Les analyses de Jacques Cheminade

Concorde-Koursk contrer l’offensive anglo-américaine

dimanche 2 juillet 2000, par Jacques Cheminade

Quelles qu’aient pu être les causes de la destruction du Concorde et du Koursk, il est clair que l’oligarchie anglo-américaine a saisi l’occasion pour lancer une double offensive contre les technologies de pointe et l’Etat-nation. Après les attaques de Margaret Thatcher contre les « illusions de grandeur » de la France, à la Hoover Institution (Californie), Jim Hoagland, dans le Washington Post du 20 août, exprime avec une virulence révélatrice les intentions que ceux qui l’emploient.

Sous le titre « Koursk et Concorde , tous deux trop ambitieux pour durer », le quotidien de « l’élite » washingtonienne soutient que « ces deux désastres séparés sont liés à des causes politiques ». L’origine des deux catastrophes est, selon lui, « un sens de la grandeur nationale exagéré et dépassé », fondé sur un « excès de technologie ». Il conclut : « La grandeur au moyen d’une technologie inutile et chère est un mauvais investissement dans un monde où même le nationalisme doit payer pour s’affirmer, ou bien se soumettre ». Déclarations d’autant plus révélatrices que le New York Times entonne un air similaire. La presse britannique pour sa part, s’en est prise à Air France et à notre pays avec une malveillance telle que British Airways et les milieux anglais de l’aéronautique ont protesté.

Dans ces conditions, il est clair que tous les organes de presse qui ont attaqué, souvent avec virulence, les institutions françaises et russes et dénigré leurs réalisations, ont participé, consciemment ou pas, à une campagne orchestrée.

L’intention de cette campagne ne peut être comprise qu’en considérant l’extrême gravité de la situation financière et monétaire internationale. L’oligarchie financière anglo-américaine, incapable de contrôler son propre système, ne peut manifester son pouvoir que sous forme de nuisance, en tentant d’éliminer tout point de résistance. Elle craint le potentiel militaire russe et n’a pas du tout apprécié les velléités de résistance du gouvernement français, notamment le « non » d’Hubert Védrine à Madeleine Albright (à Varsovie, cf. notre numéro précédent). D’où sa réaction, qu’on peut comparer à celle d’un prédateur blessé et irrité.

Le danger majeur de cette attitude est de n’ouvrir à l’adversaire aucune porte de sortie : on le frappe à terre et on le somme de céder. Poutine doit renoncer « à son obsession du statut passé de superpuissance de son pays », à des « rodomontades qui ne sont plus de saison ». Et le gouvernement français doit non seulement interdire de vol le Concorde, « avion pour riche cher et polluant », mais renoncer une bonne fois pour toutes à la « prétention gaullienne » et ne pas en construire de nouveau.

Notre réponse devrait être claire, nette et tranchante.

Tout d’abord, en entreprenant la construction d’une nouvelle génération de supersoniques, comme s’y est engagé Jean-Claude Gayssot, au niveau européen, mais en secouant politiquement nos partenaires et non en attendant plus ou moins passivement leur bon vouloir.

Ensuite, en proposant une grande politique spatiale, d’une part en accélérant le projet Darwin, même si son appellation est malheureuse, (c’est le projet de mise sur orbite autour de Jupiter de plusieurs téléscopes spatiaux permettant de détecter des planètes semblables à notre Terre) et d’autre part, en étendant nos ambitions dans tous les domaines, particulièrement l’exploration de Mars.

Enfin, et surtout, en affirmant clairement à l’oligarchie anglo-américaine que la France n’a plus l’intention de jouer son jeu, par respect à la fois pour l’histoire de la France, de l’Europe, des Etats-Unis et de l’amitié franco-américaine.

Si une prise de position de cette nature, manifestant fortement notre volonté, n’est pas prise, si notre diplomatie ne se trouve pas redéployée par rapport à ce volontarisme retrouvé, la situation internationale continuera à se dégrader et, à force de laisser souffler la tempête de la crise monétaire et financière, l’on aboutira fatalement à provoquer un embrasement à partir des foyers de telle ou telle crise locale - faute de vision, faute de perspective, faute de courage.