Helga Zepp-LaRouche : quittons l’OTAN avant qu’il ne soit trop tard !

jeudi 14 août 2014, par Helga Zepp-LaRouche

Helga Zepp-LaRouche est la présidente internationale de l’Institut Schiller et du parti allemand Büso (Mouvement des droits civiques/Solidarité).

Traduit de l’allemand, cet article a été publié le 13 août 2014 dans l’hebdomadaire du Büso, Neue Solidarität.

Contrairement à ce que suggère la diabolisation de Poutine par les médias aux ordres en Occident, ce sont les gouvernements britanniques et américains, l’OTAN et l’UE qui intensifient une politique d’affrontement avec la Russie qui, si rien n’est fait pour changer la donne, risque de nous conduire à une guerre thermonucléaire et à l’extinction de l’humanité. En réalité, il n’existe qu’une porte de sortie pour l’Allemagne : si nous ne voulons pas creuser notre propre tombe et devenir complice de préparatifs en vue d’une guerre d’agression, nous devons nous retirer sans tarder de cette Alliance.

Le scénario le plus honteux qui effleure certains esprits est sans doute le renversement de Poutine, d’une façon ou d’une autre… Il n’existe toujours pas la moindre preuve de la responsabilité des rebelles pro-russes d’Ukraine orientale ou de Russie dans l’attentat contre le vol MH17 de Malaysia Airlines. Au contraire, selon le journaliste d’enquête Robert Parry, des cercles au sein du renseignement américain pointent du doigt le gouvernement ukrainien et les bataillons de nazis ukrainiens surexcités par l’Occident contre la Russie. Dans les médias, pas un mot sur le massacre, aussi atroce que celui de Gaza, lancé par Kiev contre son propre peuple au Donbass. L’intention est de toute évidence d’aggraver les souffrances d’une population majoritairement russophone afin de forcer Poutine, face à une « situation humanitaire inacceptable », à intervenir militairement en Ukraine ou à perdre le soutien de son propre peuple.

En même temps, les sanctions injustifiées contre l’économie russe visent, selon Obama lui-même, à en « arrêter net le développement », avec en arrière-plan l’objectif de provoquer la chute de Poutine en dupant une population russe qui le tiendrait pour responsable des pénuries. En quelques semaines, comme l’écrivait récemment Wolfgang Munchau dans l’hebdomadaire Der Spiegel, cette « bombe nucléaire financière » est censée éliminer Vladimir Poutine. Si ce dernier opte pour un soutien militaire à la population russophone menacée de crimes de guerre en Ukraine orientale, il fournira le prétexte à une intervention de l’OTAN et la guerre éclatera alors en Europe. Celle-ci, de par sa dynamique propre, ne pourra être limitée.

A cela s’ajoute qu’au prochain sommet de l’OTAN qui doit se tenir à Wales, au Royaume-Uni, tout se prépare pour remplacer la charte de l’Organisation atlantiste par un nouveau texte autorisant le stationnement d’armes et de troupes aux frontières avec la Russie, ce qui était jusqu’ici explicitement interdit.

Le gouvernement britannique a pris les opérations en main, essentiellement parce qu’Obama se trouve politiquement paralysé. De même que Tony Blair a menti sur l’Irak, le Premier ministre David Cameron répand une propagande de guerre, notamment à propos d’une prétendue menace russe contre les Etats baltes. Le 3 août, dans les pages du Wall Street Journal, le commandant adjoint de l’OTAN en Europe, le général sir Adrian Bradshaw, a appelé à mettre sur pied une force de réaction rapide contre la Russie : « Ce qui est nécessaire, en effet, est une combinaison de forces air-terre qui envoie le message clair que toute incursion dans un territoire de l’OTAN entraînera l’engagement significatif de toutes les forces de l’Organisation. »

Si la Russie, à un moment ou un autre, venait à faire pression sur un pays membre [de l’OTAN] en amassant des troupes conventionnelles à ses frontières, ce pays serait ainsi « rassuré » par l’existence de cette force d’intervention.

Le fait que la Russie n’ait pas la moindre intention d’envahir les pays baltes et qu’elle ait fait preuve d’une extrême retenue, en dépit des crimes de guerre commis contre les populations russophones en Ukraine orientale, est balayé d’un revers de main par une propagande éhontée digne de Goebbels.

Pourtant, d’après Cameron, dont le refrain a été repris par le secrétaire d’État américain à la Défense Hagel lors de sa récente tournée au centre de commandement de l’OTAN à Stuttgart, les activités de l’OTAN devraient être renforcées. Et ceci en dépit du fait que l’Ukraine n’est pas membre de l’OTAN et que son gouvernement actuel est aussi éloigné des « valeurs occidentales » que l’est notre Terre des lointaines galaxies.

En vérité, l’objectif recherché, depuis la chute de l’Union soviétique, est d’encercler la Russie et de créer une situation stratégique où elle deviendrait indéfendable. Bien que sur le point d’être remplacé, le secrétaire général de l’OTAN Rasmussen s’est déclaré favorable à un engagement dans le Pacifique, accordant l’organisation militaire à la politique d’encerclement de la Chine vendue par Obama sous l’étiquette du « pivot asiatique ». Il est clair que l’OTAN n’a plus rien à voir avec une alliance défensive de l’Atlantique Nord.

Bon nombre de militaires européens de haut rang, aussi bien d’active qu’à la retraite, se voient appartenir à une structure qui a progressivement changé de nature. Il ne reste plus rien de l’ancien concept d’Auftragstaktik [littéralement tactique de mission] de la Bundeswehr [armée allemande], selon lequel des officiers munis d’instructions sur une mission à accomplir, sont induits à penser par eux-mêmes, politique par ailleurs exemplaire pour la société civile. Aujourd’hui, le message en provenance des structures de l’OTAN ne laisse aucun doute qu’une pensée indépendante et la participation à un débat stratégique ne font pas partie de leurs prérogatives. Ce qui compte désormais, c’est d’obéir aux ordres. C’est précisément ce que Samuel Huntington, dans son livre Le soldat et l’État, identifiait comme la fonction d’une armée impériale.

La question d’une « sortie par le haut », afin d’éviter à nouveau une politique d’affrontement avec la Russie, n’est débattue à aucun niveau de l’OTAN ni de l’UE. L’intensification à l’Est des opérations de l’Alliance et l’élargissement de l’UE, le renversement des régimes en place grâce aux « révolutions de couleur », les sanctions économiques et en fin de compte la guerre, ne sont pas une dérive accidentelle, mais bel et bien l’intention. Le but n’est pas de provoquer un changement de régime en Russie et en Chine, mais d’absorber complètement leur territoire. Et, comme l’avaient formulé un jour Madeleine Albright et Joschka Fischer, la Russie contrôle bien trop de matières premières pour que l’Occident puisse le tolérer.

Cette cupidité impériale est alimentée par l’effondrement du secteur financier transatlantique. Sa dynamique fait renaître le même calcul géopolitique vis-à-vis du « pivot eurasiatique » que celui ayant conduit à la Première Guerre mondiale. Cependant, penser qu’il est possible, à l’âge des armes thermonucléaires, d’éliminer par la guerre des adversaires désagréables pour établir par la suite une hégémonie impériale, est une illusion suicidaire.

Imaginer que l’on puisse balayer Poutine en quelques semaines à l’aide d’une « bombe financière nucléaire » comme l’affirme Munchau dans Der Spiegel, n’est pas seulement prendre des vessies pour des lanternes, mais s’exposer à un effet boomerang. Car la Russie, grâce aux pays des BRICS et à une bonne coopération avec l’Amérique du Sud, n’est nullement isolée. L’agence spatiale russe Roscosmos travaille déjà avec le complexe militaire chinois pour remplacer les composants électroniques américains auxquels elle n’a plus accès, et considère cette avancée comme le premier pas vers une nouvelle alliance technologique avec les pays des BRICS. L’Amérique du Sud et les États de l’Asie centrale, ainsi que l’Inde, se réjouissent déjà de pouvoir approvisionner la Russie en produits agricoles. Et tout ces pays tirent leurs propres conclusions des campagnes mensongères venant de l’Occident.

Pour l’Allemagne, il s’agit d’une question existentielle : comment éviter d’être entraînée dans une guerre thermonucléaire avec la Russie et la Chine, dans laquelle, du fait de sa propre position géographique, personne ne survivrait. Si jamais l’Allemagne venait à accepter la nouvelle charte de l’OTAN lors du sommet de Wales le 4 septembre, ce serait un acte purement kamikaze. Nous appelons maintenant les citoyens allemands à soutenir notre sortie de l’OTAN !

Une alternative existe. La Chine a proposé une forme de coopération économique avec le programme de la nouvelle Route de la soie, un projet ouvert à tous. Les pays des BRICS, l’Amérique du sud et d’autres pays vont ainsi s’engager à créer un nouvel ordre économique mondial plus juste et il est dans l’intérêt vital de l’Allemagne d’y participer. C’est tout aussi vrai pour les États-Unis, où quelques dirigeants politiques de haut niveau sont favorables à cette perspective.

La Chine a également le programme d’exploration spatiale le plus ambitieux du monde, avec notamment l’intention d’extraire de l’hélium-3 de la Lune, où cette ressource est abondante, pour en faire sur terre un carburant pour l’énergie de fusion thermonucléaire contrôlée de l’avenir. La mise en œuvre de la fusion utilisant l’hélium-3 constitue le prochain pas légitime de l’humanité dans sa progression vers la maîtrise de flux d’énergie toujours plus denses. Ce processus permettra de disposer de nouvelles sources d’énergie et de nouvelles ressources, de moteurs permettant des voyages interplanétaires, ainsi que d’une défense contre les menaces provenant de l’espace (comètes, météorites, etc.).

L’Allemagne doit prendre part à la réalisation de ces buts communs de l’humanité. C’est uniquement lorsque la coopération entre nations aura atteint ce niveau (comme cela va aujourd’hui de soi pour les astronautes de la station spatiale internationale et l’équipe qui a lancé la sonde Rosetta) que l’humanité pourra dépasser son stade infantile de développement. Elle adoptera alors comme base d’action son identité en tant qu’unique espèce réellement dotée de créativité. C’est pour nous la seule façon de survivre.

La paix ne peut être que globale. Dans ce monde en plein désastre, il est inacceptable que seuls quelques États disposent de la sécurité et de la coopération, alors que tout le reste sombre dans le chaos. Au lieu de rechercher l’affrontement, nous devons enfin inscrire au calendrier de l’histoire la promesse formulée lors de la réunification allemande en 1989, qui fut malheureusement une occasion perdue : il nous faut un plan directeur pour une paix durable au XXIe siècle !