L’Europe somnambule-t-elle vers la guerre mondiale, comme en 1914 ?

mardi 14 janvier 2014, par Helga Zepp-LaRouche

Helga Zepp-LaRouche est la présidente du Mouvement des droits civiques-Solidarité (BüSo), notre parti frère en Allemagne.

Il est grand temps que les Allemands se réveillent. La situation serait grotesque si elle n’était pas si dangereuse. Des douzaines d’historiens, d’auteurs et de chroniqueurs établissent des parallèles entre aujourd’hui et 1914, et décrivent comment à cette époque les gens somnambulaient vers la grande catastrophe de la guerre – et pourtant, en ce qui concerne les principes, nous faisons exactement la même chose aujourd’hui. A la différence cruciale que la Troisième Guerre mondiale serait aujourd’hui thermonucléaire et dévasterait tout.

La radio internationale de l’Etat russe La voix de la Russie estime que le monde est aujourd’hui plus proche de la guerre nucléaire qu’il ne l’était même au sommet de la Guerre froide, au cours de la crise des missiles de Cuba.

Elle poursuit cependant, dans une sorte de subterfuge, en disant que cela découle de l’érosion du Traité de non prolifération nucléaire. Selon la radio, en plus du Club nucléaire initial – c’est-à-dire les États qui avaient utilisé une arme nucléaire avant le 1er janvier 1967 – l’Inde, le Pakistan, Israël et la Corée du nord possèdent aujourd’hui de telles armes, d’autres sont très près d’en avoir, et 30 à 40 États font tout ce qu’ils peuvent pour devenir des États nucléaires.

La vérité est bien pire. Anne Applebaum, historienne américano-polonaise et épouse du ministre polonais des Affaires étrangères Radoslaw Sikorski, constate dans le Washington Post du 25 décembre le retour soudain de l’esprit de la Guerre froide, mais elle confond la cause et l’effet. Le déploiement de missiles par la Russie à sa frontière ouest n’était pas le début de ce retour à l’esprit de la Guerre froide, comme elle le suggère, mais une réponse à la construction du système américain de défense anti-missiles en Pologne et en République tchèque. L’établissement par la Chine d’une Zone de défense aérienne est une réaction à la doctrine américaine de l’Air-Sea Battle, dont l’intention affichée est de pénétrer les défenses du territoire chinois.

Empire global

Derrière l’expansion de l’OTAN (et de l’UE) vers l’Est, de même que derrière ce que l’on appelle le « Pivot asiatique » du gouvernement Obama, se cache une tentative – entreprise d’abord par Bush père et Margaret Thatcher, puis par Bush fils et Tony Blair, et aujourd’hui par Obama et David Cameron – d’ériger un nouvel empire mondial fondé sur la « relation spéciale » anglo-américaine. L’UE se comporte comme le partenaire régional junior de cet empire.

Cette politique a provoqué, depuis un certain temps déjà, une nouvelle course aux armements dans le monde. Diverses doctrines militaires offensives au sein des Etats-Unis et de l’OTAN voient aussi le jour, qui doivent être considérées comme partie intégrante d’une stratégie d’ensemble. L’une d’entre elles est la Responsabilité de protéger (R2P), qui rejette la souveraineté des nations garantie par la charte des Nations unies, en faveur d’interventions « humanitaires ». Non moins dangereux est le flou entretenu entre armes nucléaires et conventionnelles, comme par exemple dans la doctrine de Frappe conventionnelle globale rapide (CPGS) ou l’utilisation soi-disant préventive de « petites » armes nucléaires, les « bunker busters ».

Dans des publications militaires qui font autorité dans le domaine, comme le journal officiel de l’armée de l’air américaine, la fin de la doctrine de Destruction mutuelle assurée (MAD) de l’OTAN est annoncée et l’on affirme qu’il est désormais possible de neutraliser les capacités nucléaires de n’importe quel pays sans créer de retombées radioactives. [1]

Dans le Yale Journal of International Affairs, le professeur Amitai Etzioni appelle à un débat public pour savoir qui au Pentagone a autorisé des préparatifs de guerre contre la Chine.

Face à tout cela, tant la Russie que la Chine ont fait savoir de façon indéniablement claire qu’elles sont chacune très bien équipées en termes de capacité de seconde frappe nucléaire et qu’elles l’utiliseront pleinement si elles sont attaquées. Divers représentants du gouvernement russe ont aussi souligné qu’ils n’attendront pas que l’Occident acquière la supériorité technique qu’il recherche, et que si nécessaire ils lanceront une première frappe nucléaire. [2]

Quiconque réfléchit à l’ensemble de cette situation doit réaliser que l’échiquier de la Troisième guerre mondiale, cette fois-ci une guerre thermonucléaire d’extermination de l’humanité, est bien plus méticuleusement préparé qu’à l’époque de la Première Guerre mondiale, avant les tirs de Sarajevo. Nous devrions tous perdre le sommeil si nous réalisions à quelle vitesse un accident stupide ou une provocation par un tiers pouvait entraîner la destruction de l’humanité.

Si le prochain krach du système financier transatlantique venait à se produire, ce qui pourrait survenir à tout moment et contre lequel même des économistes traditionnels comme Dennis Snower [3], de l’Institut de Kiel pour l’économie mondiale, mettent en garde, il est vraisemblable que le chaos qui s’ensuivrait aurait rapidement des conséquences militaires, qui finiraient en Troisième Guerre mondiale.

Coopération Est-Ouest

La Première Guerre mondiale n’aurait jamais eu lieu si le Chancelier allemand Otto von Bismarck était resté au pouvoir, puisque la préhistoire de la guerre débute avec son départ. Quelles leçons pouvons-nous tirer aujourd’hui, dans ce moment de grand danger, de la politique de Bismarck ?

Au lieu de campagnes médiatiques pour dessiner une image ennemie de la Russie et de la Chine et contribuer ainsi à une prophétie auto-réalisatrice, aboutissant une fois encore, comme dans le cas de la Syrie, à se ranger du côté des terroristes, nous devons déclarer notre entière solidarité avec la Russie, face aux attentats terroristes à Volgograd et en d’autres endroits au sud de la Russie. La Chancelière Angela Merkel et le président Joachim Gauck devraient donner une expression pratique à cette solidarité en assistant aux Jeux olympiques de Sotchi, accompagnés d’une délégation prestigieuse.

Les nations d’Europe devraient répondre promptement aux offres répétées du président Vladimir Poutine et du vice-premier ministre Dimitri Rogozine en faveur du développement et du déploiement d’un système conjoint de défense anti-missiles. Le problème de l’érosion du traité de non prolifération nucléaire, y compris le risque que ces armes puissent finir dans les mains de terroristes, ne peut être résolu que par une coopération effective entre l’Est et l’Ouest.

Viktor Ivanov, directeur du Service fédéral russe de contrôle des stupéfiants, a proposé à plusieurs reprises la coopération russe à l’OTAN, les Etats-Unis et l’UE pour combattre la culture de la drogue en Afghanistan et le blanchiment de l’argent en provenant. En l’absence de réponse face à cette offre, la production de drogue a été multipliée par 40 sous l’égide de l’OTAN au cours des 12 années de guerre en Afghanistan ! La conséquence étant qu’une grande partie des populations de Russie, de Chine, d’Asie centrale et aussi chez les jeunes Européens, est détruite.

Les nations européennes devraient rapidement saisir la proposition « Rainbow 2 » de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) pour détruire la production de drogue en Afghanistan, qui présente un programme de reconstruction économique. Alexander Rahr, un expert allemand de la Russie, a récemment soutenu cette idée, ainsi que la proposition que le BüSo a fait circuler depuis des années, notamment d’intégrer l’Afghanistan dans une union économique avec tous ses voisins à des fins de stabilisation du pays.

Les nations d’Europe devraient répondre immédiatement à la proposition du Premier ministre ukrainien Mykola Azarov et du conseiller présidentiel russe Sergueï Glaziev, en faveur de négociations tripartites, dans lesquelles l’Ukraine et la Russie travailleraient dans une perspective de développement économique mutuel.

Cette coopération économique pourrait faire partie de l’expansion du Pont terrestre eurasiatique, qui a récemment été déclaré une priorité par le président chinois Xi Jinping lors d’une visite au Kazakhstan, sous la forme d’une Nouvelle route de la soie.

Le Premier ministre chinois Li Keqiang a étayé cette perspective au cours de sa récente tournée en Europe centrale et de l’est, avec des accords innovants passés avec la Roumanie, la Hongrie et la Serbie en faveur du développement d’un système ferroviaire à grande vitesse dans ces pays. Toutes les nations européennes souffrent actuellement d’un retard énorme en ce qui concerne les investissements dans l’infrastructure et pourraient beaucoup bénéficier d’une telle coopération. Le développement conjoint du Pont terrestre mondial serait aussi un socle solide pour la paix au XXIe siècle.

Coopération spatiale

L’impact d’un astéroïde à Tcheliabinsk en Russie le 15 février 2013 a une fois encore durement rappelé au monde qu’à l’heure actuelle, nous ne disposons pas de mécanismes de défense pour protéger notre planète de l’impact d’astéroïdes, de météorites et de comètes. Dans le pire des cas, l’impact de l’un de ses objets, qui sont des millions à voyager dans l’espace et dont la NASA et l’ESA ne sont jusque là parvenues qu’à identifier une fraction, effacerait la race humaine de la surface de la planète, comme cela s’est produit il y a 65 millions d’années avec les dinosaures. La défense commune de notre planète ne peut voir le jour que par une coopération internationale dans la recherche et le développement de systèmes de défense.

La Chine a prouvé, avec l’alunissage de sa sonde lunaire Chang’e-3 – le premier alunissage depuis 37 ans – qu’elle est en voie de devenir la première nation dans le domaine du voyage spatial. La coopération internationale dans l’espace et pour conquérir de nouvelles régions à la frontière de la science comptent parmi les objectifs communs de l’humanité, qui nous permettraient de cesser les conflits terrestres et les prétendus conflits d’intérêts géostratégiques et de lancer une ère meilleure de l’humanité.

Il est donc grand temps de nous réveiller et de contribuer à garantir que l’humanité, au-delà d’avoir ne serait-ce qu’un avenir, en ait un grand. Il y a des alternative merveilleuses à une Troisième Guerre mondiale, et les domaines de coopération cités ici pourraient être élargis à d’autres domaines importants, comme le développement d’une économie mondiale reposant sur l’énergie de fusion thermonucléaire ou des échanges dans le domaine de la culture classique, et le dessein d’une ère complètement nouvelle de l’humanité, à la hauteur de la dignité et de la nature de l’humanité en tant que seule espèce créative.


[1Keir A. Lieber et Daryl G. Press, « The New Era of Nuclear Weapons, Deterrence, and Conflict », Strategic Studies Quarterly.

[2Voir Carl Osgood et Rachel Douglas, « U.S. Moves Toward Nuclear First Strike Capability », Executive Intelligence Review, 15 mars, 2013, Washington DC.