Hans von Sponeck : les défis stratégiques et le nouvel ordre émergent

mercredi 22 octobre 2025

Hans von Sponeck.
capture d’écran.
Intervention du professeur Hans von Sponeck, Ancien sous-secrétaire général des Nations unies (à la retraite), lors de la

conférence internationale organisée le 12 et 13 juillet 2025 à Berlin par :

  • l’Institut Schiller,
  • l’Académie géopolitique de Paris et
  • l’Ostdeutsches Kuratorium von Verbänden (Conseil d’administration des Associations d’Allemagne de l’Est) de Berlin.

Nous vivons une époque où règne peut-être le plus grand fossé géopolitique en matière de création d’un ordre mondial humain et digne. Le rêve de Yalta en 1945, qui consistait à mettre fin aux guerres et à remplacer l’agression bilatérale par une coopération multilatérale, fut de courte durée. Il a été remplacé par un cauchemar de peur, d’incertitude et de conflit qui perdure encore aujourd’hui. De ce rêve, il ne reste que la Charte des Nations unies, avec son éthique intemporelle et sa vision profonde pour les 8 milliards de citoyens de notre planète.

Les nombreuses guerres internationales et conflits nationaux survenus dans le monde entier depuis la création de l’ONU témoignent qu’en tant qu’organe législatif, l’ONU politique, en particulier son Conseil de sécurité, est restée largement incapable de remplir son mandat de paix.

L’une des principales raisons en est que, poursuivant leurs intérêts géopolitiques mondiaux par une politique étrangère unilatérale, les États-Unis ont utilisé leur puissance militaire et économique, tant au sein des Nations unies qu’en dehors, à leur guise et en violation des principes de l’État de droit et du multilatéralisme. Ce comportement constitue la seule explication plausible des turbulences dans les relations internationales et des performances souvent décevantes des Nations unies.

Que cela soit accepté comme un fait sérieux et non comme une déclaration idéologique.

Le chantier multilatéral d’un nouvel ordre mondial pacifique et juste est véritablement colossal. Il porte sur :

  • l’ajustement géographique d’un Conseil de sécurité devenu non représentatif, et une réforme de l’application du droit de veto ;
  • la coopération entre l’Assemblée générale, représentant la majorité des États, et le Conseil de sécurité, représentant la minorité ;
  • l’autorité insuffisante de l’Assemblée générale, organe principal du Conseil de sécurité ;
  • l’indépendance du travail du Secrétaire général et des institutions spécialisées et leur protection contre les ingérences bilatérales ;
  • le financement de l’ONU. Là encore, il s’agit de la protection contre les contrôles et contributions bilatéraux, qui ne sont possibles que s’ils tiennent compte des intérêts des donateurs.

J’aimerais ajouter que l’ONU est « bon marché ». Le budget annuel du secrétaire général de l’ONU pour 2025 s’élève à 3,7 milliards de dollars, soit 0,46 dollar par citoyen du monde.

Quant à la Cour internationale de justice de La Haye, elle a besoin d’un pouvoir de décision qu’elle ne possède pas actuellement.

En bref, il s’agit de démocratiser l’ensemble du système des Nations unies et d’obliger les États membres à respecter le droit international, avec les conséquences qu’entraîne leur non-respect.

Il ne faut pas oublier qu’il s’agit aussi d’un nouvel ordre économique international plus juste, réclamé depuis longtemps par le monde non occidental mais toujours rejeté par les pays de l’OCDE.

Selon la Charte des Nations unies, ce catalogue de défis aurait dû être discuté par l’Assemblée générale dès 1955. Avec 70 ans de retard, le « Pacte pour l’avenir » a finalement été adopté en septembre dernier, lors d’un sommet spécial de l’Assemblée générale.

La situation géopolitique actuelle laisse présager que la route vers un nouvel ordre mondial et la création d’une ONU réformée, répondant aux besoins de l’humanité, de tous les peuples, où qu’ils vivent, sera peut-être longue. Ce sera également une route périlleuse, parsemée d’obstacles, de nids-de-poule et de mines terrestres.

Il est encourageant de constater que l’Assemblée générale des Nations unies semble néanmoins déterminée à suivre cette voie. Une majorité d’États et d’organisations non gouvernementales ne sont tout simplement plus disposés à accepter un monde centré sur l’Occident.

Une précieuse boîte à outils internationale est prête et attend, contenant presque tout le nécessaire pour une transformation globale. Elle dispose d’une longue expérience dans tous les domaines du savoir humain, au sein de l’ONU et de ses agences spécialisées, ainsi que d’autres institutions multilatérales et nationales qui ont participé à la mise en place d’institutions pour un développement renouvelable, pacifique, inclusif et juste (Point 13 de la réforme du Pacte des Nations unies), ou ont travaillé sur la réforme des structures financières internationales (Points 47 et 48). On y trouve également des scientifiques spécialistes du changement climatique (Point 9) et des experts des traditions et des savoirs locaux.

La Charte des Nations unies, les deux pactes relatifs aux droits politiques, civils, économiques, sociaux et culturels, ainsi que d’autres instruments du droit international, constituent de précieux guides pour l’avenir. L’expertise, l’expérience professionnelle et les institutions compétentes ne manquent pas.

Il existe cependant un élément crucial sans lequel ni un nouvel ordre mondial ni une ONU réformée ne peuvent émerger : la volonté politique des grandes puissances de s’engager unanimement en faveur d’un futur multilatéralisme.

A court terme, nul ne peut s’attendre à voir l’égoïsme bilatéral changer radicalement en un esprit public multilatéral. L’état actuel de discorde mondiale rend difficile la croyance en l’utopie de la paix.

Néanmoins, la clé de la réforme a été forgée par le pacte de l’ONU. Les dangers apocalyptiques qui guettent le monde – changement climatique, armes nucléaires, pandémies, intelligence artificielle, crises, persécutions et migrations liées à la pauvreté – sont des défis mondiaux qui touchent les 193 États membres de l’ONU sans exception.

La Chine, les États-Unis, la Russie, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Australie, l’Iran, Israël et l’Europe devraient accepter ces défis, non seulement pour des raisons géopolitiques pragmatiques, mais surtout pour des raisons humanitaires. C’est là une occasion unique de créer une communauté de survie dotée du noble objectif de se rapprocher de la paix mondiale. Grâce à la coopération, on pourra développer l’esprit d’équipe multilatéral nécessaire à la construction d’une alliance de nations unies : les Nations unies.

« Créer quelque chose de nouveau, c’est vaincre des résistances. Résister, c’est créer quelque chose de nouveau ! »

N’oublions pas le grand Français, Stéphane Hessel !