration des BRICS à un véritable développement. Un nombre grandissant de pays, en Asie, en Amérique latine et en Afrique, défiant les « conditionnalités » du FMI et de la Banque mondiale, sont à l’œuvre pour créer leurs propres banques de développement, dont l’AIIB (Banque asiatique de développement dans l’infrastructure), la NDB (Nouvelle banque de développement) et la Banque de l’Organisation de coopération de Shanghai, qui seront consacrées au financement de projets économiques réels et non à la spéculation.

Sous-tendant cet effort, on note la volonté de réussir la transition du sous-développement et de la pauvreté vers la défense générale de leur peuple. Les plumitifs et autres rhétoriciens ne veulent pas comprendre qu’il y a aujourd’hui des gouvernements représentant l’intérêt des pays et de l’humanité, et non pas celui des banques, comme c’est communément le cas en Europe et aux États-Unis.

L’alliance de plus en plus étroite entre les pays membres des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), de l’Union de l’Amérique du Sud (UNASUR), de l’Association des pays du Sud-est asiatique (ASEAN) et de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) en Asie, auxquels il faut ajouter l’Égypte, le Nicaragua et la Corée du Sud, n’est pas fondée sur la seule perspective d’un développement économique commun, mais aussi sur le constat que l’ actuelle stratégie d’affrontement des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’OTAN et de l’UE à l’égard de la Russie fait surgir le danger imminent d’une guerre thermonucléaire globale.

Menace de Guerre mondiale

Le Pr Han Xudong, de l’Université nationale de la défense de l’Armée populaire de libération, a abordé cette question dans un article intitulé : « Puisque la possibilité d’une troisième guerre mondiale existe, la Chine doit s’y préparer ». « Alors que l’on s’enfonce plus profondément dans la crise ukrainienne, les observateurs internationaux sont de plus en plus préoccupés par l’idée d’un affrontement militaire direct entre les Etats-Unis et la Russie. Une fois que les hostilités armées auront été déclenchées, elles se propageront probablement au reste de la planète.

Et il n’est pas impossible qu’une guerre mondiale éclate », écrivait-il le 16 septembre dans le Quotidien du peuple.

Le monde vient d’entrer dans une ère où apparaissent de nouvelles formes de guerre globale. L’espace extérieur, Internet, les mers, sont devenus des champs de bataille ouverts à toutes les rivalités. La Chine ne devrait pas être poussée dans une position passive, où elle serait vulnérable aux attaques. Nous devons garder à l’esprit qu’une troisième guerre mondiale est possible lorsque nous développons nos forces militaires, en particulier sur les mers et dans les airs.

Le pape François a déclaré, essentiellement, la même chose, à l’occasion d’un récent discours commémorant le début de la Première Guerre mondiale. Le monde actuel vit « une troisième guerre mondiale, mais par morceaux », avec ses crimes, ses massacres et sa destruction, a-t-il affirmé.

Dans un article publié dans Die Welt, l’historien allemand Stuermer en est arrivé à la conclusion que depuis le début de la crise ukrainienne, la politique mondiale s’est retrouvée sur un terrain expérimental, où les règles de prévention et de gestion de crise ayant traversé l’épreuve du temps ont été jetées par dessus bord, et cela, alors que les responsables de haut rang n’ont aucune expérience dans la gestion des crises. Les tentatives d’intimidation, a-t-il ajouté, ne prennent pas en compte les capacités sans limite de destruction et d’autodestruction.

L’architecture de sécurité qui a émergé de la Guerre froide et a été démantelée au moment de l’unification allemande (sans déclencher de catastrophe, chose étonnante !) a été marquée par de petites guerres non déclarées sans début ni fin, depuis la guerre d’Indochine/Vietnam jusqu’à celles d’Irak, d’Afghanistan et de Syrie. Dans le cas de la crise ukrainienne, les deux côtés ont agi sans objectif ni stratégie de sortie ; personne ne sait comment elle se terminera. Une escalade en entraîne une autre, et les impératifs raisonnés de la longue paix nucléaire semblent désormais oubliés, a-t-il conclu.

Le Premier ministre russe Dimitri Medvedev s’est lui aussi prononcé sur cette question lors de la récente Conférence économique de Sotchi :

Essentiellement, tout le système européen de sécurité est menacé, de même que les valeurs fondamentales, la poursuite de la mondialisation et, en fin de compte, toute la conception du développement pacifique. J’ai le sentiment que l’Occident a complètement oublié que la Russie a aussi ses propres intérêts nationaux. L’histoire montre que toutes les fois que l’on a tenté de faire pression sur la Russie en ayant recours à de telles mesures [les sanctions], on n’a obtenu aucun résultat. Nous n’allons pas céder à ce type de chantage politique. Nous sommes le plus grand pays du monde, une puissance nucléaire où vivent 150 millions de personnes, une région dotée d’immenses ressources naturelles et d’un grand marché pour les biens et services, ainsi que pour l’investissement. L’Occident, cependant, agit comme si la Russie n’existait tout simplement pas sur la carte mondiale.

Des milieux militaires chinois jusqu’au Pape, en passant par le gouvernement russe et une part croissante des peuples européens, nombreux sont ceux qui constatent que la Troisième Guerre mondiale a débuté, que toutes les règles de prévention contre la guerre ont été violées et qu’il n’y a plus de système de sécurité. Ne devrait-on pas, alors, tirer le signal d’alarme pour mettre fin à cette folie, stopper ce train filant à toute vitesse vers un mur cachant un immense précipice ?

Appel urgent à une conférence internationale

Il est urgent de convoquer une conférence internationale consacrée à cette seule question : comment concevoir une architecture de sécurité globale, « inclusive », capable de garantir l’existence et la sécurité de tous les pays ?

Il est évident que la crise stratégique a débuté suite à la violation de la promesse faite à la Russie au moment de l’effondrement de l’Union soviétique, par laquelle l’OTAN s’engageait à ne jamais s’élargir jusqu’aux frontières de la Russie. Ce constat doit servir de point de départ aux discussions, avec l’idée tout aussi évidente qu’il n’y avait aucune raison, en 1991, d’exclure la Russie des alliances internationales ni d’élargir, au contraire, l’OTAN et l’UE plus loin vers l’Est ; l’intention d’encercler la Russie et de la rendre éventuellement indéfendable ne peut guère être niée plus longtemps.

Le président Xi Jinping a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne peut exister aucune structure de sécurité garantissant la sécurité de quelques pays seulement, tandis que d’autres sont laissés dans le chaos et exposés au danger ; seule une architecture de sécurité inclusive peut assurer la paix mondiale. C’est une architecture comme celle-ci, comprenant tous les pays, qui doit de toute urgence être mise à l’ordre du jour, si nous ne voulons pas sombrer dans une mort collective.

Le fondement économique d’une architecture inclusive de ce type est de toute évidence le programme de Nouvelle route de la soie que la Chine cherche à mettre de l’avant, servant de principe aux alliances que nous avons mentionnées plus haut. Le gouvernement chinois a souligné à de multiples reprises que la Nouvelle route de la soie est un concept ouvert, auquel peuvent se joindre tous les pays.

L’espèce humaine ne survivra que si nous tirons les leçons des deux premières guerres mondiales du XXe siècle : il faut arrêter de penser en termes géopolitiques et remplacer cette approche impériale, oligarchique, par un nouveau paradigme : celui où les objectifs communs de l’humanité sont la priorité pour chacun d’entre nous. Ceci correspond également à la « coïncidence des opposés » développée par Nicolas de Cues au XVe siècle, dans son essai Coincidentia Oppositorum. C’est la seule manière de parvenir à la « concorde dans le macrocosme ».

Nous voilà au point où notre survie en tant qu’espèce dépend de notre capacité à penser à un tel niveau.