L’Europe, du rêve au cauchemar

mercredi 14 mai 2014

Comme dans la célèbre nouvelle de Kafka, les Européens se sont levés un matin et se sont rendu compte que durant la nuit, l’Europe s’était métamorphosée en « monstrueux insecte ».

Le rêve de Victor Hugo

S’adressant à un auditoire de publicistes, de philosophes et de religieux, lors de son discours d’ouverture au Congrès de la Paix à Paris, en 1849, Victor Hugo estimait que « la paix universelle, toutes les nations liées entre elles d’un lien commun, » n’était pas une utopie, car « la loi de Dieu n’est pas la guerre, c’est la paix ».

« Un jour viendra où vous, France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne (...). Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. (...) Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les Etats-Unis d’Amérique, les Etats-Unis d’Europe [1], placés en face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies, défrichant le globe, colonisant les déserts, améliorant la création sous le regard du Créateur, et combinant ensemble, pour en tirer le bien-être de tous, ces deux forces infinies, la fraternité des hommes et la puissance de Dieu ! (...) Car Dieu le veut, ce but sublime ! Et voyez, pour y atteindre, ce qu’il fait de toutes parts ! Voyez que de découvertes il fait sortir du génie humain, qui toutes vont à ce but, la paix ! (...)

« Grâce aux chemins de fer, l’Europe bientôt ne sera pas plus grande que ne l’était la France au Moyen âge ! Grâce aux navires, à vapeur, on traverse aujourd’hui l’Océan plus aisément qu’on ne traversait autrefois la Méditerranée  ! Avant peu, l’homme parcourra la terre comme les dieux d’Homère parcouraient le ciel, en trois pas. Encore quelques années, et le fil électrique de la concorde entourera le globe et étreindra le monde. » (Applaudissements)

Le cauchemar de l’Empire européen

Suite à l’invasion de l’Espagne par le Premier Empire (Napoléon 1er) en 1807, le républicain Goya peint Le Colosse (Prado, Madrid).

Alors qu’on nous a fait miroiter une Europe de la paix, fondée sur le progrès et la coopération mutuelle entre peuples de plus en plus solidaires, nous voilà vassalisés et enrôlés d’office dans un empire, financier au départ, mais désormais politique et militaire.

Ceux qui croyaient naïvement à la théorie qu’un marché et une monnaie uniques allaient engendrer, quasi-automatiquement, une harmonisation sociale et fiscale ainsi que le plein emploi, en sont pour leurs frais. Si l’UE et les Etats-Unis concluent un accord de libre-change cette année, notre « modèle social », déjà gravement miné par les politiques libérales de Bruxelles, sera rasé par les bulldozers de la mondialisation.

Loin du « Grand dessein » de Sully et d’Henri IV, à l’opposé même de l’esprit de cette « paix universelle » rêvée par Victor Hugo, à coups d’intégration supranationale et d’abandons de souveraineté, une bureaucratie d’empire corrompue au service d’intérêts financiers a réussi à concentrer dans ses mains un pouvoir terrifiant. Et si 20 000 lobbyistes polluent Bruxelles, c’est bien qu’ils y trouvent un répondant !

La Communauté économique européenne des débuts s’est ainsi transformée en Union accaparant toutes les compétences des États : politique sociale, structurelle et monétaire, justice, immigration, police, affaires étrangères, défense, culture, recherche, éducation – la liste semble sans fin. La législation européenne prévaut de plus en plus sur le droit national. En 2009, le site web de notre ministère de la Justice pouvait déjà affirmer que « la proportion du droit communautaire dans le droit français est comprise entre 60 % et 70 % des textes nouveaux ».

Si le pouvoir s’est concentré au sommet, en bas, on castre et on morcelle les grands États-nations au profit de nouvelles baronnies régionales, fondées sur les contours d’anciennes « nations » toujours en quête d’existence.

Nos Etats-nations se retrouvent ainsi pris en tenailles entre une intégration forcée en haut et une « Europe des régions » en bas. Écossais, Catalans, Flamands et tant d’autres, dans l’illusion de pouvoir disposer éternellement d’une monnaie unique et d’un grand marché pour leurs produits et services, et ceci avec l’appui d’une bureaucratie d’empire amusée, partent à l’assaut pour redessiner nos frontières.

Sans doute simple coïncidence du calendrier, alors que le pouvoir de la Commission augmente, on exige des Etats, pour « rentrer dans les clous de Maastricht », qu’ils réduisent leurs budgets, ce qui passe obligatoirement par l’élimination pure et simple des « doublons », c’est-à-dire des collectivités territoriales les plus proches du citoyen.

On estime en effet que les 36 000 maires de France coûtent cher à la société, alors qu’il n’existe aucun doute sur l’utilité de la crème de la crème du « mille-feuille », ces 35 000 fonctionnaires grassement rémunérés de la Commission européenne, dont personne ne conteste « l’expertise ». Surtout, cela s’inscrit dans le vieux projet d’Europe des régions, défendu par l’oligarchie transatlantique depuis Churchill.

Comme tous les empires, cette UE-là, qui dévore ses propres enfants et menace ses voisins, porte la guerre comme les nuées portent l’orage. A nous de nous en débarrasser. Et surtout d’en faire une autre.

L’Empire Européen : lls y travaillent !

Alors que la plupart des traités européens ont été élaborés dans le plus grand secret et qu’aucun dirigeant européen n’aime reconnaître le caractère totalitaire et impérial de l’Union européenne, il existe des moments où certains « initiés  » de la machinerie européenne se lâchent.

Parmi eux, Robert Cooper, un proche de Tony Blair devenu conseiller du Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’Union européenne, l’ex-secrétaire général de l’OTAN Javier Solana. Cooper classe l’ensemble des pays en trois catégories : l’Etat pré-moderne (failed state), l’Etat moderne (Etat-nation souverain issu de la paix de Westphalie, qu’il faut combattre) et l’Etat post-moderne (Union européenne, le modèle).

Dans Le prochain empire, un article publié en octobre 2001 dans Prospect, il précise qu’« une UE postmoderne offre une vision d’un empire co-opératif ». Plus qu’une vision, c’est un modèle à imposer aux Etats-nations souverains (Russie, Chine, etc.). Cooper est également membre d’un des think-tank bruxellois les plus influents, financé par Georges Soros, l’European Council of Foreign Relations (ECFR), que préside son ami Mark Leonard, lui aussi un ancien spin-doctor de Blair. Pour Leonard, pas de doute, c’est « l’Eurosphère [qui] dominera le XXIe siècle, (...) non pas parce que l’UE contrôlera le monde, mais parce que la façon européenne de faire les choses deviendra la façon de faire de la terre entière. »

Barroso : « L’UE est une construction très spéciale »

Cet ancien élève du père de « l’Europe des régions » Denis de Rougemontqu’est José Manuel Barroso, le président en exercice de la Commission européenne, ne pouvait pas résister à cette thèse. Lorsqu’un journaliste l’interrogea le 10 juillet 2007 à Strasbourg sur la véritable nature de l’UE, Barroso répondit :« L’UE est une construction très spéciale et unique dans l’histoire de l’humanité (...) Parfois j’aime comparer l’UE, en tant que création, à la structure d’un empire. On a la dimension d’un empire. » Cependant, à l’opposé des empires ordinaires, l’UE s’est élargie par adhésion volontaire et non par la conquête militaire, a-t-il précisé. Ainsi, « ce qu’on a, c’est le premier empire non-impérial (...) On a vingt-sept pays qui ont décidé de coopérer pleinement et de mettre leur souveraineté en commun. Je pense que c’est une grande construction et que nous devons en être fiers. »

Attali contre la démocratie

De son côté, Jacques Attali, l’ancien sherpa de François Mitterrand et l’un des auteurs du Traité de l’Union européenne (Maastricht), admettait lors d’une conférence à Paris, que la plupart des crises européennes furent consciemment programmées par des « experts » comme lui pour imposer, pas à pas et contre la volonté des peuples, cette Europe qui échappe totalement au contrôle des citoyens : « Quand on a fait le Marché commun, tous ceux qui l’ont fait savaient parfaitement bien que cela ne marcherait pas si on n’allait pas plus loin. Si vous avez un Marché commun mais que vous n’avez pas l’uniformisation des normes techniques, vous avez la possibilité de faire de la concurrence déloyale en fixant des normes différentes aux produits. C’est ce qui s’est passé d’ailleurs entre 1960 et 1980 et a conduit à la crise de 1983.

« (...) Cette crise était peut-être plus grave que celle d’aujourd’hui. Six mois plus tard, les contentieux furent réglés, on a fait le ‘marché unique’, on a harmonisé les normes. Mais on savait très bien à cette époque que le marché unique ne pouvait pas marcher si on n’allait pas plus loin, car s’il y avait un marché unique de libre circulation pour les marchandises et les capitaux, évidemment on pouvait être compétitif les uns par rapport aux autres par des dévaluations compétitives. On savait qu’on allait avoir des dévaluations, que même le système de stabilisation des monnaies à l’intérieur ne tiendrait pas et qu’il fallait aller vers la monnaie unique. Marché commun, marché unique, monnaie unique. On savait qu’il y aurait des crises. Et il y a eu des crises, celle de 1991 et de 1993. Exactement comme en 1983.

« Et il y a eu un moment de vérité ; des hommes d’Etat se sont réunis, ils se sont dit : ça passe, on fait la monnaie unique. Ça s’est passé lors d’un moment très particulier où il y avait aussi la chute du Mur [de Berlin] (...). Nous savions très bien, quand on a fait la monnaie unique, que cela ne marcherait pas, ça ne suffirait pas ; exactement comme dans les trois crises précédentes. Nous savions que cela ne marcherait pas. Pourquoi ? Jamais dans l’histoire de l’humanité, on n’a eu une monnaie qui a existé sans un État. Ça n’existe pas, une monnaie sans État. Prenez toute l’histoire du monde : une monnaie sans État, ça explose.

Aussi, « (...) soit on casse, soit on va plus loin. On va vers une fédération budgétaire européenne forte. Maintenant, nous avons ce choix devant nous. Il aura lieu dans un an, dans deux ans, dans six mois. On peut casser, le système peut casser. (...) S’il casse, c’est un désastre. C’est un désastre pour chacun. D’abord tous ceux qui, comme moi, font partie des privilégiés qui ont pu tenir la plume pour écrire les premières versions du Traité de Maastricht, on s’est bien engagé à faire en sorte que sortir ne soit pas possible. On a soigneusement oublié d’écrire l’article qui permet de sortir. Ce n’est pas très démocratique mais c’était une grande garantie pour rendre les choses plus difficiles, pour nous forcer d’avancer.

« Car si on sort – c’est impossible, mais enfin, si l’on veut, on peut ; (...) si on sort, celui qui sort va prendre (...) des coûts de 30 à 40 %. Il va être chassé. Il ne pourra plus emprunter, il y aura un moratoire sur ses dettes, ses banques seront en faillite, il sera obligé de couper les dépenses budgétaires, c’est le chaos. Et ce sera pour chacun... »


[1Les européistes et fédéralistes européens en quête de respectabilité utilisent souvent cette expression hors de son contexte pour faire croire que Victor Hugo était un des leurs.