Le cannabis ne peut être admis comme médicament !

vendredi 2 août 2013, par Agnès Farkas

Agnès Farkas s’est entretenue avec le professeur Jean Costentin, Membre titulaire des académies nationales de Médecine et de Pharmacie, et Président du Centre National de Prévention, d’Etudes et de Recherches sur les Toxicomanies (CNPERT).

Agnès Farkas : Après avoir autorisé l’installation en France de « salles de shoots » pour les toxicomanes, le 5 juin 2013 le ministère de la santé a pris un décret modifiant le code de la santé publique afin de « permettre la délivrance d’une autorisation de mises sur le marché de médicaments contenant du cannabis ou ses dérivés ».

Jean Costentin : Il s’agit hélas d’un pas de plus dans la direction d’une banalisation des drogues. J’entends dire : oui mais la morphine ? La morphine est un analgésique actuellement encore irremplaçable, incontournable. S’agissant du cannabis et de son tétrahydrocannabinol (THC), on n’est pas du tout dans ce cadre là. Cette drogue n’apporterait pas le dixième des bénéfices qu’apporte la morphine à la thérapeutique, et elle comporterait bien plus de risques et inconvénients.

Ce dessein d’inscrire, dans la précipitation, le cannabis et certains de ses composants dans la pharmacopée participe aux pressions qui s’exercent pour obtenir la dépénalisation de cette drogue, préalable évident à sa légalisation.

L’agence du médicament pourrait donc donner le feu vert pour le développement, par l’industrie pharmaceutique, de médicaments à base de cannabinoïdes de synthèse, ce qui était jusqu’alors interdits en France ?

Pas seulement de synthèse ! Le cannabidiol et le THC sont si abondants dans le cannabis qu’il est moins coûteux et plus simple de les extraire de la résine de cannabis (le « shit » ou « haschich ») que de les synthétiser. Par contre, actuellement se développent des cannabinoïdes de synthèse différents du THC, sorte de variations sur un thème donné, qui sont encore plus puissants. C’est ce qu’on trouve dans les spices, par exemple, qui sont brulés comme de l’encens et diffusent dans la pièce, si bien qu’il n’est plus nécessaire de le fumer (dans des « joints » ou « pétards ») mais qu’il suffit d’en inhaler les fumées dans la pièce pour se mettre à divaguer.

Justement, le centre de contrôle des poisons américain rapporte une analyse indiquant, qu’entre 2010 et 2011, ils ont eu 4500 appels pour des intoxications dues à des cannabinoïdes de synthèse chez des adolescents, avec parfois des atteintes cardiaques d’une gravité certaine.

Ajoutez à cela que pour le moment, on ne sait pas détecter un certains nombre de ces substances, car elles ont des structures chimiques nouvelles. L’expertise toxicologique ne détecte pas le THC sur des individus ayant provoqué des accidents sur la voie publique ; alors qu’il s’agit d’un produit voisin, développant le même type d’effet, mais de façon encore plus puissante.

En me connectant au site officiel de la santé du Canada j’ai découvert qu’un dérivé du cannabis était déjà autorisé en tant que médicament sous l’étiquette Sativex®.

C’est exact ! La pression de puissants lobbies a déjà remporté, au Canada et en quelques autres pays, cette « victoire » qui me parait bien amère. Les promoteurs de ce « médicament » ont tellement peur des effets du THC, qu’ils lui ont rajouté du cannabidiol, dans l’espoir de potentialiser les effets recherchés et d’amoindrir ceux qui sont redoutés. C’est du bricolage ! et cela n’a pas grand-chose à voir avec la science du médicament, j’ai dit la pharmacologie. D’un côté cette dernière développe des produits très purs, et de l’autre, on bidouille des mélanges en misant sur des interactions.

Toujours sur le site canadien, ils disent ne pas savoir comment les cannabinoïdes de synthèse agissent scientifiquement sur les organes. J’ai pourtant l’impression que l’on connait depuis longtemps les effets néfastes de ces produits.

Nous connaissons bien les mécanismes d’action du THC. On connait mal l’action du cannabidiol car il agit selon un mécanisme différent, mal identifié, donc moins connu que celui du THC. Leur association espère, nous l’avons dit, augmenter l’efficacité analgésique du THC et simultanément amoindrir ses effets psychotogènes (inducteurs de délires et d’hallucinations) très justement redoutés, puisque ce sont ceux des psychoses, c’est à dire de la folie au sens ordinaire du terme.

De plus le THC induit une dépendance psychique. Elle transforme l’expérimentation en usage erratique, puis en usage régulier, puis semi-chronique puis enfin chronique. Elle fait accéder à l’abus, à la pharmacodépendance, au besoin impérieux de consommer le produit pour échapper aux troubles psychiques et même à un certain degré physiques que ferait apparaître sa privation.

Pourtant, il est bien question de bénéfices pour la santé ?

Les bénéfices excipés sont, pour chaque effet revendiqué, d’un niveau modeste, voire très modeste, comparés à ceux des médicaments de référence.
Par exemple, les effets anti nauséeux / anti émétiques sont mineurs, comparés à ceux des sétrons (Kytril®, Navoban®, Zophren®….) dont l’action est à la fois très sélective et très puissante.

Les effets anti glaucomateux du THC ne l’emportent sur aucun des nombreux agents disponibles à cet effet ; médicaments qui appartiennent à plus d’une demi douzaine de classes pharmacologiques différentes (inhibiteurs de l’anhydrase carbonique ; prostaglandines ; cholinomimétiques d’action directe, ou d’action indirecte ; inhibiteurs de l’activité cholinestérasique ; agonistes des récepteurs alpha 1 ou des récepteurs alpha 2 adrénergiques ; bêta-bloquants cardio sélectifs).

Les effets myorelaxants du THC sont très inférieurs à ceux du tétrazépam (une benzodiazépine, le Myolastan® (dont la survie sur le marché est pourtant compromise en raison d’effets immuno-allergiques d’expression cutanée).

La puissance analgésique du THC se situe entre celle du paracétamol et celle de l’aspirine, c’est dire que si elle n’est pas négligeable, elle n’a néanmoins rien d’exceptionnel ni d’irremplaçable ; quand bien même ses effets ébriants / énivrants conduisent le patient à la magnifier.

Peut-on craindre l’induction de dépressions de l’humeur par ce produit ?

Le THC est anxiolytique de façon immédiate, mais au long cours, l’effet anxiolytique se mue en un effet anxiogène. De la même façon, en aigu, le THC apparait à son utilisateur comme suscitant des effets antidépresseurs. Aussi, il en use et bientôt même en abuse, jusqu’à ce qu’aux effets perçus comme antidépresseurs succèdent l’induction d’une dépression bien plus vive que ce qu’elle était a priori.

La pharmacodépendance, on dit encore l’addiction, au cannabis est forte. En France où le cannabis est interdit, on dénombre néanmoins1.700. 000 usagers réguliers de cette drogue. Ce produit bien qu’interdit atteint de tels nivaux de consommation, qu’on imagine volontiers les dérapages qui surviendraient lors de son utilisation à des fins médicales. En fait c’est la première marche vers l’obtention de la légalisation qui serait gravie.

Au cours des quatre derniers mois on a entendu siffler les tirs croisés des snippers prônant cette dépénalisation/légalisation. Il y eut d’abord la déclaration de madame Duflot pour cette dépénalisation ; puis celle, totalement incompréhensible, à contre emploi même, du ministre de l’éducation nationale, monsieur Peillon. Comment imaginer que celui qui est le ministre des écoles, des collèges, des lycées, des universités, et qui sait combien la présence de cette drogue est à l’origine du décrochage scolaire, de la marginalisation, de la chute en piqué des performances éducatives de la France dans le classement PISA, fasse fi de ce que nombre de ses enseignants ont pu lui expliquer, que le cannabis est en train d’attenter à notre jeune génération, la rendant incapable de s’inscrire dans la compétition internationale. Cette compétition internationale n’est plus affaire de muscle, mais d’intelligence et de culture. Comment imaginer qu’un ministre de l’éducation nationale veuille desserrer le corset, déjà si lâche, du cannabis. C’est comme si vous appreniez demain que le pape s’interroge urbi et orbi sur les bienfaits de l’athéisme. J’ai écrit une lettre au ministre, afin de lui restituer les éléments de ma culture sur cette drogue, il n’y a jamais répondu…

Les cannabinoïdes sont vus comme une solution médicamenteuse contre la douleur, notamment pour le cancer ou la sclérose en plaques.

Les personnes atteintes de scléroses en plaques ont besoin plus que d’autres d’être lucides pour gérer la situation difficile que leur inflige leur maladie. Ce n’est pas en les transformant en zombis qu’on les aidera. Le THC leur ouvrira l’appétit (c’est un des effets des cannabinoïdes) et en fera des obèses, car leur dépense énergétique est très diminuée du fait de leur handicap. Il leur sera alors encore plus difficile de se mouvoir et d’être mobilisés lors des soins pratiqués par des aidants. Pour relâcher leurs muscles spasmés (contractures) on dispose de myorelaxants beaucoup plus efficaces. On vient de retirer du marché le tétrazépam, le Myolastan® en raison d’effets secondaires parfois graves, et on le remplacerait par un produit cannabinoïde ayant des effets cent fois plus néfastes et une efficacité dix fois moindre…

Ajoutez à cela que le THC induit un syndrome de type cérébelleux qui est une des expressions morbide de la sclérose en plaques, ce qui aggraverait le tableau neurologique.

On parle aussi d’effet antidépresseur du cannabis.

C’est faux ! Le déprimé qui prend cette drogue peut voir subitement son état se modifier. Son esprit part ailleurs (« effet planète »), l’ivresse éloigne ses ruminations douloureuses (le mentisme) ; mais au fil du temps ces effets s’épuisent, en même temps que s’épuise l’effet des substances endogènes (cérébrales), les endocannabinoïdes, qui étaient déjà insuffisants dans leur fonction puisqu’ils ne parvenaient pas à maintenir une humeur enjouée. L’épidémiologiste Marie Choquet, ayant eu accès aux fiches remplies par les appelés aux JAPD (journées d’appel pour la défense) qui portaient sur la consommation de cannabis et sur les tentatives de suicides, a observé l’existence d’une corrélation significative entre l’usage du cannabis et les idées suicidaires, les tentations et les tentatives de suicide. Le cannabis, telle une rustine appliquée sur l’orifice d’une chambre à air crevée, agrandit bientôt l’orifice aux dimensions mêmes de cette rustine. Ce faux médicament apporte un soulagement passager, qui dégénère bientôt en une détérioration au-delà du trouble initial.

En Hollande, on vend des boîtes de Marinol®, contenant des principes actifs du cannabis, présenté comme médicament. On peut les inhaler, les avaler ou les prendre en infusion. Si le Sativex® est approuvé en France, ne serait-ce la porte ouverte à la commercialisation de ces mêmes produits dans le pays ?

C’est le pied dans l’entrebâillement de la porte, tout comme les salles de shoots pour toxicomanes. Il y a deux mois à peine, sur une initiative concertée, plusieurs producteurs de cannabis en France, déposaient simultanément dans les préfectures les statuts de cultivateurs et producteurs du chanvre indien. Nous avons émis une protestation devant les procureurs et prévenu les préfets qui nous ont répondu qu’ils n’ont pas le droit de refuser le dépôt des statuts d’une association. Nous allons saisir les procureurs pour demander l’annulation de ces inscriptions car les buts de celles-ci contreviennent à la loi.

Ces déclarations (Mme Duflot, Mr Peillon), ces actions des cannabiculteurs, jointes à une forte pression médiatique sans contradictions, l’autorisation des salles de shoots pour toxicomanes prononcée par madame Touraine, ministre de la Santé (faut-il le rappeler) et, aujourd’hui, toujours en provenance de ce même ministère, l’autorisation du cannabis médicament, en complète opposition aux avis émis par les académies nationales de Médecine et de Pharmacie, sont intervenus dans un espace de seulement trois mois. Il n’est pas nécessaire d’être atteint de paranoïa pour imaginer que cette synchronisation n’a rien de fortuit.

Nous sommes dans une situation de crise, avec un appauvrissement réel de la population. Celle-ci pourrait se révolter et, dans un monde orwellien, légaliser une drogue n’est il pas un moyen d’endormir une révolte.

Je le crois ! Cela permet de transformer des indignés en résignés. Actuellement les législations les plus ouvertes sur la diffusion des drogues concernent la Grèce, le Portugal et l’Espagne. Cherchez la corrélation !

Nous pourrions terminer sur une note d’espoir. La formule fondatrice du CNPERT, ou Centre National de Prévention, d’Etudes et de Recherches sur les Toxicomanies, dont vous êtes le président, s’exprime ainsi : « S’il faut être attentif à l’état de la planète que nous léguerons à nos enfants, il est majeur de nous préoccuper de l’état des enfants que nous léguerons à cette planète ». Vos mises en garde s’inscrivent manifestement dans cette perspective

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