Conférence de Paris du 8 et 9 novembre 2025

Helga Zepp-LaRouche : l’approche de la coincidence des opposés, clé d’une paix durable

mercredi 26 novembre 2025, par Helga Zepp-LaRouche

Helga Zepp-LaRouche, lors de son discours d’ouverture à la conférence de Paris.
S&P.

Discours d’ouverture de Helga Zepp-LaRouche, fondatrice et présidente de l’Institut Schiller et initiatrice de la Coalition internationale de la paix, lors de la conférence organisée par S&P et l’Institut Schiller à Paris, les 8 et 9 novembre 2025.

Pour un nouvel ordre mondial fondé sur la coïncidence des opposés

Discours d’ouverture d’Helga Zepp-LaRouche

Je voudrais vous parler d’un nouvel ordre économique mondial fondé sur le principe de la Coincidentia Oppositorum – ou coïncidence des opposés.

Le scandale

Je commencerai par ceci : une institution appelée Société économique de Westphalie et de Lippe, composée d’un jury de personnalités politiques et économiques (dont Sigmar Gabriel, Cem Özdemir, Friedrich Merz et Frank-Walter Steinmeier), a décidé d’attribuer le Prix de la paix de Westphalie 2026 à l’OTAN !

Le motif invoqué est son action continue « en faveur de la paix ». Le prix s’élève à 100 000 €, somme qui doit être partagée avec une organisation de jeunes baptisée socioMovens, chargée de diffuser la culture occidentale auprès des jeunes d’Europe de l’Est. Il s’agit donc d’une de ces ONG typiques qui tentent de fomenter des « révolutions de couleur ». Avec un brin de sarcasme, on pourrait dire que l’OTAN a urgemment besoin d’argent pour se préparer à la guerre, car il est clair qu’elle n’est pas prête.

L’année prochaine, une grande célébration de la Paix de Westphalie est prévue à l’hôtel de ville de Münster. Je ne sais pas si vous vous rendez compte à quel point c’est une perversion et un raisonnement complètement absurde.

C’est pourquoi je propose d’attribuer un Prix George Orwell 2026 à cette Société économique de Westphalie et de Lippe. Nombre d’entre vous connaissent George Orwell. Il a écrit de nombreux livres, dont le plus célèbre est sans doute 1984, qui décrit la novlangue, le double discours médiatique le plus extrême à partir duquel on a forgé le terme de « novlangue » pour désigner le mensonge et la manipulation par le langage. Ainsi, dans 1984, le ministère de la Torture s’appelle ministère de l’Amour, le ministère du Mensonge et de la Propagande s’appelle ministère de la Vérité et celui de la Gestion de la Famine s’appelle ministère de l’Abondance, etc.

L’évidente surenchère à la Goebbels que représente cette approche se manifeste clairement dans les arguments avancés pour justifier l’attribution de ce prix à l’OTAN : il récompense son soutien responsable à l’Ukraine, en coordonnant l’aide conformément au droit international, par solidarité, sans pour autant devenir partie prenante au conflit...

C’est absolument incroyable, car contrairement au discours officiel de l’OTAN, qui exige qu’on ne parle de l’Ukraine qu’en commençant par dénoncer la « guerre d’agression illégitime et non provoquée » lancée par la Russie, il s’agit là d’un exemple flagrant de cette duplicité que nous ne devons plus tolérer. Quiconque a une mémoire historique se souvient des promesses faites lors de la réunification allemande et à la fin de la Guerre froide, lorsque le secrétaire d’État James Baker et Hans Friedrich Genscher assuraient à Gorbatchev et Chevardnadze que l’OTAN ne s’étendrait « pas d’un pouce » vers l’Est. S’ensuivirent cinq extensions de l’OTAN vers l’Est, six avec l’adhésion de la Suède et de la Finlande, sans que l’opinion publique n’ait été consultée. L’OTAN s’est étendue aujourd’hui de plus de 1000 kilomètres vers l’Est. Nous sommes donc face à une crise des missiles de Cuba à l’envers.

Si vous avez suivi les événements des dernières décennies, l’Alliance a également servi d’instrument pour établir une domination mondiale unipolaire fondée sur la relation privilégiée anglo-américaine. Sous l’égide de l’OTAN, on a assisté à des changements de régime, des révolutions de couleur, des guerres d’intervention en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie, et bien d’autres choses encore.

D’ici à la remise du prix l’année prochaine, il ne fait aucun doute que la guerre en Ukraine sera perdue, car elle l’est déjà. Si l’on veut éviter une escalade menant à une guerre nucléaire mondiale, il est impératif de rejeter toute forme de langue de bois et d’opérer un changement radical d’approche de la politique internationale en Occident. Il faut abandonner la politique visant à infliger une défaite stratégique à la Russie, car c’est tout simplement impossible. La Russie est déjà la première puissance nucléaire mondiale. Grâce à ses armes les plus récentes, Orechnik, Burevestnik et Poséidon, elle a acquis une supériorité technologique et militaire indéniable, qui fait qu’elle ne peut être vaincue. Ce qui pourrait arriver, en revanche, c’est l’anéantissement de l’humanité tout entière.

Si l’on considère la situation en Asie du Sud-Ouest, en dépit du cessez-le-feu censé être entré en vigueur le 11 octobre, plus de 200 personnes ont été tuées et plus de 600 blessées. En une seule nuit, plus d’une centaine de personnes ont péri, dont 46 enfants. Au total, 10 % de la population palestinienne a déjà été anéantie.

Le prochain chapitre – une guerre non provoquée contre le Venezuela – est sur le point de s’ouvrir. Selon un nouveau mémorandum de l’association Veteran Intelligence Professionals for Sanity (VIPS), ce conflit pourrait engendrer des effusions de sang de gravité variable et potentiellement une révolte générale de l’Amérique latine contre les États-Unis. Dans le pire des cas, on pourrait assister à un enlisement avec la Russie et la Chine. Sans parler de la guerre imminente avec la Chine, dont les bellicistes rêvent depuis longtemps.

Alors, si l’on prenait du recul et considérait le monde comme si on l’observait depuis la Station spatiale internationale, ou d’un point de vue encore plus élevé, au-delà de l’espace et du temps, quelle image de l’humanité aurions-nous ? Bien sûr, nous ne sommes pas une espèce de sales gamins incultes et méchants – tous les enfants ne sont pas méchants, certes, mais j’en ai déjà vu certains qui étaient assez forts pour donner des coups de pied. Sommes-nous une nation ou un continent de gamins méchants qui, après avoir joué au Pokémon et à des jeux vidéo violents, s’amusent avec des missiles nucléaires jusqu’à l’extinction de l’humanité ? Ou bien sommes-nous une espèce créative, dotée de raison ? La grande question qui se pose à toute l’humanité est la suivante : pouvons-nous instaurer un ordre international garantissant une paix durable et un développement harmonieux de toutes les nations et civilisations de la Terre ? Car c’est précisément ce dont nous avons besoin.

Nous avons véritablement besoin, de manière très réaliste et pragmatique, d’une nouvelle architecture mondiale de sécurité et de développement, qui prenne en compte les intérêts de sécurité et de développement de chaque pays de la planète.

La vraie paix de Westphalie

Il existe un précédent décisif à cet égard. Jacques Cheminade y a fait référence ce matin : la paix de Westphalie. En 1648, elle mit fin à 150 ans de guerres de Religion en Europe et marqua le début de l’établissement du droit international, le droit des peuples. Le principe fondamental qui en est issu est que toute paix exige la prise en compte systématique des intérêts de l’autre. Que, pour faire la paix, il faut remplacer la haine par l’amour, qu’il faut pardonner et oublier tous les crimes commis par l’une des parties envers l’autre et réciproquement. Elle a établi à l’évidence le principe de paix indivisible. Or, tous ces principes ont été bafoués par l’OTAN.

La paix de Westphalie a également établi le principe de souveraineté et de non-ingérence, selon lequel chaque État possède une souveraineté exclusive sur son territoire et ses affaires intérieures. L’OTAN l’a clairement violé, sinon en paroles, du moins en principe, si l’on se souvient des propos de Victoria Nuland, se vantant que le département d’État américain avait dépensé à lui seul 5 milliards de dollars pour les ONG en Ukraine, ce qui constituait la réparation de la Révolution orange puis du Maïdan.

Le traité de Westphalie a également établi le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays. Pendant vingt ans, en Afghanistan, l’OTAN a tenté d’imposer ses valeurs occidentales. Vous vous souvenez tous du résultat : des gens suspendus aux avions en partance de Kaboul. L’OTAN est indissociable du principe des guerres interventionnistes : le droit de protéger, c’est bafouer le traité de Westphalie. Connaître cette histoire révèle l’intelligence des citoyens européens et autres, qui ont jugé bon de décerner le prix Nobel de la paix à l’OTAN.

Le traité de Westphalie a également généralisé le principe cujus regio, ejus religio, qui signifie que, quel que soit le pays où l’on se trouve, chacun a le droit de pratiquer sa religion. Il garantissait aux chrétiens, par exemple, le droit de pratiquer leurs rites aux heures prévues. Récemment, ce droit a été bafoué par la diabolisation de l’islam et de l’Église orthodoxe russe.

Le traité de Westphalie a également établi que tous les États, indépendamment de leur taille ou de leur puissance, sont égaux devant le droit international. Il a instauré un système d’États coexistants et a érigé en principe la diplomatie, et non la guerre, pour résoudre les conflits. Il a mis fin à la guerre. Il a redéfini les frontières territoriales en Europe, supprimé les barrières commerciales de temps de guerre, garanti une certaine liberté de navigation sur le Rhin et créé un nouvel ordre politique fondé sur la souveraineté des États. Mais surtout, il a consacré la diplomatie comme mode de résolution des conflits. Rien dans les actions menées par l’OTAN ne reflète l’esprit du traité de Westphalie.

Les différents belligérants se sont alors unis, conscients que si la guerre se poursuivait, il ne resterait plus personne pour profiter de la victoire, étant donné que déjà un tiers de la population, du bétail et des villages avaient été anéantis. C’est plus vrai que jamais aujourd’hui : si la guerre continue, personne ne profitera de la victoire, car personne ne survivrait à une guerre nucléaire mondiale.

Récemment, le think-tank américain RAND Corporation a revu son estimation initiale en affirmant qu’il faudrait entrer plus tôt en guerre contre la Chine. Face à son ascension fulgurante, il était prévisible que plus on attendrait, plus elle prendrait l’avantage. Cette approche a donc été remplacée par ce qu’ils appellent une « rivalité contrôlée », car ils reconnaissent manifestement que le conflit est irrémédiablement engagé et que les États-Unis ne peuvent plus gagner une guerre contre la Chine. Or, l’étude conclut qu’aucune coexistence pacifique n’est possible, car les deux pays n’ont aucun intérêt commun. Il s’agit là d’une hypothèse fondamentale qu’il nous faut remettre en question. Car si l’humanité ne parvient pas à dépasser cette idée que deux pays n’aient aucun intérêt commun, qu’il n’existe rien qui puisse les unir, alors la troisième guerre mondiale est inévitable.

Lorsque le Pape évoque Nicolas de Cues

Le cardinal-philosophe, mathématicien et juriste allemand Nicolas de Cues (1401-1464).

C’est pourquoi nous accordons une si grande importance à l’intervention du pape Léon XIV, lorsqu’il a évoqué, dans son récent discours jubilaire du 25 octobre, le nom de Nicolas de Cues et l’idée de la coïncidence des opposés. Je cite Léon XIV :

« Au cours d’une autre époque troublée, le XVe siècle, l’Église comptait un cardinal encore peu connu aujourd’hui. C’était un grand penseur et un artisan de l’unité. Il s’appelait Nicolas, il était originaire de Kues en Allemagne et il est connu sous le nom de Nicolas de Cues.

« Nombre de ses contemporains vivaient dans la peur ; d’autres prirent les armes et préparèrent de nouvelles croisades. Nicolas, cependant, choisit dès son plus jeune âge de fréquenter ceux qui gardaient espoir. Avec eux, il développa de nouvelles disciplines, relut les classiques et retourna aux sources. Il croyait en l’humanité. Il comprenait qu’il existe des contraires qui doivent coexister ; que Dieu est un mystère et que ce qui est en tension trouve l’unité. Nicolas savait qu’il ne savait pas, et c’est ainsi qu’il parvint à comprendre la réalité toujours plus profondément. »

Pour ceux qui connaissent l’histoire de l’Église, il s’agit d’une affirmation absolument révolutionnaire, car l’Église catholique est divisée en deux traditions. D’une part, la tradition textualiste : ceux qui affirment que seule la Bible permet de comprendre Jésus-Christ et le christianisme. D’autre part, la tradition augustinienne, qui considère qu’il n’y a pas de contradiction entre la foi et la science. Je soutiens que tous les progrès de l’histoire européenne, en science comme en art, sont dus à l’influence de cette seconde tradition. La première, au contraire, a constitué un obstacle, ce sont ceux qui nous ont entraînés dans les croisades, les guerres de Religion et les pages les plus sombres de l’humanité.

Nicolas de Cues, malgré son rôle fondamental dans la Renaissance italienne, fut pratiquement marginalisé après le Concile de Trente. Certains connaissaient ses livres (on en trouvait quelques exemplaires dans certains monastères), mais cela restait confidentiel.

Au début des années 1990, je suis allée au Brésil, à Annapolis, dans le sud-ouest du pays. J’y ai rencontré un ordre dominicain. Nous avons eu une longue réunion consacrée à Cues, car ils savaient que j’en étais une fervente adepte. Ils avaient apporté des livres de lui et affirmaient, « c’est une hérésie ! Il n’a pas sa place dans l’Église ». Durant cette discussion qui a duré plusieurs heures, ils ont tout fait pour me convaincre de renoncer à cette hérésie. Évidemment, ils n’y sont pas parvenus.

Mais que le Pape prenne cette position confirme non seulement ce que je vais dire maintenant, mais remet aussi en cause l’intégrité interne de l’Église, car celle-ci a toujours considéré tous les papes et cardinaux comme un seul et même groupe. Pour elle, c’est l’histoire de l’Église. Or, en déclarant que « d’autres ont pris les armes et préparé de nouvelles croisades », Léon XIV prend clairement position contre ceux qui furent à l’origine des croisades.

Sa longue référence à Nicolas de Cues, que je n’ai citée que brièvement, est donc d’une importance stratégique capitale, car elle propose une méthode de pensée qui rend possible de résoudre des problèmes apparemment insolubles. Il introduit une approche radicalement différente. Pour comprendre cette méthode, il faut commencer par rejeter complétement la pensée aristotélicienne fondée sur les contradictions et les oppositions. Par exemple, l’affirmation que A ne peut jamais être non-A, qui est l’un des énoncés les plus importants de la logique traditionnelle et qu’ils considèrent comme un principe ontologique.

Aristote écrit dans sa Métaphysique :

« Mais le principe le plus certain de tous, celui où l’erreur est absolument impossible (…), nous allons l’énoncer ; car il est impossible que le même appartienne et n’appartienne pas à la même chose en même temps et sous le même aspect (…) Or, nous avons admis qu’il est impossible que quelque chose soit et en même temps ne soit pas. »

Voilà, en résumé, le credo de l’école logique.

Nicolas développa un principe différent dans son ouvrage De Docta Ignorantia. Mais ce n’est que quelques années plus tard qu’il découvrit que l’un des plus éminents scolastiques aristotéliciens allemands de son temps, Johannes Wenck, avait attaqué son concept, le qualifiant d’hérésie dans une contre-attaque intitulée De Ignota Litteratura. Nicolas y répondit dans un court texte intitulé Apologia Doctae Ignorantiae. Si vous souhaitez vous plonger dans ce sujet complexe (d’autant plus que l’ouvrage est rédigé dans la langue du XVe siècle), vous pouvez naturellement commencer par cette Apologia, qui vous place au cœur même de la controverse.

Nicolas y affirme que malheureusement, la secte aristotélicienne, qui dominait l’Église à l’époque (comme Philon [d’Alexandrie] l’avait déjà souligné), ne parvient pas à penser à un niveau supérieur à celui de la ratio, la pensée rationnelle des animaux. Car tout animal est capable de penser et de tirer des conclusions ; ce n’est pas là un exploit remarquable. Ce serait donc presque un miracle si cette secte aristotélicienne abandonnait Aristote et parvenait à penser à un niveau supérieur.

Contrairement à la méthode aristotélicienne, qui s’enlise dans la lutte des contradictions, la théorie de la coïncidence offre une perspective d’observation directe, comme si l’on regardait les événements du haut d’une tour élevée. De là-haut, on peut voir le chercheur (celui qui cherche), l’objet de sa recherche et le processus de recherche lui-même. Autrement dit, on bénéficie d’une vision dynamique radicalement différente de la situation.

Nicolas a également développé la notion de prescience, c’est-à-dire la capacité d’anticiper ce que l’on cherche. Sans cette prescience, on parvient à un résultat sans savoir s’il correspond à ce que l’on cherchait. C’est le sort de ceux qui passent leurs journées à naviguer sur internet : ils trouvent des tas de choses, mais ils ignorent si elles correspondent à ce qu’ils cherchent, faute de critères permettant d’évaluer la méthode employée.

Dans un autre ouvrage intitulé De Visione Dei, un magnifique texte adressé aux moines du Tegernsee (un lac de Bavière), il s’efforce de décrire comment prendre conscience de ce principe. Il utilise un tableau autour duquel les moines se tiennent en demi-cercle. En passant de l’un à l’autre, chacun a le sentiment que l’image du Christ le regarde directement.

C’est une manière d’introduire, par une image pédagogique, le chemin menant au « mur des contradictions », où, en dernière étape, il faut franchir mentalement un obstacle, car on ne peut surmonter ce mur des contradictions qu’après une transformation radicale de sa perspective.

Cues appliqua cette méthode pour résoudre un problème que tous les penseurs précédents n’étaient pas parvenus à résoudre : la quadrature du cercle. Il rejeta l’hypothèse erronée d’Archimède, qui avait utilisé la méthode de l’épuisement. Ce dernier ajoutait sans cesse des angles à un polygone, à l’intérieur et à l’extérieur de la circonférence du cercle, affirmant qu’on finirait par aboutir à la commensurabilité des deux formes géométriques : le polygone à plusieurs côtés et le cercle ne feraient plus qu’un. Cues réfuta cette idée et insista sur le fait que plus on ajoute d’angles au polygone, plus on s’éloigne du cercle, car les deux sont incommensurables.

Nicolas a également développé ce que le professeur Haubst, l’un des fondateurs de la Société Cusanus, a mis en lumière. C’est à ce professeur que revient la plus grande part du mérite d’avoir contribué à la renaissance de Nicolas de Cues, car il savait où se trouvaient les différents écrits de Cues. Il disait à ses étudiants : « Allez dans tel musée ou telle bibliothèque britannique, et vous y trouverez ce que vous cherchez. » Généralement, il n’avait pas tort. Il a donc joué un rôle déterminant dans la redécouverte des sermons et autres écrits de Cues, et a même suscité un véritable engouement international au sein de la communauté intellectuelle et universitaire. Nicolas a développé ce que le professeur Haubst a appelé la « loi biogénique de l’évolution ». Il s’agit de l’idée que, dans la hiérarchie des espèces, aucune espèce n’atteint son plein potentiel si elle ne participe pas, au moins à un stade, au développement de l’espèce immédiatement supérieure. Ce processus ne s’effectue pas du bas vers le haut, mais inversement, du plus élevé au plus bas.

En Dieu, l’Un, toutes les causes substantielles contradictoires existent dans une connectivité fondamentale avant de se séparer en différenciations. L’homme atteint sa totale plénitude en participant à la création divine par sa force créatrice (vis creativa). Ainsi, l’homme n’est pleinement homme que s’il participe à la créativité de Dieu et devient en quelque sorte un second Dieu. L’animal ne développe son plein potentiel qu’en participant à l’homme. Tout le monde le sait, de par la différence entre un animal domestique et un animal sauvage.

Ainsi, la méthode de pensée de la « Coïncidence des opposés » permet d’appréhender « l’Humanité Une » dans toute sa complexité et son évolution, non pas de manière statique, mais en considérant le développement continu comme une réalité ontologique première. Dès lors, la résolution des conflits ne repose pas sur la méthode aristotélicienne de la contradiction, où l’on recherche un compromis fondé sur le plus petit dénominateur commun ou une équation arithmétique. On découvre plutôt ce principe inhérent, émanant d’une unité supérieure, qui élève chacun et oriente toutes les parties en conflit vers l’intérêt commun et la finalité partagée.

Cette unité n’est pas l’uniformité, mais au contraire une coopération mutuellement bénéfique entre États souverains qui respectent les différents systèmes sociaux et œuvrent ensemble comme dans une fugue contrapuntique, où l’achèvement de chaque composante interagit avec la suivante et l’optimise, et où l’énergie du système, pour ainsi dire, s’accroît pour tous les participants.

L’harmonie à l’échelle macrocosmique – la paix sur Terre – ne peut exister que si tous les microcosmes, toutes les nations, développent pleinement leur potentiel et considèrent qu’il est dans leur intérêt de soutenir le développement de tous les autres microcosmes, et réciproquement. Plus cela se produit, plus les degrés de liberté se multiplient, plus la composition de l’humanité s’enrichit.

La vision anti-aristotélicienne des BRICS

Le principe de la coïncidence des opposés est-il une simple théorie ? Non, il s’agit en réalité de la vision philosophique qui sous-tend les politiques des dirigeants de la Majorité mondiale cherchant à établir un nouveau système économique et politique.

Le président Xi Jinping a développé l’idée d’un destin partagé pour l’humanité, d’une humanité unie. Il a également lancé quatre initiatives :

  • l’Initiative pour la sécurité mondiale,
  • l’Initiative pour le développement mondial,
  • l’Initiative pour la civilisation mondiale et
  • l’Initiative pour la gouvernance mondiale.

Cette dernière, l’Initiative pour la gouvernance mondiale, est une élaboration concrète et remarquable des principes de la paix de Westphalie. Elle définit précisément les relations entre les nations : peu importe leur taille, chacune a une voix égale. Nul ne peut être écarté par la seule force d’un autre, et la non-ingérence doit être respectée, même pour les plus petits pays. C’est un concept très élaboré.

Mais le président Poutine a également plaidé pour une nouvelle architecture de sécurité eurasienne, où les nations coopéreraient comme des instruments de musique dans une symphonie. Lors de son discours à la récente réunion annuelle du Club Valdaï, un forum d’intellectuels, il a déclaré :

« Le monde d’aujourd’hui est un système exceptionnellement complexe et multiforme. Pour le décrire et le comprendre correctement, les lois simples de la logique, les relations de cause à effet et les schémas qui en découlent sont insuffisants. Ce qu’il faut, c’est une philosophie de la complexité – quelque chose qui s’apparente à la mécanique quantique, plus sage et, à certains égards, plus complexe que la physique classique. »

Nous avons donc là deux dirigeants de grands pays du Sud qui rejettent clairement la méthode aristotélicienne.

Partons donc de cette conception de Nicolas de Cues, de la coïncidence des opposés, pour orienter nos politiques envers toutes les nations du monde. Cela signifie que nous devons prendre l’engagement solennel d’amener les pays d’Europe et les États-Unis à coopérer avec les BRICS, l’OCS, l’ASEAN, la CELAC, l’Union économique eurasiatique, l’Union africaine, l’OCI, le Conseil de coopération du Golfe et autres organisations similaires, afin d’unir nos efforts pour l’industrialisation de l’Afrique.

L’Afrique comptera 2,5 milliards d’habitants d’ici 2050, soit un milliard de plus qu’aujourd’hui. C’est le seul continent en croissance démographique, tous les autres stagnent. Cela signifie que nous devons créer un milliard d’emplois productifs au cours des 25 prochaines années.

Les grands projets pour l’Afrique

Le GERD (Grand Barrage de la Renaissance éthiopienne) en est un excellent exemple. Construit en seulement cinq ans grâce à la coopération d’entreprises chinoises, éthiopiennes, italiennes et françaises, il a coûté 5 milliards de dollars, financés par l’émission d’obligations entièrement souscrites par des citoyens éthiopiens. Ces 5 milliards de dollars seront amortis en cinq ans (soit un milliard de dollars par an). Au bout de ce temps, le barrage sera rentable. L’Éthiopie commence d’ailleurs déjà à exporter de l’électricité vers ses pays voisins après avoir couvert ses propres besoins.

Il s’agit d’un exemple tout à fait réalisable, reproductible avec le barrage d’Inga au Congo. Le projet Transaqua prélèverait 3 à 5 % des eaux du fleuve Congo, à 500 mètres d’altitude, et les acheminerait par un réseau de canaux et de rivières jusqu’au lac Tchad. Il permettrait d’industrialiser douze pays riverains et d’irriguer la zone sahélienne, rendant ainsi l’agriculture possible et contribuant à stabiliser la région.

Il est évident que ce projet doit être relié au tunnel du détroit de Béring, dont la construction est envisageable. Les travaux pourraient même débuter d’ici quelques semaines, car il a été abordé lors des discussions entre les États-Unis et la Russie, notamment entre Trump et Poutine.

Cela permettrait d’établir une liaison ferroviaire entre les Amériques et l’Asie, et de voyager rapidement en train à grande vitesse depuis l’extrême sud du Chili et de l’Argentine jusqu’en Espagne, en passant par l’Amérique latine, l’Amérique centrale, l’Amérique du Nord, le Canada, l’Alaska, l’Eurasie et Gibraltar (via le futur tunnel sous le détroit de Gibraltar), puis jusqu’au cap de Bonne-Espérance. Ainsi, il serait possible de faire le tour du monde en quelques jours. D’autres liaisons permettraient naturellement de relier la Chine, l’Iran, l’Inde, l’Asie du Sud-Est aux Philippines, grâce à des ferries et d’autres moyens de transport. L’idée d’un réseau d’infrastructures international permettant de voyager en quelques jours et reliant l’humanité entière transformera radicalement les mentalités.

Car les infrastructures ont un impact considérable sur les mentalités, l’histoire l’a prouvé à maintes reprises. C’était l’une des idées clés de Krafft Ehricke, le célèbre ingénieur aérospatial allemand, à l’origine du concept d’impératif extraterrestre. Il affirmait que l’identité des individus se transformerait radicalement après un voyage spatial commun, car leurs relations seraient différentes. On le constate déjà avec les astronautes de l’ISS, qui ne pensent jamais : « Celui-ci est un Russe ; celui-ci est un Américain », mais plutôt : « Nous sommes ces astronautes qui considèrent la Terre comme une minuscule planète bleue et fragile, dans un univers immense composé de milliards et de milliards de galaxies. » Imaginez un instant des milliards de galaxies, et vous comprendrez pourquoi nous devons changer radicalement de perspective et lever les yeux vers les étoiles.

Nous sommes l’espèce créatrice

Nous sommes l’espèce créatrice et, par conséquent, nous pouvons inaugurer une nouvelle ère pour l’humanité. Plutôt que de décerner le prix westphalien à l’OTAN, œuvrons sérieusement à la construction d’une nouvelle architecture de sécurité et de développement et dissolvons l’OTAN. Suivons le conseil de Léon XIV, qui disait lui aussi que la particularité de Nicolas de Kües résidait dans sa relecture des Classiques, ce qu’il fit en effet. À l’instar de tous les humanistes de son temps et de tous les temps, il affirmait que pour trouver la vérité, il ne fallait pas se fier aux notes de bas de page des professeurs, mais retourner à Platon, à Augustin, aux sources mêmes. Car c’est là le meilleur remède contre le ministère de la Vérité. Cela nous apprend à penser par nous-mêmes, à trouver la vérité et à nous immuniser contre de telles tentatives de manipulation.

Alors, lançons-nous dans cette tâche avec joie et optimisme !