Rabelais et l’art de la guerre

samedi 15 décembre 2007, par Christine Bierre

[sommaire]

Pierre Breugel, Le triomphe de la mort (détail)

Cet article de Christine Bierre fut publié dans le journal Nouvelle Solidarité N° 22 du 20 décembre 2002, c’est-à-dire plus de trois mois avant le début de la guerre contre l’Irak.

Lorsque le mur de Berlin est tombé en 1989 et que le communisme s’est effondré, beaucoup ont pensé, soulagés, qu’enfin une ère de paix allait s’ouvrir dans le monde et que le type de tension qu’on avait connu pendant la guerre froide, avec la terrible menace de guerre nucléaire qui pesait sur la tête de chaque citoyen, était finie à tout jamais. Ce fut un faux espoir. Paradoxalement, on n’a jamais eu autant de guerres que depuis la chute du mur. Pas moins de quatre guerres majeures impliquant presque toutes les grandes puissances en moins de treize ans : la guerre du Golfe, celle des Balkans, celle du Kosovo et celle d’Afghanistan. Les attentats du 11 septembre 2001 ont aggravé encore cette situation, fournissant aux Etats Unis le prétexte pour déclarer une « guerre perpétuelle » contre les réseaux terroristes d’Al-Qaïda, et contre toutes les nations soupçonnées de les protéger ou de se livrer à la production d’armes de destruction massive.

Après l’Afghanistan, nous voici maintenant au bord d’une nouvelle guerre contre l’Irak, dont les conséquences seraient bien plus atroces que celles de toutes les précédentes. Car cette guerre, totalement illégitime, n’est qu’un des éléments d’un conflit total lancé par les Anglo-Américains contre tout un peuple ; contre la civilisation musulmane. Pour les faucons de l’Administration Bush, ce conflit n’est que le point de départ d’une redistribution de cartes totale dans l’ensemble du Proche-Orient, dont l’objectif est d’établir un axe fort Etats-Unis/Israël imposant sa loi à un Irak occupé, à une Egypte affaiblie, à un Iran qui pourrait être la prochaine cible dans leur ligne de mire, à une Arabie Saoudite dépouillée de sa région pétrolière. L’un des objectifs de cette stratégie est, bien sûr, d’aboutir à un nouveau partage de ressources pétrolières de la région en faveur des Etats-Unis et de ses alliés.

Une telle politique provoquera l’embrasement de toute la région, une situation comparable aux guerres de religions qui ont ravagé l’Europe au XVIIème siècle, c’est-à-dire, la mort de centaines de milliers d’hommes et l’implosion de beaucoup de nations telles que nous les connaissons aujourd’hui.

Quelles sont les raisons de toutes ces guerres ? Qu’est-ce qui ne va pas avec le monde ? Comment lutter contre ce phénomène ? Voilà les questions auxquelles je vais tenter de répondre dans cette présentation. A l’origine, il y a, du côté anglo-américain, des hommes assez dégénérés et décadents. A la fin du communisme, plutôt que d’adopter immédiatement une politique de paix basée sur la reconstruction de tous ces pays qui se tournaient désormais vers l’Occident, pleins d’illusions, ils ont décidé, au contraire, de profiter de l’absence d’ennemis pour bâtir un empire, suivant le modèle de l’Empire romain.

C’est cette stratégie, développée par un petit groupe d’hommes qui sont aujourd’hui au pouvoir aux Etats-Unis, que nous avons vu s’élaborer à travers le monde depuis 1989.

Les 17 et 19 septembre derniers, la Maison Blanche a rendu publics deux documents - 1) la « Stratégie pour la sécurité nationale » des Etats-Unis, et 2) la déclaration de guerre contre l’Irak, votée depuis par le Congrès - dans lesquels elle a exposé sa nouvelle doctrine militaire, prétendant que ces changements de doctrine avaient été imposés par les attentats du 11 septembre. [1]

Les orientations militaires adoptées depuis le 11 septembre 2001, ainsi que les changements de doctrine annoncées dans ces documents, sont extrêmement dangereux. L’idée de « guerre perpétuelle » est, en soi, un concept totalement impérial, car en principe, une nation fait la guerre uniquement lorsqu’elle ne peut pas l’éviter et elle la fait de la façon la plus rapide, de façon à pouvoir rétablir rapidement la paix. Dans ces documents rendus publics en septembre 2002, les Américains s’arrogent aussi le droit de mener des attaques militaires « préventives », non à titre de légitime défense contre des pays qui auraient déjà mis le pistolet chargé contre la tempe de l’Amérique, mais contre des pays qui, en se développant, pourraient concurrencer les Etats-Unis ou constituer une menace potentielle contre eux.

Mais tous ces plans de « guerre préventive », de guerre contre l’Irak et de réorganisation du Proche Orient, n’ont rien à voir avec les attentats du 11 septembre ; ils remontent à 1990 et ont été élaborés par des proches collaborateurs de Dick Cheney, l’actuel vice-président américain. A la chute du mur de Berlin, Cheney, qui était alors secrétaire d’Etat à la défense, avait créé un commission militaire chargée de réfléchir aux politiques de défense de la période post-communiste. C’est là que beaucoup de ses proches collaborateurs, notamment Paul Wolfowitz, actuel numéro deux du ministère de la Défense, et Lewis Libby, son propre chef de cabinet, ont élaboré tous ces prétendus « nouveaux » concepts militaires.

Parmi les autres « innovations » que ces hommes ont introduites dans l’art de la guerre aux Etats-Unis ces dernières années, et qui sont importantes à mentionner dans le contexte de cet article, il y a aussi le concept tout à fait étrange qui prétend que, grâce aux grands progrès technologiques, on pourrait mener des guerres dans lesquelles il y aurait zéro mort côté américain. Ces guerres seraient menées de loin, grâce à des armes miracles - des satellites très performants, une puissance aérienne écrasante et des systèmes de guidage de missiles électroniques hyperpuissants - qui rendraient inutiles les engagements physiques de troupes, les combats d’infanterie qui ont toujours caractérisé les guerres dans le passé. Ce concept est appelé « Révolution des affaires militaires ».

A l’époque de Rabelais, on considérait comme des couards tous ceux qui croyaient pouvoir échapper aux combats de corps à corps grâce à l’artillerie naissante. Aujourd’hui aussi hélas, les militaires américains compétents n’ont pas hésité à traiter les « faucons » de l’administration américaine - ceux qui poussent rageusement à la guerre - de poules mouillées (chickenhawks), car c’est un groupe d’anciens réformés reconvertis dans la droite extrême, n’ayant jamais fait la guerre !

Dans ce contexte extrêmement dangereux pour la civilisation humaine, où la guerre devient une constante de tous les jours, la meilleure façon pour nous de comprendre ce phénomène des empires - pour mieux les combattre - c’est de se plonger dans l’histoire pour voir comment ces mêmes phénomènes se sont développés dans le passé. Ces exemples historiques nous permettront de voir à quel point le monde a peu changé ; à quel point les combats qui déstabilisent l’espèce humaine, et les solutions qui s’imposent, sont toujours du même type.

C’est aussi informé par ces exemples historiques, en fonction d’une connaissance qui remonte au tout début de l’histoire de l’humanité, que Lyndon LaRouche, le fondateur de notre mouvement, s’oppose à la guerre contre l’Irak ou aux conceptions militaires des « faucons » du gouvernement américain. Ce sont des éléments de cette science de l’art de la guerre que je voudrais transmettre aujourd’hui.

Pourquoi François Rabelais ?

N’était-ce pas un littéraire, un humaniste ? Pour tout ce qui est des empires et tout ce que le politique doit savoir concernant le problème de la guerre - la guerre est-elle toujours mauvaise ? Qu’est-ce qui peut la justifier ? Dans quelles conditions doit-on faire la guerre si l’on ne peut pas l’éviter ? Comment faire la paix et garantir qu’elle soit durable ? - maître François est, à ma connaissance, celui qui répond de la façon la plus cohérente, profonde et pleine de sagesse.

C’est un signe de la baisse de la qualité de l’enseignement, de constater que, parmi les jeunes, rares sont ceux qui connaissent quoi que ce soit sur celui qui a été l’un des plus grands humanistes de l’histoire de France et de l’histoire universelle.

François Rabelais est né à Chinon ou à la Dévinière, en Touraine, en 1483, l’année où est mort le grand roi Louis XI. Il meurt à 70 ans en 1553, après avoir vécu ce qui semble être une excellente vie. Rabelais est contemporain et ami très proche d’Erasme de Rotterdam, le grand humaniste belge. Il est un peu plus jeune que le grand stratège militaire, Nicolas Machiavel (1469-1527) dont les travaux inspirent ses réflexions sur l’art de la guerre. Rabelais a vécu essentiellement sous les règnes de Louis XII et de François 1er.

L’empire qui, à cette époque, imposait sa tyrannie brutale à toute l’Europe était celui de Charles Quint, roi d’Espagne devenu Empereur du Saint Empire romain germanique en 1519. Soutenu par les Fuggers, les banquiers les plus puissants de cette période, Charles Quint avait soumis pratiquement toute l’Europe à sa puissance grâce à ses troupes espagnoles connues comme étant particulièrement sanguinaires et arriérées, et à ses armées de pillards et de mercenaires qui mettaient les nations à feu et à sang. Charles Quint avait payé sa couronne d’Empereur tellement cher qu’il fut ensuite condamné à piller l’Amérique ibérique et le reste de l’Europe pour pouvoir survivre. La meilleure image qu’on puisse donner de ce qu’était l’empire de Charles Quint, puis, plus tard, celui de son fils, Philippe II, est le tableau de Bruegel, Le Triomphe de la mort, où des armées de squelettes provoquent mort et désolation.

L’équivalent de l’empire de Bush et de ses alliées à Wall Street et dans la finance anglaise d’aujourd’hui, était donc, à cette époque, l’empire de Charles Quint. C’est contre cet empire que se battaient tous les humanistes.

Le rire est le propre de l’homme

L’oeuvre de Rabelais est d’une immense richesse. Dans ses ouvrages, vous pouvez non seulement apprendre les choses les plus profondes sur la nature humaine, mais aussi connaître l’état d’avancement de la médecine, de l’économie, des études juridiques, de l’histoire de la philosophie, et quantités d’autres choses.

François Rabelais touche aux questions les plus profondes et belles mais il le fait, à travers la métaphore et avec un humour bien gras et parfaitement débridé, qui peut faire penser à certains qu’il n’y a rien de bien sérieux dans ses ouvrages, qu’il n’est qu’un incorrigible épicurien.

Méfiez-vous des apparences ! Dans le prologue au Gargantua, Rabelais raconte comment Alcibiade comparait Socrate aux petites boîtes de Silènes qui étaient peintes de figures amusantes et frivoles pour inciter les gens à rire. Mais lorsqu’on ouvrait ces boîtes, on y trouvait une intelligence plus qu’humaine, une force d’âme prodigieuse et une grande sagesse.

Rabelais compare ses œuvres à la moelle d’un os qu’un chien garde avec dévotion, brise avec passion et suce avec diligence, car cette moelle est la meilleure partie de cet os :

A l’exemple d’icelluy [un chien], dit-il, vous convient estre saiges pour fleurer, sentir et estimer ces beaulx livres de haute graisse, légiers au prochaz [à la poursuite] et hardis à la rencontre ; puis par curieuse leçon et méditation fréquente, rompre l’os et sucer la s u b s t a n t i f i q u e mouelle (...) avecques espoir certain d’etre faictz escors et preux [de devenir avisés et vertueux] à ladicte au gré de cette lecture.

Pour ce qui est de l’art de la guerre, l’essentiel se trouve dans le deuxième livre écrit par Rabelais, Gargantua, dans un chapitre intitulé La Guerre Picrocholine.

Mais pour pouvoir comprendre la guerre Picrocholine, il faut d’abord connaître l’état de l’art militaire à l’époque de Rabelais. Nicolas Machiavel le décrit très bien dans ses ouvrages : il n’y avait pas réellement de conception scientifique de la guerre à cette époque. On reconnaîtra sans problèmes certaines des conceptions qui animent les « impériaux » d’aujourd’hui.

Les princes et les Etats étaient généralement beaucoup trop faibles financièrement pour entretenir un corps armée digne de ce nom - c’est à dire des hommes choisis pour leurs qualités morales, pour leur détermination à ne livrer la guerre qu’en cas d’absolue nécessité, et entraînés dans les différents aspects de l’art de la guerre.

Malgré cela, les princes maintenaient quand même des armées permanentes. Mais, comme ils n’avaient pas les moyens de payer leurs soldes, autre que le butin amassé pendant les guerres, il fallait maintenir un état de guerre « perpétuelle », afin de pouvoir entretenir les armées ! Cette soldatesque, composée des pillards et des éléments les plus délictueux de la société, représentait ensuite un danger de sédition et de troubles permanents pour les Etats qui l’avait créée.

Pire encore, au moment des guerres, les princes louaient les services de mercenaires : il s’agissait pour la plupart de mendiants, de voleurs, de criminels, ou de vagabonds qui n’avaient pas d’autre moyen que la guerre pour gagner leur vie, et qui, au moment de la victoire, se livraient au pillage le plus éhonté des peuples conquis.

C’est contre cet état de choses que Machiavel, un humaniste italien de la Renaissance, proche de Léonard De Vinci, se révolte. Il proposera toute une réforme de l’art de la guerre qui aura un impact considérable sur les humanistes de son époque, et dont on retrouve beaucoup d’éléments dans la guerre Picrocholine de Rabelais.

La guerre est uniquement une affaire de princes et d’hommes d’Etat, disait Machiavel, s’attaquant à toutes ces armées de mercenaires opérant sous la direction de gens qui n’ont aucune responsabilité auprès des populations et pour qui la guerre est un gagne-pain comme un autre. Aujourd’hui, des stratèges qui ont pignon sur rue, en France et ailleurs, débattent objectivement des qualités du mercenariat...

Contre cela, Machiavel proposa une réforme militaire, qui non seulement a beaucoup modernisé la conception des armées, mais est restée, pour beaucoup d’éléments, encore valable de nos jours. C’est lui qui le premier formula l’idée d’une armée de conscription, faite de citoyens, et d’une armée nationale (milice nationale) composée uniquement de citoyens du pays qu’elle devait défendre, âgés de 18 à 35 ans. Cette armée ne devait en aucun cas être permanente.

Machiavel estimait que dès la fin de la guerre, les militaires devaient réintégrer leur travail habituel dans la société, ce pour ne pas alourdir les dépenses de l’Etat, mais aussi pour éviter toute tentation de sédition contre le pouvoir en place. Pendant les périodes de paix, les soldats - des réservistes - devaient assurer leur entraînement au cours des week-ends ou des jours de fête. Au-delà, Machiavel souligne qu’il faut porter la plus grande attention aux mœurs des soldats. Il faut que le soldat recruté « ait de l’honneur et de la sagesse », disait-il.

Au niveau de l’attitude à avoir face à la guerre, contrairement aux amis de George Bush, Machiavel disait qu’il ne faut faire la guerre que lorsqu’il y a une nécessité absolue et, bien qu’il lui faille « savoir faire la guerre », l’attitude d’un chef d’Etat doit toujours être « d’aimer la paix ».

S’il faut faire la guerre, celle-ci doit être menée de façon totale, avec « virtu », mot qu’il employa pour signifier courage et audace. Sage et prudent avant la guerre, Machiavel l’est aussi au moment de la défaite d’un ennemi. Il recommande aux vainqueurs de ne jamais acculer un ennemi à une défaite tellement écrasante qu’il ne lui laisse pas d’autre choix que de faire un effort inouï pour poursuivre la bataille et tenter de l’emporter. Ni Machiavel ni Rabelais, comme nous le verrons plus tard, n’auraient fait l’erreur d’acculer au pire l’Allemagne ou l’Irak, en 1918 et en 1991.

Enfin, au niveau des éléments militaires de la conduite d’une guerre, deux éléments nous intéressent tout particulièrement dans le cadre de cette présentation. La critique de Machiavel contre l’idée que l’artillerie- les canons- seraient l’arme miracle qui permettrait qu’on n’en vienne « plus aux mains ». Machiavel montre que, bien que très utile pour ouvrir des brèches dans les forteresses, ou pour rompre les lignes de l’ennemi provoquant la panique et le chaos, l’artillerie ne peut pas remplacer le combat au corps à corps de l’infanterie qui, seul, permet d’imposer la défaite totale à l’ennemi et de prendre le contrôle de son territoire. Car il est toujours relativement facile de trouver refuge quelque part.

Des centaines d’années avant la guerre du Kosovo, où les Serbes ont réussi pendant longtemps à narguer les bombardements intenses de l’OTAN en enterrant les tanks et en se cachant dans des abris, Machiavel avait déjà décrit toutes ces limites de l’artillerie. Cachés dans les abris souterrains de montagnes de l’Afghanistan, les hommes de Ben Laden ont réussi eux aussi à éviter les bombes des avions américains et à fuir vers d’autres terres.

A l’époque de Machiavel, la mise au point par les Français des canons mobiles avait redonné l’avantage à l’offensive, car, montés sur des chariots à roues, les canons devenaient pour la première fois de véritables acteurs dans les combats. Les quarante chars mobiles déployés par Charles VIII dans ses conquêtes d’Italie avaient provoqué une véritable panique et la défaite totale des Florentins. Mais des changements dans la conception des forteresses sont venus rapidement redonner l’avantage à la défense, remettant à nouveau à sa juste place le rôle de l’artillerie.

L’autre élément qui, pour Machiavel, doit occuper un rôle central dans toute guerre est la ruse... Pas la ruse « déshonorante » - les trahisons et autres ruptures de parole - mais ce qu’il appelle les « stratagèmes que l’on emploie contre un ennemi méfiant, et qui constituent proprement l’art de la guerre ». Face à un ennemi beaucoup plus puissant, un adversaire plus faible - David contre Goliath - ne pourra l’emporter que grâce à la ruse.

La guerre Picrocholine

Les aventures de Rabelais mettent en scène, une famille de géants dont le grand-père était Grandgousier, son fils, Gargantua et le petit-fils, Pantagruel.

La guerre Picrocholine démarre, comme toutes les guerres, avec un incident fâcheux et souvent futile. Passant dans le pays de Grandgousier, des « fouaciers » - des gens qui fabriquaient des « fouaces », des genres de pains briochés délicieux - de Lerné, sous l’administration du Roi Picrochole, ont rencontré des bergers.

Les voyant, les bergers ont voulu leur acheter des fouaces, comme ils avaient l’habitude de le faire tous les ans, mais à leur grande surprise, cette fois-ci, les fouaciers ont, non seulement refusé, mais se sont mis à les insulter copieusement, les traitant de « mauvaise graine, de coquins, de chie-en-lit, de vauriens, de fines braguettes, de malotrus » et autres sobriquets du même genre. L’un des bergers fut même roué des coups par Marquet, chef de la confrérie des fouaciers.

Provoqués, les bergers se sont défendus comme de beaux diables, frappant les fouaciers et les renvoyant chez eux, non sans avoir pris quelques douzaines de fouaces qu’ils ont, tout de même, payé à bon prix.

C’est cet incident qui mit les feux aux poudres. Rentrés à Lerné, les fouaciers alertèrent le Roi Picrochole, lequel décida « sans plus oultre » de partir en guerre contre Grandgousier. Ici Rabelais nous indique déjà l’identité de ce Roi Picrochole. Son nom veut dire Le Bilieux et en lui faisant dire qu’il veut partir en guerre « sans plus oultre », il indique qu’il s’agit bien de Charles Quint car « plus oultre » était la devise de ce monarque.

Plus loin, il va faire faire aux armées de Picrochole des guerres de conquête qui l’amèneront dans toute l’Europe occidentale, l’Afrique et l’Europe orientale, certains des parcours que celles de Charles Quint avaient entrepris à son époque. A Gibraltar, par exemple, les proches du Roi Picrochole lui conseillent d’ériger deux grandes colonnes qui faisaient partie elles aussi de la devise de Charles Quint.

Picrochole prépare la guerre et mobilise son armée à l’ancienne, en mobilisant le ban et l’arrière-ban, c’est à dire en appelant à haute voix tous ceux qui étaient en état de combattre.

Hâtivement, il nomma ses commandants. Trepelu - le miteux - à la direction de 16 014 arquebusiers et 35 000 fantassins ; Toucquedillon - attaque de loin (couard...) - à l’artillerie. Trois cents chevaux légers partent en éclaireurs, dirigés par le capitaine Engoulevent-c’est-à-direle capitaine qui gobe le vent...

Voici comment Rabelais décrit l’armée de pillards qui part en guerre, que je cite en français moderne :

Alors sans ordre ni organisation, ils se mirent en campagne pêle-mêle, dévastant et détruisant tout sur leur passage, n’épargnant pauvre ni riche, lieu saint ni profane.Ils emmenaient les bœufs, les vaches, les taureaux, les veaux, les génisses, les brebis, les moutons, les chèvres et les boucs, les poules, les chapons, les poulets, les oisons, les jars, les oies, les porcs, les truies, les gorets, abattaient les noix, vendangeaient les vignes, emportaient les ceps, faisaient tomber tous les fruits des arbres.

Après avoir saccagé la ville de Seuilly, certains ont pris d’assaut l’Abbaye où ils se sont mis à piller tout le raisin déjà prêt à être vendangé. Voyant cela, les moines, morts de peur, ont décrété qu’ils feraient « une belle procession, renforcée de beaulx psaumes et litanies contra hostium insidias [contre les embûches de l’ennemi] et de beaux répons pro pace [pour la paix] ».

Et entre-temps, ils se sont mis à entonner des « Ininimpe ne ne ne ne ne ne tum ne num num ini i mi i mi co o ne no o one no ne no no no rum ne num num ». C’est à dire des impetum inimicorum ne timueritis, ce qui veut dire : ne craignez point l’attaque de l’ennemi !

C’est là qu’intervient un moine, différent des autres, un moine courageux qui va sauver la situation. Il s’agit de Frère Jean d’Entommeure - Jean d’Entamures, c’est-à-dire celui qui transforme ses ennemis en hachis !

Et ce moine était « jeune, gallant, frisque, de hayt [joyeux], bien a dextre, hardy, adventureux, délibéré, hault, maigre, bien fendu de gueule, bien advantaigé en nez, beau despescheur d’heures [débiteur des heures], beau descroteur de vigiles, pour tout dire sommairement vray moyne si oncques en feut depuys que le monde moynant moyna de moynerie. »

Et pour Frère Jean, pas question d’abandonner la vigne car : « ventre Sainct Jacques ! que boyrons-nous pendant ce temps là, nous aultres pauvres diables ? » Il n’y aura rien à grappiller pendant quatre ans !

Frère Jean prit son grand bâton de croix, mit son froc en écharpe et frappa brutalement sur les ennemis qui vendangeaient à travers le clos, sans ordre, sans enseigne, sans trompette ni tambour.

Ces citations, si descriptives, sont en français moderne :

« Aux uns, il écrabouillait la cervelle, à d’autres, il brisait bras et jambes, à d’autres, il démettait les vertèbres du cou, à d’autres, il disloquait les reins, effondrait le nez, pochait les yeux, fendait les mâchoires, enfonçait les dents dans la gueule, défonçait les omoplates, meurtrissait les jambes, déboîtait les fémurs, émiettait les os des membres.

« Si l’un d’eux cherchait à se cacher au plus épais des ceps, il lui froissait toute l’arête du dos et lui cassait les reins comme à un chien.

« Si un autre voulait se sauver en fuyant, il lui faisait voler la tête en morceaux en le frappant à la suture occipito-pariétale.

« Et si quelqu’un se trouvait suffisamment épris de témérité pour vouloir lui résister en face, c’est alors qu’il montrait la force de ses muscles, car il lui transperçait la poitrine à travers le médiastin et le cœur. »

Vous voyez comme Rabelais profite non seulement pour montrer quel est le type de détermination totale qui doit animer celui qui doit faire la guerre, mais aussi pour éduquer le commun des mortels à l’essentiel de l’anatomie... Pendant ce temps, au courant de rien, Gargantua, le fils géant de notre héros, poursuit ses études de lettres et de philosophie à Paris, et Grandgousier, son père, vaque à ses occupations habituelles.

Un des bergers vient cependant l’informer de la guerre avec Picrochole. Grandgousier est horrifié. Picrochole est son ancien ami auquel il est lié par le sang et les alliances. Jamais il ne lui a fait aucun mal, au contraire, il l’a toujours aidé.

Grandgousier réalise avec extrême tristesse que malgré son grand âge et tout ce qu’il a fait pour la paix, il va devoir faire la guerre. Mais « malgré tout, dit-il, je n’entreprendrai par de guerre avant d’avoir essayé de gagner la paix par toutes les solutions et tous les moyens ».

Il décida alors d’envoyer auprès de Picrochole un négociateur avisé, et d’appeler près de lui Gargantua qui fait ses études.

Lettres à Gargantua

La très belle lettre qu’il envoie à Gargantua pour lui expliquer la situation, est une excellente leçon pour savoir comment le politique doit faire face à la guerre.

« Le caractère fervent de tes études aurait requis que je n’eusse pas à interrompre de longtemps ce loisir studieusement philosophique, si je n’étais à présent arraché au repos de ma vieillesse, à cause de la confiance que nous avions en nos amis et alliés de longue date. Mais puisqu’un destin fatal veut que je sois inquiété par ceux en qui je me fiais le plus, force m’est de te rappeler pour secourir les gens et les biens qui sont confiés à tes mains par droit naturel.

« (...) Car de même que les armes défensives sont de faible secours au-dehors si la volonté n’est en la maison, vains sont les études et inutile la volonté qui (...) ne passent pas à exécution en temps opportun et ne sont pas conduits jusqu’à leur réalisation.

« (...) Mon intention n’est pas de provoquer, mais d’apaiser, ni d’attaquer mais de défendre, ni de conquérir mais de garder mes loyaux sujets et mes terres héréditaires sur lesquelles, sans cause ni raison, est entré Picrochole qui poursuit chaque jour son entreprise démente et ses excès intolérables pour des personnes éprises de liberté.

« (...) Je me suis mis en devoir de modérer sa rage tyrannique, de lui offrir tout ce que je pensais susceptible de lui faire plaisir ; (...) Mais je n’ai eu d’autre réponse de lui qu’une volonté de me défier et une prétention au droit de regard sur mes terres. Cela m’a convaincu que Dieu l’Eternel l’a abandonné à la gouverne de son libre arbitre et de sa propre raison. Sa conduite ne peut qu’être mauvaise si elle n’est continuellement éclairée par la grâce de Dieu qui me l’a envoyé ici sous de mauvais auspices pour le maintenir dans le sentiment du devoir et le ramener à la sagesse.

« (...) Ainsi, mon fils bien aimé, quand tu auras lu cette lettre, et le plus tôt possible, reviens en hâte pour secourir non pas tant moi-même (...) que les tiens que tu peux à bon droit sauver et protéger. Le résultat sera atteint en répandant le moins de sang possible et, si c’est réalisable, grâce à des moyens plus efficaces, des pièges et des ruses de guerre, nous sauverons toutes les âmes et renverrons tout ce monde joyeux en ses demeures. »

Voyez comment il aborde toutes les questions essentielles à l’art de la guerre. D’abord, la guerre est une situation d’urgence qui appelle aussi à une mobilisation d’urgence. Alors qu’il n’y a pas si longtemps, tout étudiant qui se respectait menait une action politique, aujourd’hui les études servent souvent malheureusement de prétexte à une fuite hors de la réalité.

Ensuite, Grandgousier fait tout pour éviter la guerre, pour raisonner Picrochole, sans succès. Devant l’impossibilité d’éviter la guerre, il stipule que celle-ci devra être faite cependant avec le moins de pertes possibles, en se servant des pièges et des ruses de guerre. Enfin, le vainqueur est magnanime ; l’objectif de la guerre n’est pas de faire disparaître l’ennemi de la face de la terre, mais de « sauver toutes les âmes » et de les « renvoyer joyeusement en leurs demeures ».

Avant de déclarer la guerre, Grandgousier tente une dernière chose. Il envoie d’abord un maître de requêtes et, n’ayant rien obtenu, il tente une autre solution. Puisqu’il s’agissait d’une affaire de fouaces, il fait fabriquer plusieurs charrettes de ces délicieuses brioches et les fait porter à Picrochole dans un espoir d’apaisement.

Malheureusement, en voyant venir tout ceci, pensant que Grandgousier avait peur de faire la guerre, le capitaine Toucquedillon conseille au Roi Picrochole de prendre les présents mais de poursuivre la guerre.

La ruse

C’est ainsi que commence la guerre. Gargantua s’est mis sur le chemin avec ses compagnons parmi lesquels Gymnaste et un autre, qui furent envoyés devant, en éclaireurs. C’est à ce moment-là qu’ils tombent sur les hommes de Picrochole. Les sachant totalement superstitieux, Gymnaste essaie des les amadouer en leur disant qu’il n’était qu’un « pauvre diable » et en les invitant à boire de sa propre gourde. Peu à peu, après avoir répété à plusieurs reprises qu’il était un pauvre diable, les soldats de Picrochole commencent à craindre le pire et à se signer à toute vitesse. L’un d’entre eux sort son livre d’heures, un genre de bréviaire, de sa braguette et l’approche de Gymnaste pour voir s’il est un démon ou pas.

Profitant de son avantage, voici ce que fait Gymnaste qui est toujours sur son cheval (je cite en français moderne) :

« Alors il fit semblant de descendre de cheval, et quand il fut en suspens côté montoir, il fit souplement le tour de l’étrivière, son épée bâtarde au côté. Etant passé par dessus, il s’élança dans l’air et se tint les deux pieds sur la selle, le cul tourné vers la tête du cheval, puis il dit : ‘Mon affaire va de travers !’ Alors, dans cette posture, il fit la pirouette sur un pied, et tournant à gauche ne manqua pas de retrouver sa première attitude, sans en rien changer. ‘Merde, dit Gymnaste ! Je me suis trompé. Je vais reprendre ce saut.’ Alors avec beaucoup plus de force et d’agilité, il fit, en tournant à droite, la pirouette comme auparavant.

Cela fait, il mit le pouce de la main droite sur l’arçon de la selle et souleva tout son corps en l’air, soutenant tout son poids sur le nerf et le muscle du pouce en question, et dans cette attitude tourna trois fois sur lui-même ; la quatrième, se renversant tout le corps sans toucher à rien, il se plaça entre les oreilles du cheval, tout le corps figé en l’air sur le pouce de la main gauche, et fit de la sorte un moulinet.

Ensuite, frappant du plat de la main droite au milieu de la selle, il donna une impulsion telle qu’il s’assit sur la croupe comme font les demoiselles. Cela fait, bien à l’aise, il passa la jambe droite par-dessus la selle et se mit dans la posture du chevaucheur, sur la croupe. S’appuyant donc à la croupe, devant lui, des pouces des deux mains, il se renversa cul par-dessus tête, en l’air, et se trouva en bon maintien entre les arçons.

Puis d’un sursaut, il souleva tout le corps en l’air, se tint ainsi pieds joints entre les arçons ; et là tournoya plus de cent fois, les bras en croix, tout en criant à voix haute : ‘J’enrage, diables, j’enrage, j’enrage ! Tenez-moi, diables, tenez !’. Pendant qu’il évoluait de la sorte, les hommes de Picrochole partaient en courant morts de peur en criant ‘par la Mère de Dieu ! Délivre nous du malin ennemi.’ »

Voyant son avantage, Gymnaste en profite pour éliminer tous ceux qui sont restés ébahis ! C’est cela la ruse, dont parlent Machiavel et Grandgousier. C’est d’être capables de connaître les faiblesses de l’ennemi - la superstition et l’arriération légendaires des troupes espagnoles de Charles Quint - et de jouer là-dessus pour le forcer à capituler sans qu’un seul coup n’ait été tiré.

Préparation du grand engagement

Pendant ce temps là, se prépare le grand engagement entre les deux armées. Picrochole s’étant discrédité totalement, les alliés affluent aux côtés des armées de Grandgousier, toutes les localités voisines le rejoignant. Ces alliés lui apportent pas moins de 134 millions d’écus d’or, des dizaines de milliers de soldats, y compris des mercenaires, et des armes. Mais Grandgousier refuse tout ceci et ne mobilise que ses propres légions et il nous dit que ses hommes étaient « tant bien instruictz en art militaire, tant bien armez, tant bien recongnoissans et suivans leurs enseignes, tant soubdains [prompts] à entendre et obéir à leurs capitaines, tant expediez à courir [vives à la course], tant forts à chocquer [rudes à l’assaut], tant prudens à l’adventure, que mieulx ressembloient une harmonie d’orgues (...) qu’une armée ou un corps de troupe ».

Il faut dire que son armée était plutôt impressionnante et en fait plus avancée que celle de Machiavel. On voit qu’au-delà de grosses pièces d’artilleries, présentes mais dont il n’exagère pas l’importance, il introduit un gros bataillon d’arquebusiers - de soldats qui portaient des armes à feu - qui, représentant à peu près un quart des hommes, constitue une puissance de feu assez considérable.

Machiavel reste plutôt à l’organisation des armées romaines d’avant l’empire qui ne connaissaient pas les arquebusiers. 2500 hommes d’armes, 66 000 hommes de pied, 26 000 arquebusiers, 200 grosses pièces d’artillerie 22 000 fantassins 6000 chevaux légers.

Avec ce modèle d’armée moderne, Gargantua lance l’assaut final contre le château, préférant ne pas attendre la nuit parce que, comme le dit Gymnaste citant Tite Live et comme le disent tous ceux qui connaissent le comportement des Français dans la guerre :

La nature et la constitution des Français est telle, qu’ils n’ont de valeur qu’au premier assaut. Ils sont alors pires que des diables mais s’ils temporisent, ils deviennent moins que des femmes.

C’est tout le problème de la discipline militaire. A la guerre, il faut de la fougue, mais il faut aussi de la discipline pour pouvoir tenir les distances longues.

L’engagement a finalement lieu à la façon de Machiavel ; les hommes de Gargantua l’emportant haut la main. Voyant les hommes fuir, à un moment donné, Gymnaste demande s’il fallait les poursuivre, ce à quoi Gargantua répond :

Nullement, car selon vraye discipline militaire jamais ne falut mettre son ennemy en lieu de désespoir, parce que telle nécessité luy multiplie sa force et accroist le couraige qui jà estoit deject et failly [abattu et défaillant], et n’y a meilleur remède [chance] de salut à gens estommiz et recreuz [ébranlés et à bout de fatigue] que de ne espérer salut aulcun. Combien de victoires ont esté arrachées des mains des vaincqueurs par les vaincuz, quand ils ne se sont contentés raisonnablement, mais ont attempté du tout mettre à internition [de tout anéantir] et destruire totallement leurs ennemys, sans en vouloir laisser un seul pour en porter les nouvelles !

La guerre terminée, Gargantua ordonne que tout le monde puisse se restaurer sur place et que les repas soient payés. Les hommes reçoivent ensuite une solde pour 6 mois. Gargantua ordonne qu’aucun excès ne soit commis dans la ville.

Enfin, Gargantua s’adresse aux vainqueurs et aux vaincus en des termes exemplaires, sans l’ombre d’un esprit revanchard (français moderne) :

Du plus loin que l’on se souvienne, nos pères, nos aïeux et nos ancêtres ont préféré, tant par bon sens que par un penchant naturel, perpétuer le souvenir de leurs triomphes et de leurs victoires dans les batailles qu’ils ont livrées en érigeant leurs trophées et leurs monuments dans les coeurs des vaincus, en les graciant, plutôt qu’en faisant oeuvre d’architecture sur les terres conquises. Car ils attachaient davantage de prix à la vive reconnaissance des hommes, gagnées par la générosité, qu’aux inscriptions muettes des arcs, des colonnes et des pyramides, sujettes aux intempéries et à la malveillance de tous.

Gargantua octroie son pardon à tous et décide que, puisque Picrochole avait pris la fuite, ce serait son fils âgé de 5 ans qui régnerait à sa place. En attendant qu’il puisse exercer ses fonctions, Gargantua nomma l’un de ses meilleurs amis, Ponocrates, administrateur de ce royaume en lui demandant de veiller, tout particulièrement, à l’éducation de l’enfant.

La morale de l’histoire

Voyons maintenant en quoi cette histoire ressemble à notre situation d’aujourd’hui. L’Empire de Picrochole - Charles Quint - ne nous donne-t-il pas un avant goût de ce que George Bush tente de construire aujourd’hui ?

Tout comme Bush, Charles Quint menait lui aussi des guerres perpétuelles : des guerres de pouvoir pour imposer son hégémonie ; pour obtenir des avantages économiques et piller les ressources des autres. N’est-ce pas tout cela que Bush cherche aussi dans sa guerre contre l’Irak et ailleurs ?

L’attitude de Bush et de ses faucons dans cette guerre est à l’opposé même de ce que conseillent Machiavel ou Rabelais. D’abord, il n’y a aucune justification à cette guerre. Bush, comme Picrochole, ne fait rien pour l’éviter, au contraire ; tout comme son auguste ancêtre, il est prêt à partir en guerre pour une poignée de fouaces, ou à inventer tout autre prétexte s’il le faut.

Enfin, quelle doit être notre attitude, celle des citoyens, contre les Picrocholes d’aujourd’hui ? Devons nous, face aux périls qui montent, rester dans nos livres, ou entonner des pater noster comme les moines ? Ou bien prendre à bras le corps le problème, rassembler nos forces et avec beaucoup de ruse, comme David contre Goliath, organiser la défaite des ennemis de l’humanité ? C’est ce que le mouvement de LaRouche tente de faire actuellement à l’échelle internationale, suivant, pour ceux qui le connaissent assez bien, d’assez près tous les conseils de ce grand humaniste François Rabelais.

C’est avec ruse, intelligence, idéal, courage et passion que nous entendons combattre cet empire anglo-américain qui apparaît comme étant très fort, mais qui, tout comme celui de Charles Quint, du fait de sa faiblesse économique, est plutôt un géant aux pieds d’argile.

Lettre de Grandgousier à son fils Gargantua

(...) La ferveur de tes estudes requéroit que de long temps ne te revocasse de cestuy philosophicque repous, si la confiance de noz amyz et anciens confédérez n’eust de présent frustré la seureté de ma vieillesse. Mais, puisque telle est ceste fatale destinée que par iceulx soye inquiété ès quelz plus je me repousoye, force me est te rappeller au subside des gens et biens qui te sont par droict naturelz affiez.

(...) Car, ainsi comme débiles sont les armes au dehors si le conseil n’est en la maison, aussi vaine est l’estude et le conseil inutile qui en temps oportun par vertus n’est exécuté et à son effect réduict. » (...) « Ma délibération n’est de provocquer, ains de apaiser ; d’assaillir, mais défendre ; de conquester, mais de guarder mes féaulx subjectz et terres héréditaires, ès quelles est hostillement entré Picrochole sans cause ny occasion, et de jour en jour poursuit sa furieuse entreprinse avecques excès non tolérables à personnes libères.

(...) « Je me suis en devoir mis pour modérer sa cholère tyrannicque, luy offrent tout ce que je pensois luy povoir estre en contentement, et par plusieurs foys ay envoyé amiablement devers luy pour entendre en quoy, par qui et comment il se sentoit oultragé ; mais de luy n’ay eu responce que de voluntaire deffiance et que en mes terres prétendoit seulement droict de bienséance. Dont j’ay congneu que Dieu éternel l’a laissé au gouvernail de son franc arbitre et propre sens, qui ne peult estre que meschant sy par grâce divine n’est continuellement guidé, et, pour le contenir en office, et réduire à congnoissance, me l’a icy envoyé à molestes enseignes.

(...) « Pour tant, mon filz bien aymé, le pus tost que faire pouras, ces lettres veues, retourne à diligence secourir, non tant moy (ce que toutesfoys par pitié naturellement tu doibs) que les tiens, lesquelz par raison tu peuz saulver et guarder. L’exploict sera faict à moindre effusion de sang que sera possible, et, si possible est, par engins plus expédiens, cautèles et ruzes de guerre, nous saulverons toutes les âmes et les envoyerons joyeux à leurs domiciles.


[1Pour l’analyse de Lyndon LaRouche de cette doctrine voir Nouvelle Solidarité N° 19 du 8 novembre 2002.


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